Pedro Canales, Rabat, 17/09/2009
La plupart des analystes marocains et des chancelleries occidentales coïncident sur une chose : le plus grand danger pour la stabilité du Maroc, en ce moment, vient du narcotrafic. Les réseaux mafieux qui contrôlent le transport et la vente des milliers de tonnes de hachisch de production locale et de la cocaïne et de l’héroïne qui transite par le pays en direction de l’Europe en provenance de l’Asie et du Golfe de la Guinée, constituent un problème beaucoup plus grave que l’islamisme radical, la pauvreté et les insuffisances démocratiques du régime.
Le communiqué fait public par le procureur du Roi à Casablanca, Abdellah Alaoui Belghiti, le 9 septembre, a fait sauter toutes les alarmes. Dans les deux dernières années les services de sécurité ont réalisé 21.530 opérations anti-drogue dans tout le pays et arrêté 53.893 personnes, parmi elles 973 étrangers de différentes nationalités, principalement des Espagnols, des Français, des Italiens, des Belges et des Hollandais, d’après le journal socialiste Libération. Dans les prisons marocaines il y a en ce moment moments pas moins de 50.000 individus condamnés pour trafic de drogue, annonce pour sa part le journal Aujourd’hui le Maroc. Ce qui veut dire la majorité absolue de la population carcérale.
Dans la dernière opération anti-drogue menée au nord du pays, 18 barons présumés ont été arrêtés. Une opération qui demeure ouverte et qui a permis jusqu’à présent de s’emparer de 400 tonnes de kif, 88 de chira et 180 d’huile de cannabis. Des quantités considérables que jointes aux 34 kilos d’héroïne et 53 de cocaïne, en plus des 77.000 de drogues synthétiques, donnent une idée de l’envergure de ce réseau.
Malgré la diminution de la surface dédiée à la culture de hachisch – selon les données fournies par les autorités marocaines, puisque les organismes internationaux de contrôle n’ont pas l’autorisation de rechercher sur le terrain-, le Maroc continue d’être le producteur principal de cannabis dans le monde, dont l’exportation au marché européen fournit aux narcotrafiquants et aux caïds qui les manipulent, plusieurs milliards d’euros chaque année.
L’instruction du cas Triha, du surnom de Lamfadel Akdi, un intouchable soupçonné d’être à la tête du réseau, promet des révélations importantes. Pour le moment un ex-député du Regroupement National des Indépendants (RNI), de Mohamed Jouahri, a été détenu. Des 18 arrêtés, cinq contrôlaient la vente de drogues dures, de cocaïne et de l’héroïne provenant de l’Afrique Occidental, sur le marché marocain; six autres dirigeaient le secteur de l’exportation de hachisch en Espagne par voie maritime en utilisant les embarcations qui démarraient du port improvisé de Marchica près de Nador; un autre groupe composé de trois était chargé de l’exportation en Europe par voie terrestre, en utilisant des camions TIR de marchandises; un quatrième groupe de trois barons contrôlait le trafic vers l’Algérie, vers Tunis et vers la Libye, à travers la frontière d’Oujda et d’Errachidia; et le dernier d’eux était chargé de l’approvisionnement de hachisch à Ketama.
Selon les premiers éléments de la recherche, le réseau comptait d’une demi-centaine de poids lourds, qui s’était pratiquement distribué tout le pays. La presse marocaine parle d’un Gouverneur, de plusieurs hauts responsables de l’administration territoriale, d’employés de la Douane et de la Gendarmerie Royale, et de plusieurs magistrats. Selon le journal Al Bayane, l’une des régions importantes par lesquelles transitait “la neige” provenant de l’Afrique de l’Ouest n’est autre que le Sahara Occidental, les “provinces sahariennes” selon la terminologie habituelle marocaine.
Toute la presse locale a largement fait l’écho sur les détentions. L’hebdomadaire Tel Quel offre une donnée intéressante : “Il aurait été impossible à la police d’arrêter Triha dans son village natal de Bab Berred, près de Ketama, parce que les habitants l’aurait empêché”. Les Autorités marocaines reconnaissent que dans les zones de production de hachisch, dans les “lieux chauds” du Rif, règne une autre Loi. A cause de cela, Lamfadel Akdi a été arrêté dans son restaurant de la corniche tangerine.
L’implication d’hommes politiques dans les réseaux du trafic de drogues n’est pas un fait nouveau. Depuis les années 90, le ministère de l’Intérieur fait une purge de candidats aux élections locales, provinciales ou nationales, en y interdisant l’accès à des gens suspectés de liens avec le narcotrafic. Ce qui n’est pas un obstacle pour que l’argent du hachisch circule largement pendant les campagnes à Tetuán, à Tanger ou à Nador.
Il n’a pas attiré l’attention non plus le fait de l’implication de hauts responsables de l’Administration ou d’officiers des corps de sécurité et des magistrats. Cependant, la persistance de la corruption institutionnelle, et les niveaux de celle-ci, suscitent l’alarme. De plus en plus, les cartels du narcotrafic marocain ressemblent aux Mexicains dans sa structure et dans ses ramifications. Bien que jusqu’à présent, les réseaux euro-marocains ne disposent pas de l’armement utilisé au Mexique.
“Ces réseaux constituent une menace multiforme pour le pays”, affirme le journaliste Khalil Hachimi Idrissi, l’un des plus informés au Maroc. Idrissi dit à haute voix ce que les Autorités n’osent pas confesser : “c’est le propre État qui est menacé dans sa crédibilité, dans sa stabilité et dans sa légitimité”. Parce que, ajoute le directeur du journal Aujourd’hui le Maroc, quand le narcotrafic atteint ces niveaux, “les structures étatiques sont exclues”. Il ne reste que la loi du plus fort. L’Europe, la première concernée, ne peut pas rester comme expectatrice devant la détérioration continue de la stabilité dans l’Afrique du Nord.
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