« Le Président Bouteflika est une éminente personnalité du tiers-monde »
Ricardo Alarcon de Quesada, président de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire de la République
Par L. B.
Entre Alger et La Havane existe une longue tradition de lutte et de combat en faveur de la liberté des peuples, qui s’est fondée dans le mouvement des non alignés, dont le doyen reste Fidel.
Ricardo Alarcon de Quesada, président de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire de la République
Par L. B.
Entre Alger et La Havane existe une longue tradition de lutte et de combat en faveur de la liberté des peuples, qui s’est fondée dans le mouvement des non alignés, dont le doyen reste Fidel.
Avant toute chose, comment se porte « El Comandante » pour qui les Algériens ont une affection toute particulière ?
Ricardo Alarcon de Quesada : Fidel se trouve comme toujours aux premières lignes du combat. Il consacre une bonne partie de son temps à étudier les problèmes les plus sérieux en particulier les menaces pour la paix et la survie de l’espèce humaine. Il publie fréquemment ses Réflexions, les plus récentes sont celles consacrées à démasquer les ultimes provocations impérialistes dans la péninsule coréenne et surtout les plans d’une agression des Etats-Unis et d’Israël contre l’Iran. Il ne se lasse pas d’avertir que nous vivons des jours très dangereux qui pourraient être l’antichambre d’une hécatombe nucléaire.
Votre visite en Algérie est une excellente opportunité pour une évaluation du partenariat algéro-cubain qui s’étend à de nombreux domaines : scientifique, technique, culturel et sportif. Y a-t-il d’autres perspectives pour l’avenir de cette coopération multiforme et d’une solidarité exemplaire ?
RADQ : Dans votre édition de juin El Djazaïr.com a interviewé l’ambassadeur cubain Eumelio Caballero qui a évoqué différents aspects importants de la coopération entre l’Algérie et Cuba, qui se basent sur les excellentes relations politiques surgies d’une solidarité cultivée durant de longues années de lutte commune pour la liberté et l’indépendance. Les deux pays ont conquis leur émancipation au prix d’un combat douloureux qui s’est soldé par de grands sacrifices. Nous avons obtenu la victoire presque en même temps et depuis nous impulsons le Mouvement des Pays non alignés dont l’objectif majeur est de promouvoir la solidarité entre tous pour atteindre un monde meilleur. Les perspectives de la coopération algéro-cubaine sont illimitées. Ma visite me donnera l’occasion privilégiée d’évaluer avec les frères algériens les résultats jusque là atteints, les consolider et engager de nouvelles actions que je suis sûr nous saurons entreprendre avec succès.
Sur le plan politique et sécuritaire international, Alger et La Havane ont des convergences de vues et luttent pour la dignité et la justice. Vous qui avez été vice-président du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien à l’ONU et du Comité des 24 (décolonisation), que vous inspire l’attitude du Maroc vis-à-vis du problème sahraoui ?
RADQ : Le peuple sahraoui (Sahara Occidental envahi par le Maroc en 175, ndlr) a un droit inaliénable à l’autodétermination et à l’indépendance Inaliénable veut dire que c’est un droit qui ne peut être cédé et auquel on ne peut renoncer. L’attitude du Maroc est inadmissible, il agit avec l’arrogance des pires colonisateurs, cette attitude doit être rejetée et condamnée. C’est une attitude comparable à l’agression sioniste contre le peuple palestinien et l’imposition du colonialisme nord-américain du peuple de Porto Rico. On assiste actuellement à l’émergence de certains pays latinos faisant partie de l’ALBA, dont l’objectif est de prendre leur destin en main. Quel est l’avenir de ce processus d’intégration dont vous faites partie ? L’ALBA est la résultante des luttes des peuples d’Amérique latine pour leur indépendance qu’ils ont commencée il y a deux siècles. Possesseurs d’une histoire commune et d’une même culture, nous avons toujours été inspirés par l’idéal de Simon Bolivar d’unir toutes les nations en une grande Patrie, celle que José Marti appela « Notre Amérique ». Ce fut une aspiration qui anima des générations successives durant de longues années. Ce qui paraissait d’antan un rêve commence aujourd’hui à être réalité. L’Amérique latine vit une nouvelle époque où avancent des processus transformateurs autonomes répondant aux caractéristiques et conditions spécifiques de chaque pays, mais unis par une forte solidarité exprimée dans des projets concrets, au bénéfice de millions d’individus, sur des questions vitales comme la santé et l’éducation. Des groupes séculairement exclus – comme les populations autochtones, les afro descendants et bien avant relégués à une extrême pauvreté – campent aujourd’hui des rôles protagonistes dans le changement social et dans le développement d’une démocratie authentique, participative. L’Amérique latine vit une nouvelle époque parce qu’ici le néolibéralisme – la dictature du marché et le capitalisme sauvage – a été complètement défait. L’avenir de l’ALBA est prometteur. Il l’est pour tout le continent. L’année prochaine à Caracas, la Communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes, sera formellement constituée, celle dont tous les pays de Notre Amérique font parties et dans laquelle, pour la première fois de notre histoire, les Etats-Unis, ne sont pas présents.
Ne pensez-vous pas que la politique états-unienne a recours à la coercition économique pour réaliser des objectifs politiques? Déstabiliser le pays à l’intérieur et déformer l’image de Cuba à l’extérieur? Que pouvez-vous nous dire du blocus que vous qualifiez de guerre économique?
RADQ : En 1959, année du triomphe révolutionnaire, lorsque Washington étudiait ses premières actions agressives – la suppression de nos ventes de sucre –, le Secrétaire d’Etat, Christian Herter décrivait cette mesure comme une « guerre économique ». Cette guerre a été pratiquée par tous les gouvernements nord-américains, d’Eisenhower jusqu’à Obama. C’est une politique de génocide, antidémocratique. Son propos est de faire souffrir le peuple cubain, de le punir pour son appui à la Révolution. C’est ainsi qu’ils l’ont reconnu cela fait un demi-siècle dans un document officiel récemment déclassé : « La majorité des cubains appuie Castro… L’unique manière prévisible de lui ôter l’appui interne, c’est à travers le désenchantement et l’insatisfaction qui surgiront du malaise économique et de difficultés matérielles … Il faut user rapidement de tous les moyens possibles pour affaiblir la vie économique de Cuba… Une ligne d’action, l
a plus astucieuse et discrète possible, pour priver Cuba d’argent et d’approvisionnement, pour réduire ses recours financiers et les salaires réels, provoquer la faim, la désespérance et la chute du gouvernement … » (1)
a plus astucieuse et discrète possible, pour priver Cuba d’argent et d’approvisionnement, pour réduire ses recours financiers et les salaires réels, provoquer la faim, la désespérance et la chute du gouvernement … » (1)
Où en est- on aujourd’hui du sort réservé aux cinq Cubains emprisonnés aux USA pour avoir infiltré des groupes terroristes de Miami afin de prévenir leurs crimes ?
RADQ : Le 12 septembre prochain, Gerardo Hernández, Ramón Abanino, Antonio Guerrero, Fernando González et René González auront passé 12 ans, dans des prisons nord-américaines, soumis à des conditions de détention très dures, parfois confinés à de longues périodes d’isolement, éloignés de leurs familles et de leur pays. Deux d’entre eux, Gerardo et René, se sont vu refuser la visite de leurs épouses. Ils ont été arrêtés et soumis à un procès, bourré de violations et d’irrégularités, accusés seulement « de s’être infiltrés dans des groupes terroristes de Miami afin de prévenir leurs crimes » comme vous le dites si justement, dans votre question. Ils ont rempli cette héroïque mission, désarmée, sans employer la force ou la violence, sans causer de mal à personne. Ils se sont limités à découvrir les plans des terroristes, à en informer Cuba, contribuant ainsi à sauver de nombreuses vies. Pour ce « délit », ils ont écopé au total de 4 condamnations à perpétuité et à plus de 77 ans de prison. L’injustice dont sont victimes les cinq et leur perpétuation au jour d’aujourd’hui ont une signification politique évidente. D’Eisenhower à Obama, les gouvernants nord-américains ont favorisé ou toléré le terrorisme contre Cuba. Le sort des cinq dépendra de notre capacité à défaire cette politique. Nous continuerons à tenter d’utiliser les maigres recours encore disponibles dans le système juridique nord-américain. Toutefois, nous ne pouvons compter sur cette voie. Seule la solidarité des peuples, celle des Etats-Unis incluse, nous mènera à la victoire. La dénonciation constante et la mobilisation croissante sont indispensables pour obliger Washington à mettre fin à cette infamie en ordonnant la libération immédiate des cinq personnes qui n’auraient jamais dû être privées de leur liberté.
La presse occidentale offre très peu la possibilité à Cuba de s’exprimer et de répondre aux attaques répétées dont elle est la cible, pourquoi ?
RADQ : Parce que, en grande partie, cette presse n’est autre que l’instrument docile de la propagande impérialiste. N’oublions pas la prophétie formulée il y a de cela 40 ans par quelqu’un de très informé, Zbigniew Brzezinski. Pour lui, la fonction principale des grands médias serait de « manipuler les sentiments et de contrôler la raison ». Pour arriver à cela, ils cachent la vérité ou la dénaturent et disséminent le mensonge. Cuba cumule un demi-siècle d’expérience à ce sujet. Le cas des cinq que nous venons d’évoquer en est la preuve la plus récente. Pour beaucoup, en Occident, ce cas n’existe pas parce que les médias occidentaux l’occultent.
L’ONU, vous connaissez pour y avoir occupé un certain nombre de postes. Ne pensez-vous pas que le Conseil de sécurité devrait être révisé ?
RADQ : Pour réformer la charte de l’ONU, il faut le consentement de tous les membres permanents du Conseil de sécurité. Toutefois, la charte même donne à l’Assemblée générale des facultés qu’elle n’a pas exercées entièrement. Parmi ces facultés, la plus importante peut-être est celle d’examiner le travail du Conseil de sécurité et de le soumettre à une évaluation systématique. Selon la charte, le Conseil doit rendre des comptes à l’Assemblée et non l’inverse. Arriver à ce que l’Assemblée assume réellement sa responsabilité, telle est la clef pour la démocratisation des Nations unies, objectif auquel ne doivent jamais renoncer les pays non alignés.
L’Algérie vous a-t-elle semblé un pays insécurisé ?
RADQ : J’ai déjà évoqué auparavant le rôle de certains médias. J’ai connu l’Algérie, à distance, lorsque son peuple livrait une bataille héroïque pour l’indépendance et la liberté qui a servi d’exemple a beaucoup de pays à travers le monde. A l’époque, sous la domination coloniale, l’Algérie était un pays insécurisé pour les Algériens. Après l’indépendance, lorsque j’étais ambassadeur auprès de l’ONU, j’ai eu le privilège de visiter l’Algérie en différentes occasions. Je me suis déplacé en de nombreux lieux de ce beau pays, incomparablement plus tranquille et sûr que la ville de New York où je vivais alors. Je souscris complètement à la réponse formulée par notre ambassadeur à la même question dans l’entretien publié par El Djazaïr.com
Quelle image a le peuple cubain du peuple algérien et de son Président Abdelaziz Bouteflika ?
RADQ : L’image d’un peuple dévoué, combatif, un peuple frère pour lequel nous ressentons admiration et affection et à qui nous souhaitons bonheur et succès. Le Président Abdelaziz Bouteflika est, pour les Cubains, le dirigeant capable et conséquent de ce peuple et l’une des plus éminentes personnalités du tiers-monde. Je partage évidemment cette appréciation des Cubains. Toutefois, j’aimerai ajouter une note personnelle. Parmi les plus grands privilèges de ma vie, celui d’avoir livré plusieurs batailles diplomatiques aux côtés de Abdelaziz Bouteflika, lorsque j’étais ambassadeur et lui chancelier (ndlr : ministre des Affaires étrangères). Je garde envers lui une immense gratitude parce que j’ai beaucoup appris de sa sagesse et de son engagement, toujours ferme et lucide, à la cause de son peuple et de celles des autres peuples, de sa généreuse amitié.
Ricardo Alarcon, vous êtes un homme politique mais aussi professeur de philosophie. Ces deux disciplines ne donnent-elles pas une certaine hauteur à votre vision du monde ?
RADQ : Je vous remercie pour le compliment contenu dans votre question. Peut-être que l’un des problèmes majeurs du monde contemporain a à voir avec cette séparation entre les deux disciplines. Dans l’Antiquité, il était fréquent de trouver son efficace conjonction. Avec le développement du capitalisme, à présent globalisé, de nombreux politiques sont tels des acteurs dans un étrange retable où la politique est à chaque fois plus mercantilisée. Ce n’est pas un hasard qu’un grand philosophe autrichien, Hans Kelsen, a averti il y a de cela presque un siècle que la nommée « démocratie représentative » était un dogme occidental, c’est un régime fictif, son essence étant « la fiction de la représentation ». La phi
losophie est indispensable pour interpréter le monde qui nous entoure et aider à le transformer.
losophie est indispensable pour interpréter le monde qui nous entoure et aider à le transformer.
El Djazair, 1/8/2010