Par Salem Ferdi
Ne vous attendez pas à ce que l’on envoie nos légionnaires ou nos soldats sauter dans le désert avec des parachutes bleu-blanc-rouge!». Dans un entretien publié par le journal Le Parisien, le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, modère les propos assez guerriers des deux têtes de l’exécutif français.
Jusque-là, le ton des responsables français, qui ont tenu deux conseils de sécurité et de défense en une semaine, était plutôt martial. Le président français, Nicolas Sarkozy, avait en effet évoqué des représailles contre l’Aqmi. «Le crime ne sera pas impuni», tandis que son Premier ministre, François Fillon, soulignait que la «France était en guerre contre Al-Qaïda». Entre la déclaration de guerre et l’envoi de troupes pour ferrailler directement contre les terroristes de l’Aqmi, il n’y a qu’un pas… Le raid franco-mauritanien au nord du Mali ne serait ainsi que l’inauguration d’une présence militaire plus soutenue. L’agenda politique intérieur d’un président français en quête de rétablissement d’une popularité en chute libre pouvait en effet donner lieu à des actions «à la Bush». Sauf que le terrain n’est pas le même. Bush s’est attaqué à des Etats et a contribué à fabriquer le terrorisme, la France n’a pas d’Etat à attaquer.
Dans la vaste étendue sahélienne, les groupes de l’Aqmi – dont l’effectif se situerait entre 200 et 250 – ne sont qu’un des acteurs gris parmi d’autres. Une intrusion française ouverte serait totalement contreproductive et servirait, comme l’action de Bush ailleurs, de machine à recruter des terroristes. L’Algérie, on le sait, est hostile à une intervention extérieure et estime qu’il revient aux seuls Etats de la région d’assurer la sécurité du Sahel.
Les «spécialistes» français et «l’hégémonie» algérienne
Dans le discours des «spécialistes» français, cette insistance de l’Algérie à limiter le champ des interventions étrangères est présentée comme une volonté d’assurer une «hégémonie» sur la région. En réalité – on l’a suffisamment vu –, la France est très influente dans la région et peut, en mésusant de cette influence – perturber les efforts de coordination qui sont laborieusement mis en œuvre. En tout état de cause, le traitement des questions de sécurité dans le Sahel, qui ne se limitent pas à l’Aqmi, n’est pas une affaire de raid et encore moins d’une équipée consistant à parachuter des groupes de légionnaires.
Les propos de Kouchner, intervenant après une tournée au Sahel où il s’agissait notamment de calmer la colère des Maliens, traités dans l’affaire du raid comme des «mouchards» potentiels de l’Aqmi, paraissent comme une prise en compte de la réalité du terrain. «Notre plan, c’est d’abord de renforcer nos défenses, de dire aux Français qui résident en Mauritanie, au Niger et au Mali d’éviter les zones dangereuses bien répertoriées, d’être très prudents (…), de sécuriser nos ambassades et nos antennes diplomatiques mais aussi nos lycées et nos centres culturels».
Le ministre français donne ainsi un contenu plus «classique» de la lutte contre l’Aqmi. «Nous allons poursuivre et renforcer notre lutte contre l’Aqmi. Nos militaires forment déjà des forces d’intervention locales, mais cela ne peut se faire qu’avec le soutien – et a fortiori l’accord – des gouvernements locaux».
Paris n’aime pas la vision sahélienne stricte d’Alger
Bernard Kouchner donne cependant une image de toute évidence démesurée de ce que représente réellement l’Aqmi au Sahel. «Le danger est réel, Al-Qaïda au Maghreb islamique se nourrit de la pauvreté, de la misère. Elle a recruté des gens qui viennent du monde entier : on dit qu’il y a des Afghans dans ses rangs, des Yéménites, des militants qui viennent d’Afrique noire. Et elle sous-traite à des criminels locaux certaines de ses actions, comme les enlèvements. Oui, c’est inquiétant», juge-t-il.
Le «on dit» dans la bouche d’un responsable officiel a quelque chose d’étonnant, mais il est compréhensible que la France, qui a d’importants intérêts économiques dans le Sahel, s’inquiète de voir ses citoyens menacés dans la région. Sans évoquer la quête d’hégémonie régionale que prêtent les spécialistes français à l’Algérie, le ministre français s’en prend de facto à l’approche algérienne qui entend limiter strictement l’action antiterroriste aux seuls pays de la région du Sahel.
«Il est essentiel qu’il y ait une collaboration plus étroite entre les pays de la région. Car il n’y a pas que le Niger, la Mauritanie et le Mali. Il y a aussi l’Algérie, le Maroc, la Libye, et même le sud de la Tunisie à être plus ou moins concernés par la situation. Les terroristes jouent là-dessus, ils se fichent pas mal des frontières qu’ils franchissent allégrement. Nous parlons d’une zone grande comme cinq ou six fois la France. Il y a des progrès à faire dans la mutualisation des moyens».
A l’évidence, la présumée tentation «hégémonique» de l’Algérie n’en finira pas de se heurter, même à fleurets mouchetés, à la volonté de «supervision» française.
Le Quotidien dOran, 2/8/2010
Jusque-là, le ton des responsables français, qui ont tenu deux conseils de sécurité et de défense en une semaine, était plutôt martial. Le président français, Nicolas Sarkozy, avait en effet évoqué des représailles contre l’Aqmi. «Le crime ne sera pas impuni», tandis que son Premier ministre, François Fillon, soulignait que la «France était en guerre contre Al-Qaïda». Entre la déclaration de guerre et l’envoi de troupes pour ferrailler directement contre les terroristes de l’Aqmi, il n’y a qu’un pas… Le raid franco-mauritanien au nord du Mali ne serait ainsi que l’inauguration d’une présence militaire plus soutenue. L’agenda politique intérieur d’un président français en quête de rétablissement d’une popularité en chute libre pouvait en effet donner lieu à des actions «à la Bush». Sauf que le terrain n’est pas le même. Bush s’est attaqué à des Etats et a contribué à fabriquer le terrorisme, la France n’a pas d’Etat à attaquer.
Dans la vaste étendue sahélienne, les groupes de l’Aqmi – dont l’effectif se situerait entre 200 et 250 – ne sont qu’un des acteurs gris parmi d’autres. Une intrusion française ouverte serait totalement contreproductive et servirait, comme l’action de Bush ailleurs, de machine à recruter des terroristes. L’Algérie, on le sait, est hostile à une intervention extérieure et estime qu’il revient aux seuls Etats de la région d’assurer la sécurité du Sahel.
Les «spécialistes» français et «l’hégémonie» algérienne
Dans le discours des «spécialistes» français, cette insistance de l’Algérie à limiter le champ des interventions étrangères est présentée comme une volonté d’assurer une «hégémonie» sur la région. En réalité – on l’a suffisamment vu –, la France est très influente dans la région et peut, en mésusant de cette influence – perturber les efforts de coordination qui sont laborieusement mis en œuvre. En tout état de cause, le traitement des questions de sécurité dans le Sahel, qui ne se limitent pas à l’Aqmi, n’est pas une affaire de raid et encore moins d’une équipée consistant à parachuter des groupes de légionnaires.
Les propos de Kouchner, intervenant après une tournée au Sahel où il s’agissait notamment de calmer la colère des Maliens, traités dans l’affaire du raid comme des «mouchards» potentiels de l’Aqmi, paraissent comme une prise en compte de la réalité du terrain. «Notre plan, c’est d’abord de renforcer nos défenses, de dire aux Français qui résident en Mauritanie, au Niger et au Mali d’éviter les zones dangereuses bien répertoriées, d’être très prudents (…), de sécuriser nos ambassades et nos antennes diplomatiques mais aussi nos lycées et nos centres culturels».
Le ministre français donne ainsi un contenu plus «classique» de la lutte contre l’Aqmi. «Nous allons poursuivre et renforcer notre lutte contre l’Aqmi. Nos militaires forment déjà des forces d’intervention locales, mais cela ne peut se faire qu’avec le soutien – et a fortiori l’accord – des gouvernements locaux».
Paris n’aime pas la vision sahélienne stricte d’Alger
Bernard Kouchner donne cependant une image de toute évidence démesurée de ce que représente réellement l’Aqmi au Sahel. «Le danger est réel, Al-Qaïda au Maghreb islamique se nourrit de la pauvreté, de la misère. Elle a recruté des gens qui viennent du monde entier : on dit qu’il y a des Afghans dans ses rangs, des Yéménites, des militants qui viennent d’Afrique noire. Et elle sous-traite à des criminels locaux certaines de ses actions, comme les enlèvements. Oui, c’est inquiétant», juge-t-il.
Le «on dit» dans la bouche d’un responsable officiel a quelque chose d’étonnant, mais il est compréhensible que la France, qui a d’importants intérêts économiques dans le Sahel, s’inquiète de voir ses citoyens menacés dans la région. Sans évoquer la quête d’hégémonie régionale que prêtent les spécialistes français à l’Algérie, le ministre français s’en prend de facto à l’approche algérienne qui entend limiter strictement l’action antiterroriste aux seuls pays de la région du Sahel.
«Il est essentiel qu’il y ait une collaboration plus étroite entre les pays de la région. Car il n’y a pas que le Niger, la Mauritanie et le Mali. Il y a aussi l’Algérie, le Maroc, la Libye, et même le sud de la Tunisie à être plus ou moins concernés par la situation. Les terroristes jouent là-dessus, ils se fichent pas mal des frontières qu’ils franchissent allégrement. Nous parlons d’une zone grande comme cinq ou six fois la France. Il y a des progrès à faire dans la mutualisation des moyens».
A l’évidence, la présumée tentation «hégémonique» de l’Algérie n’en finira pas de se heurter, même à fleurets mouchetés, à la volonté de «supervision» française.
Le Quotidien dOran, 2/8/2010