– Mme Clinton effectue une visite dans la région qui va la conduire vendredi à Tunis avant de rejoindre le Maroc en passant par Alger… Qu’est-ce qui fait tant courir, selon vous, la chef de la diplomatie américaine, attendue samedi à Alger ?
Mme Clinton a tardé à venir à Alger et notre président n’a pas été invité à effectuer une visite officielle aux USA, depuis 12 ans que les Algériens l’attendent. Ainsi, si je devais mesurer cette visite par rapport à nos échanges – l’Algérie est le second partenaire économique arabe et africain des USA – et à l’engagement reconnu dans la lutte contre le terrorisme international, le niveau des officiels américains reste en deçà de ce que l’Algérie est en droit d’attendre. Toutefois, nous avons, en Algérie, une forte propension à surdimensionner des activités diplomatiques somme toutes normales dans les relations internationales. Cela est-il dû à un besoin de reconnaissance ou bien à un usage exagéré de la diplomatie en politique intérieure ou encore tout simplement à couvrir l’indigence de vie politique chez nous ?
– Pensez-vous que Mme Clinton vient «forcer» la main à l’Algérie pour accélérer le processus de normalisation de ses relations avec ses voisins, notamment la Libye et surtout le Maroc ?
Je pense que les Américains sont en train de tirer profit d’une rente de conjoncture, résultat de leur soutien aux révoltes populaires dans le Monde arabe et du dialogue politique qu’ils ont engagé avec les talibans. Cela a déjà eu pour effet d’atténuer l’antiaméricanisme engendré par le soutien inconditionnel des USA à Israël. A ce titre, les relations intermaghrébines sont un exercice, pour la diplomatie américaine, pour mesurer son degré d’influence dans la région, qui reste limité à mon sens. La frontière algéro-marocaine ou la situation en Libye ne sont pas une priorité de la politique étrangère américaine, mais plutôt celle de la diplomatie française, bien plus présente et plus influente dans notre région. L’ambassadeur US en Algérie, dans une récente déclaration à un quotidien algérien, a fait une sorte d’offre de médiation entre l’Algérie et le Maroc. Pour sa part, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a déclaré récemment que les relations entre les deux voisins n’éprouvent pas le besoin d’une médiation étrangère, américaine ou saoudienne. Le Premier ministre a raison car, pour le principe, rien n’appelle une médiation entre des pays qui ont des relations diplomatiques et échangent de visites de haut niveau. Ces offres de médiation reviennent de façon récurrente et sont souvent lancées comme des ballons-sondes dans la presse et ne sont formalisées que si elles rencontrent un écho favorable. Certains pays du Golfe parmi les plus influents, notamment l’Arabie Saoudite depuis près de 30 ans et le Qatar ces dernières années, en font un argument de politique étrangère. Elles ne visent en fait qu’à créditer l’idée que le problème du Sahara occidental n’est pas une question de décolonisation mais un différend algéro-marocain, disqualifiant en conséquence le processus onusien et rendant ainsi l’Algérie responsable du blocage de l’UMA. La campagne sur le prétendu coût du «non-Maghreb» s’inscrit d’ailleurs dans cet esprit et a même réussi à séduire beaucoup d’opérateurs économiques algériens.
– L’Administration américaine, tout comme l’UE d’ailleurs, ont soutenu et encensé, plus d’une fois, les «réformes» engagées par l’Algérie. Quel type de «retour sur investissement» escompte l’Administration US ? Autrement dit, quel est le prix réel de ce «soutien» ?
L’accélération de l’histoire dans notre région a surpris tout le monde, y compris les Américains et les Européens, mais ils ont su l’accompagner en préservant l’essentiel de leurs intérêts diplomatiques et économiques. Ils ont gagné la sympathie d’une bonne partie des populations et ne se comportent pas de la même façon avec tous les pays de la région parce que ce sont des gens pragmatiques ; seuls leurs intérêts commandent leurs démarches. Même si je n’exclus pas que nos officiels informent les étrangers avant les Algériens – comme cela a été le cas concernant l’agrément de nouveaux partis islamistes – je ne pense pas que l’Algérie négocie son agenda avec les Américains ou les Européens. Chakib Khelil l’avait fait pour avoir la sympathie des Américains et des soutiens diplomatiques conjoncturels, avec les conséquences sur le secteur énergétique que tout le monde connaît.
Mohand Aziri
El Watan, 23/2/2012
Visited 1 times, 1 visit(s) today
Publicités
Soyez le premier à commenter