Par Kamel Amghar
Au mois d’octobre de l’année dernière, trois humanitaires européens (une Italienne et deux Espagnols) ont été enlevés au camp de réfugiés de Rabouni, près de Tindouf, par un commando terroriste se revendiquant d’Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). C’est le premier kidnapping visant des étrangers dans cette zone. La diplomatie marocaine, extrêmement hostile au Polisario, saute immédiatement sur l’occasion pour évoquer la complicité des responsables sahraouis dans ce rapt très médiatisé outre-mer. Dans les semaines qui ont suivi, de nombreux journalistes ont largement spéculé sur cette supposée connivence entre le service de sécurité du camp et les ravisseurs.
Exploitant cette ébullition médiatique, le Makhzen pousse sa propagande un peu plus loin pour impliquer tout l’organigramme de la République arabe sahraouie et démocratique (Rasd) qui lutte depuis 1975 pour l’indépendance de ce territoire annexé de force par les forces royales marocaines suite au retrait espagnol de la région. Cet activisme marocain vise maladroitement à présenter les résistants du Polisario comme des terroristes ou des alliés d’Al Qaïda afin de fragiliser leurs positions dans les négociations informelles, toujours en cours, entre les deux parties. Malgré toutes les assurances des responsables de la Rasd, le Maroc et ses relais en Occident entretiennent savamment la suspicion et persévèrent dans cette cabale pour discréditer leurs vis-à-vis. A supposer que des agents de sécurité du camp aient vraiment livré les otages, cela engendre naturellement de lourdes responsabilités pour les autorités sahraouies. Mais de là à comparer le Polisario et la Rasd à Al Qaïda, la ficelle est manifestement trop grosse. Si l’on doit juger les choses de la sorte, des accusations similaires peuvent être portées contre de nombreux Etats comme le Niger, le Mali, la Mauritanie, l’Egypte, la Tunisie, l’Algérie et même le Maroc, où des enlèvements et des attentats pareils ont eu lieu à un moment ou un autre.
Le conflit du Sahara occidental, justement considéré par les instances internationales (UA, ONU) comme une question de décolonisation, constitue un sérieux obstacle à l’expansionnisme marocain. Prenant tardivement conscience de ce fait, le roi Hassan II, après des décennies de fuite en avant, était d’ailleurs acquis à l’idée d’un référendum d’autodétermination, tel que suggéré par l’Assemblée onusienne. L’intronisation ultérieure de Mohamed VI a été accompagnée d’un recul scandaleux sur ce dossier. Ne voulant pas renoncer à ce bout de territoire spolié, le nouveau souverain lui suggéra l’autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine. Une option rejetée dès le départ par les représentants légitimes du peuple sahraoui mais que les alliés du Maroc (la France et les Etats-Unis, notamment) s’efforcent de maintenir sur la table des négociations. S’accrochant à ce triste épisode de l’enlèvement des trois humanitaires, Américains et Français exercent sur les autres pays du Maghreb, en particulier, et l’ensemble de la communauté internationale, de manière générale, d’énormes pressions dans le but d’entacher le combat des Sahraouis pour la liberté et l’indépendance.
Lors de sa récente tournée dans la région, la première responsable du département d’Etat US, Hillary Clinton, a laissé entendre que la lutte antiterroriste dans la région du Sahel devrait être étendue aux territoires sahraouis occupés. «Nous avons beaucoup discuté de la question sécuritaire, notamment au Sahel. Nous voulons élargir cette coopération à d’autres pays de la région», dira-t-elle à l’issue de son entretien avec le conseiller du Roi et son ancien chef de la diplomatie, Taieb Fassi Fihri. Une façon, à elle, de donner carte blanche aux services de sécurités marocains dans leur triste œuvre de répression du mouvement indépendantiste. Comme en Palestine, les puissants de ce monde peuvent toujours «taxer» de terrorisme la résistance et la lutte pour la liberté, mais sans jamais parvenir à en éteindre la flamme. Toutes les consciences encore libres de ce monde savent distinguer entre les deux. La cause des Sahraouis, comme celle des Palestiniens, est juste. Aucun mensonge ne peut attenter à sa légitimité.
La Tribune d’Algérie, 4/3/2012