Après la période de crise, traduite notamment par la tension autour des matchs de football entre les deux équipes nationales du temps de Hosni Moubarak, puis le froid pendant le court mandat de Mohamed Morsi, voici venu le temps des alliances et des accords parfaits sur plusieurs sujets stratégiques.
Par Nabil Benali
Aujourd’hui, Alger et le Caire constituent un axe inédit dans le monde arabe dans une entente favorisée par les conditions exté- rieures et les conséquences du “printemps arabe”. Il faut rappeler que l’axe Alger- Le Caire est de plus en plus actif à l’échelle régionale, arabe et afri- caine depuis l’avènement d’Al Sissi au pouvoir. Ce dernier, certes, épaulé par l’Arabie Saoudite, développe néanmoins de réelles velléités d’autonomie par rapport au puissant voisin du Golfe et non moins leader conjoncturel, mais de fait, de la Ligue arabe. Avec le retour des militaires aux commandes depuis l’éviction de Mohamed Morsi, le Caire veut reprendre la place qui fut la sienne dans la Ligue arabe et sa place incontournable dans les dossiers régionaux.
Aussi, la première visite d’Al Sissi dès sa réélection, et cela a surpris bon nombre d’observateurs, n’a été ni pour Ryadh, ni pour Washington, ni ailleurs, mais pour Alger où il a demandé audience à Abdelaziz Bouteflika. Cela avait eu lieu juste après les élections présidentielles égyptiennes et à la veille du som- met de l’Union africaine où l’Algérie, avec l’Afrique du Sud, l’autre allié infaillible d’Alger, sont les deux poids lourds du Continent noir. Dans les milieux diplomatiques égyptiens, du temps de Hosni Moubarak, on jalousait souvent en silence Alger pour son influence sur les ins- tances grandissantes. Mais cette rivalité n’a plus d’importance pour les nouvelles autorités égyptiennes, qui entendent bénéficier du soutien de l’Algérie, qui aura été en fin de compte, du moins diplomatiquement, le grand béné- ficiaire du “printemps arabe”. Le retour de l’Egypte sur la scène africaine est un des dos- siers qui ne pouvait se faire sans le soutien de l’Algérie. Mais il y a aussi le chaos en Libye et la menace terroriste que cela repré- sente pour les Etats voisins. Depuis, Alger, le Caire et Tunis aussi multiplient les initiatives pour trouver une solution politique en Libye et, à défaut, une sortie de crise sécuritaire. On soupçon- ne notamment, et à juste titre, les voisins de la Libye de privilégier les scénarios qui empêchent la prise du pouvoir par les djiha- distes, source d’instabilité déjà suffisamment importante pour la région.
On a pu constater aussi une parfaite entente entre Alger et le Caire sur le dossier palestinien, lors de de la guerre contre Ghaza, malgré toutes les tentatives de pressions de certains pays arabes qui soutiennent les cou- rants islamistes : les deux pays étaient opposés à cette énième agression contre le peuple pales- tinien, mais refusaient d’en faire un prétexte pour s’immiscer dans les affaires palestiniennes et s’en tenir à la nécessité de décisions palestiniennes concertées entre les deux principales forces, Fatah et le Hamas. Aujourd’hui, encore, on consta- te l’efficacité de l’axe algéro-égyp- tien avec les pressions améri- caines pour lever une coalition arabe contre l’Etat islamique en Irak et en Syrie. Vendredi, à l’issue de La réunion à Jeddah des ministres des Affaires étrangères des pays arabes, ce sont notamment les pays du Golfe et leurs alliés dans le Moyen-Orient, qui ont décidé de s’engager aux côtés des Etats- Unis contre l’Etat islamique (Daech). Il s’agit de l’Arabie saou- dite, du Bahreïn, des Emirats arabes unis, du Koweït, du Qatar, d’Oman, de l’Irak, de la Jordanie et du Liban. Ces pays “ont déclaré leur engagement partagé de se tenir unis contre la menace que pose, pour la région et le monde, le terrorisme sous toutes ses formes, y compris le soi-disant EI”, précise le communiqué de la Ligue arabe. On remarquera qu’il n’y a aucun pays maghrébin dans le lot. Mais surtout que l’Egypte, qui figu- rait sur la liste énoncée par le communiqué, a finalement fait marche arrière. Malgré les pres- sions de John Kerry sur Abdelfattah Al Sissi, il semble que le Caire n’est pas disposé à faire plus que de demander à son mufti. En tous cas, le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Chokri a exclu la participation de son pays à une action militaire dans le cadre de la coalition inter- nationale pour combattre les orga- nisations terroristes. Il rejoint en cela la position algérienne, qui n’engage jamais ses forces armées en dehors de son territoi- re, comme on a pu le constater lors de la crise malienne. Pour l’heure, les intérêts mutuels de l’Algérie et de l’Egypte fonction- nent suivant une équation simple. Alger a permis au Caire de faire l’équilibre de ses forces au plan africain, tandis que la dynamique inverse s’est produite au niveau de la Ligue arabe. Depuis, on sent comme une guerre de positions et d’influence entre les deux sphères du monde arabe, ceux du Mashrek et ceux du Maghreb, avec pour enjeu la situation en Libye. Car si d’aventure la stabilité était enfin rétablie en Libye avec un gouver- nement qui aurait autre priorité que d’exporter le djihad, alors on assistera à une situation inédite dans le monde arabe et une pola- risation nouvelle dans laquelle le Maroc ne pourrait plus longtemps tenir son équilibre entre ses voi- sins directs et les monarchies avec lesquelles il trouve toujours quelques affinités.
N. B.
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