Source de tensions et de problèmes, la question du Sahara occidental n’est pas sujette à débat au sein de la société marocaine. Pour les autorités, ce territoire d’environ 266 000 km2 fait partie intégrante du territoire national, d’où son occupation et la répression permanente et violente des partisans de l’indépendance.
Hilt Teuwen est Secrétaire générale du Comité belge de soutien au peuple sahraoui. Nous l’avons rencontrée pour dresser l’état d’une situation disparue depuis longtemps des radars des médias.
Frédéric Lévêque
Pouvez-vous nous rappeler le statut juridique du Sahara occidental ?
Le Sahara occidental est considéré par les Nations Unies comme un « territoire non autonome ». Après la mort de Franco, l’Espagne décide de céder sa souveraineté sur ce territoire. Elle est censée organiser l’exercice du droit à l’autodétermination des Sahraouis, alors qu’en même temps elle conclut un accord tripartite avec le Maroc et la Mauritanie dans lequel le territoire est divisé et donné à ces deux pays. Lorsque le colonisateur s’en va en 1976, le Sahara occidental sombre dans un conflit armé opposant le mouvement de libération du Sahara occidental, le Front Polisario, et le Maroc.
Un référendum d’auto-détermination devait se tenir à la suite de ce conflit armé ?
En 1991, la résistance sahraouie dépose les armes, suite à la promesse des Nations Unies d’organiser un référendum. Très vite, après le cessez-le-feu, le processus est bloqué par les autorités marocaines. A ce jour, elles refusent de reconnaître qu’un référendum puisse inclure l’option d’indépendance du Sahara occidental.
L’ONU est pourtant sur place et devait organiser ce référendum.
Oui, c’est le rôle assigné à la mission des Nations Unies, la MINURSO. Son maintien sur place (506 personnes) coûte 60 millions de dollars par an alors que la somme de l’aide des Nations Unies et de l’Europe à la population tourne annuellement autour de 39 millions de dollars.
Donc, depuis 1991, la MINURSO surveille les activités des forces en présence ainsi que la préparation du référendum sur le statut final de la zone. Son mandat n’inclut pas la protection des droits de l’homme. Elle devait organiser le référendum en 1992 mais ne fait que superviser le cessez-le-feu le long du Mur de la honte.
Encore un mur ! Quelle est sa fonction ?
Le Maroc contrôle et administre de facto environ 80 % du territoire, tandis que le Front Polisario en contrôle 20 %. Pour empêcher ses incursions, le Maroc a construit un mur de sable long de 2 720 km dans une zone démilitarisée mais surveillée constamment par 160 000 militaires marocains lourdement armés. Le Mur de la honte est le plus long mur de défense dans le monde et divise un territoire et son peuple. Il y aurait quelque 7 millions de mines anti-personnelles le long de ce mur sans qu’on en connaisse leur emplacement, qui continuent à faire des victimes.
Un mur, un territoire occupé, des réfugiés, un peuple dépendant de l’aide alimentaire, … le parallèle est vite fait avec la Palestine.
Il y a une grande similitude entre ce mur et celui ceinturant la Cisjordanie qui, rappelons-le, a été condamné par la Cour internationale de justice (CIJ). Comme l’Etat d’Israël, le Maroc encourage financièrement des Marocains à aller vivre en « territoires occupés ». Actuellement, le rapport est tel qu’il y a pour un Sahraoui, au moins trois Marocains. Le parallèle est pertinent aussi en matière économique : des produits alimentaires – tomates, melons, sardines – arrivent sur les étals européens libellés comme des produits marocains, alors qu’ils viennent du Sahara occidental. Cette pratique est interdite par des lois européennes et internationales.
Qu’en est-il du respect des droits de l’Homme ?
D’abord, rappelons que le Maroc est tenu par la 4e Convention de Genève de respecter les droits de la population dans les territoires sous son occupation. Les Etats parties à cette Convention sont tenus de la faire respecter.
Depuis l’occupation marocaine en 1976, de nombreux Sahraouis ont fui la brutalité de l’armée marocaine, mais 38 ans plus tard, ils sont encore plus nombreux à être nés dans les camps de réfugiés sans jamais avoir connu « leur » pays. Chaque famille sahraouie a vécu la séparation, et ils sont des centaines à manquer à l’appel, la découverte de fosses communes avec des corps des disparus Sahraouis témoignent de leur destinée tragique.
Nombreux sont les rapports – comme le Rapport Tannock du Parlement européen en 2013 – qui mettent en avant les graves violations dans les territoires occupés par le Maroc et la situation humanitaire inacceptable dans les camps de réfugiés. Dans les territoires occupés, on parle de torture, d’emprisonnement sans procès équitable pour l’expression d’une opinion politique, de disparitions forcées. Les répressions violentes des manifestations pacifiques sont presque quotidiennes. Il ne faut même pas être militant défenseur des droits de l’Homme pour être agressé par la sécurité marocaine, le fait d’être sahraoui suffit souvent.
IL NE FAUT MÊME PAS ÊTRE DÉFENSEUR DES DROITS DE L’HOMME POUR ÊTRE AGRESSÉ PAR LA SÉCURITÉ MAROCAINE, LE FAIT D’ÊTRE SAHRAOUI SUFFIT SOUVENT.
Au-delà de la question nationale, quel est l’intérêt pour le Maroc de contrôler le Sahara occidental ?
Le Maroc fonde sa revendication territoriale sur la base de liens d’allégeance passés entre les tribus sahraouies et les sultans du Maroc, revendications non reconnues par la CIJ dans son avis en 1975. Mais le Maroc a un intérêt à contrôler ce territoire pour ses ressources naturelles, notamment le phosphate dont le gouvernement marocain s’accapare les bénéfices de l’exploitation. Selon une résolution de 2008 de l’Assemblée générale de l’ONU, le peuple sahraoui est le seul propriétaire de ses ressources naturelles. Il a le droit exclusif à en tirer parti et à en disposer selon ses intérêts.
Il y a aussi l’accord commercial controversé entre l’UE et le Maroc.
L’UE et le Maroc sont liés par un accord d’association, dont l’article 2 stipule que les droits de l’Homme « constituent un élément essentiel ». Mais l’occupation militaire marocaine fait apparaître une fois de plus l’écart existant entre l’énoncé de principes et l’action de l’UE. En 2013, l’UE a aussi conclu un accord de pêche avec le gouvernement marocain qui permet à des bateaux européens de pêcher dans les eaux territoriales du Sahara occidental. Cet accord ne fait pas de distinction entre les eaux adjacentes au Sahara occidental et les eaux adjacentes au territoire du Maroc. De plus, selon les termes mêmes de l’accord, les bénéfices devraient aller à la population du Sahara occidental, ce qui n’est pas vérifiable. Il est temps que l’UE agisse en conformité avec le droit international plutôt que de s’aligner sur les intérêts particuliers de certains de ses membres, notamment l’Espagne et la France.
Nos autorités sont donc complices.
Oui, sont complices tous les pays qui se taisent. Mais les pays clés pour trouver une solution sont l’Espagne, responsable de la décolonisation ; la France, qui bloque toute résolution s’opposant à la position marocaine au Conseil de Sécurité ; les Etats-Unis, qui n’utilisent pas leurs compétences pour mettre fin à cette occupation ; et l’UE qui conclut des accords économiques avec le Maroc sans respecter les droits du peuple Sahraoui.
P.-S.
Source : article publié dans dlm, Demain le monde, septembre-octobre 2014.
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