Le roi Mohammed VI parle de quarante années pour «libérer l’homme (au Sahara occidental), redonner sa dignité au citoyen…».
Mais, quand on sait que le Maroc a pénétré par les armes au Sahara en 1975, avec l’assentiment de l’Espagne, et non par une marche prétendument pacifique, quand on entend le roi dire que «le Maroc restera dans ‘‘son’’ Sahara… jusqu’à la fin des temps», on comprend qu’il ne s’agit pas de libération mais d’accaparement. Plus loin, Mohammed VI fait allusion au «partage des ressources» des Marocains du Nord «avec leurs frères du Sud»… Mais il n’y a pas de partage, puisque les ressources naturelles du territoire, pêche, phosphates, produits agricoles cultivés sous serres sont accaparés par des potentats locaux ou venant des «provinces du Nord», par les domaines royaux ou encore par des entreprises au capital mixte (marocain et étranger), puis très largement, sinon exclusivement réexpédiés vers le Nord, au Maroc et au-delà.
Ces «investissements», ces «coûts de développement supportés par les Marocains» servent tout bonnement à entretenir une occupation de type colonial. En effet, les Sahraouis n’ont nullement demandé que le Maroc leur apporte sa précieuse manne. Ils demandent à pouvoir choisir le ou les modes d’exploitation de leurs ressources naturelles, et la manière dont ils pourraient en tirer profit, comme y invite le droit international. En outre, il est «un fait que ce que produit le Sahara ne suffit pas à satisfaire les besoins de base de ses populations» : le chômage endémique, la dégradation de la situation sociale caractérisent le territoire. Mohammed VI s’en prend ensuite à «l’instrumentalisation des droits de l’homme», affirmant que le Maroc dispose de tous les instruments, «dont le sérieux et la crédibilité sont reconnus internationalement», pour traiter de ces questions. Il se veut donc juge et partie.
Mais les faits prouvent le contraire de ce qu’il affirme :
– Arrestations arbitraires, mauvais traitements sur des manifestants sahraouis qui revendiquent pacifiquement leur droit à l’autodétermination ; mauvais traitements et négligence qui peuvent mener jusqu’à la mort en prison, comme dans le cas de Hassana El Ouali, décédé le 27 septembre à l’hôpital militaire de Dakhla, et sans que son corps soit rendu à sa famille.
– Condamnations de civils sahraouis à des peines de prison qui peuvent être très lourdes (25 ans, 30 ans, jusqu’à perpétuité) lors de procès où les seules «preuves» sont constituées par des aveux arrachés sous la torture – et bien sûr en l’absence de tout avocat –, en un mot des procès inéquitables comme celui de Gdeim Izik en février 2013, qui en outre a eu lieu devant un tribunal militaire, sans possibilité d’appel.
– Verrouillage de l’accès au Sahara occidental pour les observateurs internationaux et les amis des militants sahraouis des droits de l’homme, avec expulsions manu militari.
Et si le Maroc «refuse la politique de minimisation de ses initiatives et de dramatisation des événements qui se produisent dans les provinces du Sud, en échange du silence et de la compromission par rapport à ce qui se passe à Tindouf», c’est simple : qu’il accepte, à l’instar du Front Polisario, la surveillance des droits de l’homme par la Minurso dans la partie qu’il occupe au Sahara comme dans les camps de réfugiés sahraouis en Algérie, et les choses pourront être clairement établies !
C’est lorsqu’il aborde la question des négociations que le roi du Maroc manifeste la plus grande hostilité envers l’ONU, ses représentants et ses procédures. Ainsi, il refuse d’admettre que le conflit du Sahara occidental est une affaire de décolonisation, alors que c’est exactement sous ce chapitre que la question est arrivée à l’ONU, en 1965, et qu’elle y est toujours traitée aujourd’hui, comme viennent de le réaffirmer, en octobre 2014, l’Assemblée générale et la 4e Commission de décolonisation, pour lesquelles le Sahara est toujours un territoire non autonome.
La prétendue souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental n’a d’ailleurs été reconnue par aucun pays au monde. Et selon la Cour internationale de justice, le Maroc n’a pas de pouvoir administratif légal sur le Sahara, dans la mesure où la puissance coloniale, l’Espagne, en se retirant unilatéralement du territoire, n’a pu céder légitimement ce pouvoir administratif. Le Maroc essaie donc d’imposer ses propres conditions aux Nations unies et aux négociateurs, à savoir la seule proposition d’autonomie. Or l’autonomie n’est que l’une des trois possibilités de choix énoncées pour le référendum d’autodétermination décidé par l’ONU, les deux autres étant l’indépendance et l’intégration pure et simple au Maroc.
En outre, le Maroc ne pouvant offrir l’autonomie qu’à un territoire qui lui appartiendrait, c’est une véritable annexion programmée qu’il se propose de faire entériner par la communauté internationale ! Mais son arrogance va encore plus loin lorsque, sans le nommer, il attaque directement l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental, Christopher Ross, qui pratiquerait des «conceptions idéologiques et des orientations stéréotypées» dont le Maroc serait l’otage… Dernière manœuvre odieuse : celle qui consiste à vouloir absolument faire reconnaître l’Algérie comme partie au conflit. Ce dernier deviendrait alors un conflit «régional», et cela permettrait tout simplement de dénier le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.
On voit à quel point une telle fuite en avant est dangereuse. Or l’Union européenne a des responsabilités qu’elle doit assumer, s’agissant d’un partenaire, le Maroc, pour lequel l’UE est pourvoyeuse de fonds, d’un partenaire qui occupe illégalement le Sahara occidental, qui y viole les droits de l’homme impunément, et qui maintenant rejette le processus et le cadre établis par l’ONU pour le règlement pacifique du conflit, processus que l’UE soutient fermement depuis longtemps. Nous prenons à témoin les membres de l’Union face à une telle escalade et face aux menaces qu’elle représente pour les perspectives de solution pacifique du conflit…
Mohamed Sidati : Représentant du Front Polisario à l’Union européenne