FEDERICA MOGHERINI ET LA COMMISSION EUROPÉENNE RESTENT DE MARBRE – Bruxelles ne peut plus rien pour le Maroc sur la question sahraouie
De notre bureau de Bruxelles, Aziouz Mokhtari
L’Union européenne est contrainte d’évoluer à visage découvert concernant le dossier du Sahara occidental. Les partisans et les parrains de la marocanité de ce territoire, identifié comme «non-autonome» et relevant de la doctrine des Nations-Unies en matière de décolonisation, le savent si bien qu’ils s’obligent et obligent leurs soutiens à sortir du bois. L’heure est grave, il est vrai, pour eux et pour le palais royal à Rabat.
L’histoire s’accélère et des faits majeurs se déroulent qui indiquent, nettement, une évolution vers une entrée massive et déterminante de l’ONU pour trancher. Il y a eu, tout d’abord, la colère du SG Ban-Ki-moon lors de la visite de Mohammed VI à Laâyoune occupé. Le patron de l’instance onusienne, asiatique, taiseux et si peu sanguin d’habitude, n’a pu —ou voulu— en cette circonstance cacher son désappointement. Dans la soirée même, il publie un communiqué dans lequel il tance le Maroc. Dans le court message, Moon indique que Christopher Ross reste l’envoyé spécial et son représentant personnel sur le dossier. Pour mieux faire comprendre que la récréation était finie, il précise que lui-même se déplacera dans la région pour superviser la suite des opérations. Quelques heures plus tôt, pourtant, Rabat avait signifié qu’il ne voulait plus de Christopher Ross. Après la mise au point du patron de l’ONU et son accréditation par le Conseil de sécurité de l’ONU, Mohammed VI se le tint pour dit et prétexte une angine carabinée pour quitter Laâyoune précipitamment. Quelque chose venait d’arriver et d’important ! Le monarque avait vu juste. Quelques semaines après, la Cour européenne de justice rend un arrêt cinglant et historique. Les magistrats de la CJUE invalident l’accord agricole avec le Maroc englobant le Sahara occidental, considèrent que la Commission européenne a failli dans sa défense des intérêts des populations sahraouies et nomment, clairement, le Front Polisario comme représentant légitime pour toute négociation sur le territoire. Commerciale, politique ou diplomatique. Federica Mogherini, Madame Relations extérieures de la Commission européenne, fait une lecture correcte et intelligente de l’arrêt et ne se précipite pas d’aller en appel sachant, parfaitement, que les juges du Luxembourg ne pourront pas invalider en deuxième instance une décision alors qu’aucun élément ne sera présenté. Le plus dramatique en l’occurrence, est le caractère exécutoire de l’arrêt. Mogherini consent en traînant les pieds à interjeter appel pour amadouer un peu de la peine marocaine. Juste après, les Suédois, par le biais de leur Parlement, font savoir que la reconnaissance par leur gouvernement de la République sahraouie (RASD) était actée et qu’elle aura bel et bien lieu. Alors qu’une immense conférence à Madrid, épicentre de la question sahraouie, apporte un soutien sans faille aux résolutions de l’ONU et, notamment, à celle mentionnant le droit à l’autodétermination. Juste auparavant, à Bruxelles, l’Association «Juristes du monde» appelait l’Europe et l’Espagne à se conformer à la légalité internationale et à œuvrer pour l’application des recommandations onusiennes sans triches. Les institutions européennes ne peuvent plus rester dans leur cocon habituel consistant à ménager la chèvre et le chou. Les discussions avec le Maroc s’enveniment et Rabat se replie sur lui-même. Les représentations de l’Europe au Maroc sont boudées, les accords presque gelés et un chantage est exercé sur l’UE à partir des présides espagnols de Ceuta et Melila qui, soudain, s’ouvrent aux migrants subsahariens vers l’Europe. Bruxelles ne lâche pas pour autant. Avant-hier, le Parlement européen (PE) de Strasbourg- Bruxelles endossait une recommandation pour l’extension du mandat de la Minurso (Mission des Nations- Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental) à la défense des droits de l’Homme, au même moment, une délégation du Congrès américain, composée de Républicains et de Démocrates, organisait un voyage et un séjour dans les camps des réfugiés sahraouis. Rachida Dati, euro-députée franco- marocaine, s’inquiète pour les intérêts du Makhzen, l’un de ses employeurs, et interpelle Federica Mogherini pour en savoir davantage sur les intentions de la Commission européenne au cas où l’appel interjeté contre l’arrêt de la Cour de justice venait à confirmer le premier jugement. Madame Dati devine, évidemment, que les magistrats de Luxembourg-City ne feront pas de cadeau à Mohammed VI. Elle met donc de la pression politique sur l’Union européenne.
A. M.
Le Soir d’Algérie, 17/01/2016