En 2015, le bilan du Maroc en matière de droits humains a été marqué par un recul dans plusieurs domaines, et des progrès dans quelques autres domaines. Les restrictions imposées aux groupes nationaux et internationaux de défense des droits humains ont été renforcées ; au moins deux Marocains ont passé l’année en prison pour dénonciation « calomnieuse » de la torture, et nombreux sont ceux qui ont continué à purger de longues peines après des procès inéquitables pour des délits de nature politique. Les autorités ont souvent toléré les manifestations de protestation, sauf au Sahara occidental où les rassemblements en faveur de l’autodétermination du territoire contesté ont été systématiquement interdits.
Dans une perspective plus positive, une nouvelle loi mettant fin aux procès militaires d’accusés civils est entrée en vigueur, et pour la première fois, les autorités ont octroyé une reconnaissance légale à une organisation de défense des droits humains au Sahara occidental dirigée par des personnes critiques à l’égard de la souveraineté du Maroc sur ce territoire. Le Maroc a accordé un statut juridique temporaire à des demandeurs d’asile reconnus par les Nations Unies et à des milliers de migrants économiques, en attendant une révision de ses lois sur le droit d’asile et le statut des étrangers sur le sol marocain.
Liberté d’expression
Les lois qui pénalisent des actes considérés comme portant atteinte au roi, à la monarchie, à l’islam, ou à la revendication de souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental ont limité les droits à l’expression, la réunion et l’association pacifiques.
Les médias imprimés et en ligne indépendants ont continué de critiquer et d’enquêter sur les membres du gouvernement et leurs politiques, mais ont été confrontés à des poursuites et à du harcèlement s’ils critiquaient le roi ou ses conseillers. La loi sur la presse prévoit des peines de prison pour diffusion « de mauvaise foi » de « fausses informations » susceptibles, selon les autorités, de troubler l’ordre public, ou pour des propos jugés diffamatoires.
Les autorités ont arbitrairement imposé des obstacles administratifs au journaliste Ali Lmrabet afin de l’empêcher de lancer un nouvel hebdomadaire satirique à l’issue de sa peine de 10 ans d’interdiction d’exercice de sa profession de journaliste au Maroc. Le 16 février dernier, la police de Rabat a confisqué les enregistrements de deux journalistes de télévision français et les a expulsés du pays, au motif qu’ils avaient filmé au Maroc sans autorisation.
La télévision d’État marocaine offre une certaine marge pour le débat et le journalisme d’investigation, mais pas de latitude pour la critique directe de la monarchie ou les désaccords portant sur des questions clés.
Liberté de réunion et d’association
Les autorités ont toléré de nombreuses manifestations et rassemblements réclamant des réformes politiques et protestant contre les actions du gouvernement, mais elles ont dispersé par la force certains rassemblements pacifiques. Au Sahara occidental, les autorités ont interdit tout rassemblement public considéré comme hostile à la souveraineté contestée du Maroc sur ce territoire, recourant à de larges déploiements policiers qui bloquaient l’accès aux lieux des manifestations avant même que les manifestants aient même pu se rassembler.
Les autorités continuent de manière arbitraire d’entraver de nombreuses associations ou de les empêcher d’obtenir une reconnaissance légale, alors même que la constitution de 2011 garantit la liberté d’association. Cependant, les autorités marocaines ont autorisé l’Association sahraouie des victimes des violations graves des droits de l’Homme commises par l’État du Maroc (ASVDH) à s’enregistrer légalement en 2015, neuf ans après que cette organisation a déposé sa demande, et huit ans après qu’un tribunal a jugé que le gouvernement l’avait illégalement empêchée de s’enregistrer.
Le Maroc a également autorisé l’enregistrement de plusieurs associations, mais pas toutes, créées pour défendre les droits des migrants au Maroc. En juillet dernier, un tribunal de première instance à Tiznit a ordonné la dissolution de l’association Mémoire et droits d’Ifni, en partie au motif que cette dernière avait porté préjudice à « l’intégrité territoriale » du Maroc en affirmant les droits et l’identité de la population de la région d’Ifni.
Parmi les nombreuses associations qui se sont vu refuser une inscription légale se trouvent un grand nombre d’associations caritatives, culturelles et éducatives dont les dirigeants comprennent des membres d’Al-Adl wal-Ihsan (« Justice et spiritualité »), un mouvement national qui milite pour un État islamique et conteste l’autorité spirituelle du roi.
Les autorités ont interdit des dizaines d’activités préparées par des associations de défense des droits humains reconnues légalement, notamment l’Association Marocaine des Droits Humains (AMDH) et ses différentes sections. Au cours de ces 25 dernières années, les chercheurs d’Amnesty International et de Human Rights Watch ont pu travailler sans que le gouvernement marocain ne dresse d’obstacles significatifs sur leur route. Mais après avoir expulsé en juin dernier deux chercheurs d’Amnesty International, les autorités ont réclamé en septembre la suspension des activités de Human Rights Watch au Maroc dans l’attente d’un rendez-vous entre des représentants du gouvernement et l’organisation afin de discuter de son « parti-pris ». Au moment de la rédaction du présent rapport, les autorités marocaines n’avaient pas encore répondu aux propositions de rendez-vous formulées par Human Rights Watch.
En octobre dernier, l’historien Maâti Monjib, Hicham Mansouri, et trois autres militants associatifs ont été accusés par les autorités d’avoir reçu des financements étrangers afin d’« atteindre à la sûreté intérieure de l’État » et ils encourent jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Ils seront jugés en 2016 pour avoir formé des personnes à l’utilisation d’une application de « journalisme citoyen » pour smartphone, dans le cadre d’un projet financé par une organisation étrangère.
Le Maroc a expulsé plusieurs ressortissants étrangers qui se trouvaient au Sahara occidental dans le cadre de missions d’enquête, pour la plupart des citoyens européens qui soutenaient ouvertement l’autodétermination sahraouie.
Comportement policier, torture et système pénal
En juillet dernier, une nouvelle loi mettant fin aux procès militaires d’accusés civils est entrée en vigueur. Mbarek Daoudi, un militant sahraoui en attente de procès devant un tribunal militaire pour un délit mineur de possession d’armes depuis septembre 2013, a vu son procès transféré au tribunal de première instance de Guelmim, qui l’a condamné en mars à une peine de trois mois d’emprisonnement. Il a resté en détention jusqu’à un deuxième procès devant un tribunal d’Agadir qui l’a jugé coupable le 3 décembre et l’a condamné à cinq ans d’emprisonnement.
Vingt-deux autres Sahraouis ont continué à purger des peines de prison imposées en 2013 par un tribunal militaire, qui s’échelonnent entre vingt ans d’emprisonnement et la réclusion à perpétuité. Ces hommes, dont quelques militants connus, avaient été condamnés en lien avec les violences qui avaient éclaté le 8 novembre 2010, lorsque les autorités ont démantelé un camp de protestataires à Gdeim Izik, au Sahara occidental. Onze agents des forces de sécurité avaient été tués au cours de ces violences. Le tribunal militaire n’a pas enquêté sur les allégations faites par les accusés selon lesquelles les policiers les auraient torturés ou forcés à signer de faux aveux, en se basant presque uniquement sur ces aveux pour les condamner. Ces accusés n’ont pas bénéficié rétroactivement de la nouvelle loi mettant fin aux procès militaires d’accusés civils.
En novembre 2014, le Maroc a ratifié le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture (PFCT). Au moment de la rédaction du présent rapport, il n’avait pas désigné le Mécanisme de protection nationale envisagé dans le cadre du PFCT pour l’inspection des lieux de détention.
Les tribunaux n’ont pas respecté le droit des accusés à bénéficier d’un procès équitable dans les affaires de connotation politique ou sécuritaire. Les autorités ont continué de maintenir en détention des centaines d’islamistes soupçonnés de violences arrêtés au lendemain des attentats de Casablanca de mai 2003. Un grand nombre d’entre eux ont été condamnés lors de procès inéquitables après avoir été maintenus pendant des mois en détention secrète et soumis à de mauvais traitements et, dans certains cas, à la torture.
La police a arrêté des centaines d’autres suspects suite à d’autres attaques terroristes en 2007 et 2011. Les tribunaux ont condamné un grand nombre d’entre eux sur des accusations d’appartenance à un « réseau terroriste », de recrutement, de formation militaire, ou de préparation pour rejoindre des combattants islamistes en Irak, en Syrie ou ailleurs. La loi marocaine de 2003 sur la lutte contre le terrorisme contient une définition excessivement vague du « terrorisme » et autorise jusqu’à douze jours de détention en garde à vue.
Les tribunaux marocains continuent d’imposer la peine de mort, mais les autorités n’ont procédé à aucune exécution depuis le début des années 1990.
Le problème de la surpopulation carcérale est aggravé du fait que les tribunaux ont souvent recours à la détention provisoire des suspects dans l’attente de leur procès. Selon l’administration pénitentiaire, au 31 août, la population carcérale avait atteint 76 794 personnes, dont 41% en détention préventive, soit 31 334 personnes.
La militante de gauche Wafae Charaf a continué à purger une peine de deux ans de prison pour calomnie et « allégation mensongère » de délit, suite à une plainte qu’elle a déposée et selon laquelle des inconnus l’auraient enlevée et torturée à la fin d’une manifestation de travailleurs au mois d’avril 2014 à Tanger.
Oussama Husn, un militant du mouvement de jeunesse dit « du 20 Février », purgeait une peine de trois ans de prison prononcée en 2014 sur des chefs d’accusation semblables, après avoir mis en ligne une vidéo où il raconte avoir été enlevé et torturé par des inconnus. Les peines dans ces deux cas pourraient avoir un effet dissuasif sur les personnes souhaitant déposer plainte pour des abus commis par les forces de sécurité.
Droit à la vie privée
Les tribunaux marocains ont continué à emprisonner les personnes pour conduite homosexuelle en application de l’article 489 du code pénal, qui interdit « les actes impudiques ou contre nature avec un individu du même sexe ». En octobre, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU, dans ses observations finales sur le rapport périodique du Maroc, a recommandé « d’abroger sans délai » l’article 489.
Le 30 décembre 2014, la condamnation de deux hommes pour homosexualité prononcée par la juridiction de première instance a été confirmée par une cour d’appel d’Al Hoceima ; l’un des inculpés a été condamné à six mois d’emprisonnement, tandis que l’autre, également condamné pour tentative de corruption, a écopé de 12 mois de prison. En mai, un tribunal de première instance a condamné trois hommes de Taourirt à trois ans de prison pour homosexualité, peine que la cour d’appel d’Oujda a ramenée à quelques mois en juillet. Dans les deux cas, les condamnations se sont fondées sur des aveux sur lesquels les accusés sont revenus devant le tribunal.
À la suite d’une agression collective à caractère homophobe contre un homme dans les rues de Fès le 29 juin, le ministre de la Justice Mustapha Ramid a affirmé que les assaillants devraient être poursuivis mais a aussi fait des déclarations homophobes. Il a par exemple déclaré que les homosexuels devraient éviter de « provoquer » la société. Un tribunal a condamné deux hommes à des peines d’emprisonnement pour leur rôle dans l’agression.
La pénalisation de l’adultère et des relations sexuelles consensuelles entre personnes non mariées a un impact discriminatoire en matière de genre, les victimes de viol risquant ainsi de faire l’objet de poursuites si le violeur accusé est acquitté. Les femmes et les filles font également l’objet de poursuites en cas de grossesse et d’accouchement hors mariage.
En mai, la chambre d’appel du Tribunal de première instance de Rabat a confirmé la peine de dix mois de prison pour adultère et « complicité d’adultère » prononcée à l’encontre de Hicham Mansouri et l’une de ses amies. La police avait fait irruption chez lui et les aurait surpris dans une situation compromettante. Le tribunal avait écarté d’importants éléments de preuves à décharge. La manière dont la police a traité cette affaire, y compris sa surveillance de Mansouri, laisse à penser qu’il ait été poursuivi à titre de représailles pour ses activités militantes au sein de l’Association marocaine pour le journalisme d’investigation (AMJI).
En mars, la police de Casablanca a arrêté El-Mostafa Erriq, un membre de haut rang du mouvement islamiste d’opposition Justice et Spiritualité (Adl wal Ihsan), et une amie, soupçonnés d’adultère. Ils ont été relâchés trois jours plus tard, après que l’épouse d’Erriq a refusé de porter plainte.
Migrants et réfugiés
La mise en œuvre d’un plan de 2013 pour réviser les politiques nationales envers les migrants et les demandeurs d’asile s’est poursuivie, et certains droits fondamentaux leur ont été octroyés. L’agence marocaine chargée des réfugiés a délivré des permis de résidence d’une année renouvelable à plus de 500 réfugiés reconnus par le HCR. Au moment de la rédaction de ce rapport, le Maroc n’avait pas encore déterminé le statut qu’il accorderait à plus de 1 700 Syriens, que le HCR reconnaît comme des réfugiés présumés.
Le Maroc a également délivré, dans le cadre d’une opération de régularisation exceptionnelle qui a pris fin le 31 décembre 2014, des permis de résidence d’une année renouvelable à des milliers de migrants d’origine sub-saharienne qui n’étaient pas des demandeurs d’asile mais qui remplissaient certains critères du plan de 2013. Quelques Syriens ont également obtenu des permis de résidence d’une année grâce à cette opération.
Droits des femmes et des filles
La constitution de 2011 garantit l’égalité pour les femmes, « dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume ».
Le Code de la famille de 2004 a amélioré les droits des femmes en matière de divorce et de garde des enfants, mais il contient des dispositions discriminatoires pour les femmes en matière de succession et de procédures de divorce. Le code a élevé l’âge du mariage de 15 à 18 ans. Toutefois, les juges ont autorisé régulièrement des filles à se marier avant cet âge. Le Maroc n’a pas adopté de législation criminalisant les violences domestiques ou établissant des mesures de protection pour les victimes de violence domestique.
Employé(e)s domestiques
Malgré des lois interdisant le travail des enfants de moins de 15 ans, des milliers d’enfants en-dessous de cet âge — principalement des filles — travailleraient comme domestiques. Selon les Nations Unies, des organisations non gouvernementales et des sources gouvernementales, le nombre d’enfants travaillant comme domestiques a diminué ces dernières années.
Le droit du travail au Maroc exclut les travailleurs domestiques de ses mesures de protection, qui incluent notamment un salaire minimum, la limitation du temps de travail, ainsi qu’un jour de repos hebdomadaire. En 2006, les autorités ont présenté un projet de loi visant à réglementer le travail domestique et à renforcer les interdictions en vigueur portant sur les travailleurs domestiques âgés de moins de 15 ans. Le projet de loi a été révisé mais au moment de la rédaction de ce rapport, il n’avait pas encore été adopté.
Principaux acteurs internationaux
La France, proche allié du Maroc et sa principale source d’investissements étrangers, s’est abstenue de toute critique publique relative aux violations de droits humains dans le pays. Le Maroc et la France ont repris leur accord bilatéral de coopération judiciaire, que le Maroc avait suspendu en 2014, après qu’une juge d’instruction française a convoqué un commandant de police marocain lors de son passage en France sur la base d’une plainte déposée par une victime pour complicité de torture.
Suite à l’adoption d’un amendement par les deux pays, l’accord prévoit qu’un juge qui reçoit une plainte pour un crime commis dans l’autre pays informe immédiatement les autorités judiciaires de l’autre pays et envisage de transférer l’affaire aux tribunaux de ce pays en priorité. Cela conduirait à protéger les responsables marocains de la justice française.
Le Maroc a un piètre bilan en matière d’enquêtes et de poursuites relatives à la torture, et des victimes ont saisi les juridictions françaises en dernier recours. Lors d’une visite de deux jours de François Hollande à Tanger en septembre pour une réunion avec le Roi Mohamed VI, le président français a déclaré que les difficultés entre les deux pays « sont (…) dépassées », et a évité toute mention publique de préoccupations relatives aux droits humains.
Les États-Unis, également un proche allié du royaume, ont également évité toute critique publique du bilan du Maroc en matière de droits humains. En septembre, le Millenium Challenge Corporation, une agence américaine indépendante d’aide gouvernementale qui fournit des subventions aux pays « en fonction de leur engagement démontré pour la gouvernance juste et démocratique, la liberté économique et les investissements dans leur population », a accordé une aide de 450 millions dollars sur cinq ans au Maroc pour soutenir des réformes axées sur l’amélioration de l’éducation et de la productivité des terres. Le Maroc est le deuxième principal destinataire des aides de la MCC après la Tanzanie.
En avril, le Conseil de sécurité de l’ONU a renouvelé le mandat de la force de maintien de la paix au Sahara occidental (MINURSO), sans élargir ce mandat pour y inclure la surveillance du respect des droits humains, ce à quoi le Maroc est fortement opposé. Le Bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a mené une enquête sur la situation dans le Sahara occidental sous contrôle marocain ainsi que dans les camps sahraouis gérés par le Front Polisario près de Tindouf en Algérie, mais n’a pas publié de rapport sur son enquête.