Écrivain et grand reporter, auteur, il y a quelques années, d’un livre-interview avec Hassan II, Eric Laurent vient de publier aux éditions du Seuil, avec la journaliste Catherine Graciet, «Le roi prédateur». L’ouvrage dénonce l’affairisme de l’entourage du roi du Maroc et du souverain, lui-même. Celui qui passait jusque-là pour un journaliste laudateur du régime marocain, s’explique, longuement, sur le livre – interdit au Maroc, mais qui circule déjà, largement, sous le manteau – dans une interview à un grand hebdomadaire français.
Ainsi, et comme on lui demande si on peut pour autant parler de «hold-up», il souligne qu’à l’origine le propos n’était pas du tout d’écrire un livre sur la fortune du roi. «Nous voulions faire une sorte d’état des lieux de la monarchie marocaine, à l’heure des Printemps arabes, essayer de comprendre comment elle s’adaptait, quelle était sa marge de manoeuvre, dans quelle mesure elle parvenait à conserver sa légitimité. C’est au fil de notre enquête, à travers les témoignages recueillis que nous nous sommes rendus compte que le roi était à la tête d’une énorme fortune et surtout que celle-ci avait considérablement augmenté, en l’espace de quelques années, alors que les ressources et les revenus du pays sont assez faibles. Cela nous a surpris.
En creusant, nous nous sommes aperçus que les pratiques impulsées par le roi et son entourage relevaient, véritablement, d’une forme de détournement : sujets devenus les clients de sociétés royales en situation de quasi-monopole, captation,au profit de ces sociétés d’une partie importante des subventions de l’État et des fonds de la coopération, française ou européenne. On est vraiment dans la prédation.» À l’argument de la locomotive pour impulser les investissements, Eric Laurent rappelle que cet argument était déjà utilisé du temps d’Hassan II, «mais il ne tient pas davantage, aujourd’hui, qu’à l’époque. Le but de ces sociétés a toujours été d’augmenter la fortune royale. Hassan II avait le goût de l’argent et du luxe. Mais pas exclusivement. Sa priorité était de construire une monarchie stable et durable et d’asseoir sa légitimité, ce qui, à l’époque, n’allait pas de soi.
Mohammed VI, lui, n’a aucun intérêt pour la chose publique et pas la moindre fibre politique. Seules comptent les affaires.» Il souligne, par ailleurs, qu’un «investisseur étranger ne peut pas faire d’affaires au Maroc, s’il n’est pas en relation avec Mansour Majid, l’homme chargé de gérer la fortune du roi, Fouad Al-Himma, son conseiller politique, ou le souverain lui-même. Ce sont les trois hommes incontournables sans lesquels rien n’est possible. À l’étranger, c’est quelque chose dont on est très conscient, comme l’ont d’ailleurs révélé les télégrammes américains publiés dans le cadre de WikiLeaks.
Du côté des entrepreneurs marocains on note une certaine frilosité, un découragement certainement lié au nombre de plus en plus grand de secteurs confisqués.» Il estime, en outre, que l’affairisme et la prédation sont, aujourd’hui, le vrai talon d’Achille de la monarchie. «Dans le contexte social qui est celui du Maroc, cet enrichissement sans limite du souverain ne peut pas ne pas être ressenti comme une provocation et alimenter les extrémismes. C’est aller trop loin. Cela pose aussi une autre question : comment fait-on pour gouverner avec un groupe de conseillers qui ne sont qu’une bande de copains ? Depuis vingt-cinq ans, le roi se retranche derrière le même groupe qui lui sert en permanence de filtre. Ce groupe le protège sans doute, lui qui n’aime pas être exposé au regard des autres. Mais, il le maintient, aussi, dans une certaine immaturité, ce qui est très dommageable.».
Le mérite du livre de Catherine Graciet et d’Eric Laurent est de battre en brèche les arguments de pseudo économistes, experts et professeurs qui se répandent à longueur de colonnes dans certains quotidiens algériens pour vanter les «performances» de l’économie marocaine et surtout pousser l’Algérie à ouvrir ses frontières avec un pays, où la prédation domine et pleurent sur l’absence du non-Maghreb économique. Ces experts, la plupart installés au Canada et leur relais des suppléments économiques nationaux, vont jusqu’à demander à L’Algérie de retirer son soutien au peuple sahraoui et d’appuyer des solutions inacceptables et contraires au droit à l’autodétermination, au nom duquel elle est aujourd’hui indépendante.
Mokhtar Bendib
Le Courrier d’Algérie, 9/3/2012