Divergences entre Alger, Paris et Rabat : Une réalité détaillée par Wikileaks

Il y a quelques jours le site américain «Wikileaks» a bouleversé le monde avec des révélations qui seraient obtenues des différentes ambassades américaines. mais est-ce que ces «informations» qui risquent de compliquer les relations internationales sont vraiment porteuses de nouveauté ?

En réalité, un simple regard sur les relations «diplomatiques» entre les différentes capitales et dirigeants de plusieurs pays cités par ce site, le constat fait par plusieurs politologues est que la nouveauté rapportée par ce site est que ce dernier a donné «des détails sur des réalités déjà connues». C’est le cas des relations entre Alger, Rabat et Paris. En tout cas pour ce triangle, les protocoles de la diplomatie ont toujours été respectés durant les messages de vœux et d’autre part, chacun défendait ses intérêts avec ses moyens. Donc, le désaccord n’a jamais été caché par les trois capitales.

La réalité de désaccord entre Alger et Rabat

Ainsi, on se demande qui ne sait pas que Rabat et Alger sont en désaccord depuis de longues années à cause notamment du conflit sahraoui ? Dans ce cadre, le roi du Maroc, Mohamed VI a toujours fustigé l’Algérie dans ses discours qu’il a adressés à son peuple en l’impliquant dans son conflit avec le Polisario. Et de son côté, l’Algérie a toujours défendu sur la scène internationale, le droit du peuple sahraoui à l’indépendance. Un conflit qui bloque le processus de l’Union pour le Maghreb arabe (UMA) qui piétine depuis plus de vingt ans.

Toutefois, le Maroc veut à tout prix ouvrir les frontières entre les deux pays afin de profiter des données économiques qui sont en sa faveur mais l’Algérie n’a toujours pas répondu «positivement» à cette demande.

La complexité des relations algéro-françaises

Pour le cas des relations algéro- françaises, Paris a toujours été plus proche du Maroc depuis l’époque de François Mitterrand et Mohamed V et les dernières agressions contre les réfugiés sahraouis d’Elyoune ont montré la politique extérieure de la France qui soutient le Maroc. Par ailleurs, le désaccord entre Alger et Paris est lié à un lourd héritage de passé colonial, un passé dont rêvent certains dirigeants français qui croient toujours à l’illusion qui dit «Algérie française». Dans ce cadre, l’ex-ministre des affaires étrangères dans le gouvernement français, Bernard Kouchner, a été écarté par Nicolas Sarkozy lors de dernier remaniement ministériel.

Il a critiqué la génération de la guerre de la libération nationale. Toutefois, l’actuel président français a compris l’importance de préserver les intérêts «économiques» de son pays en Algérie. Et pour ça, il

n’a pas hésité à nommer l’ex-premier ministre, Jean-Pierre Raffarin pour mener la mission portant «déblocage des relations économiques». Ainsi, Paris qui avait critiqué les mesures économiques prises par le gouvernement algérien dans le cadre de la loi de finances complémentaire de 2009, confirmé dans la loi de finances de 2010, elle a décidé de protéger ses intérêts en Algérie tout en essayant de mener une pression avec d’autres moyens.

Les documents de Wikileaks

Cependant, «Wikileaks» vient de rapporter ce qu’aurait dit le président Bouteflika sur cette relation entre l’Algérie, le Maroc et Paris au sujet du conflit sahraoui.

Dans des documents de Wikileaks, révélés vendredi 3 novembre dans la soirée par les quotidiens El Pais (Espagne) et Le Monde (France), qui sont revenus sur les désaccords entre Alger et Rabat concernant la question du Sahara occidental. A ce propos, il a été rapporté que le président Bouteflika a déclaré en 2007 à Alger à l’assistante du président américain George W.Bush pour la sécurité intérieure et l’antiterrorisme, Frances Fragos Townsend : «Si je pouvais résoudre le problème je le ferais. Mais je ne peux pas parler à la place des Sahraouis» ajoutant : «Ce qu’il faut, c’est que le Maroc et le Polisario trouvent une solution, et ils peuvent le faire avec l’aide des Américains».

En parlant de l’implication des Français dans ce conflit, le président Bouteflika aurait dit lors d’une autre rencontre relatée par des diplomates américains, «du fait du poids de leur histoire coloniale au Maghreb, sont incapables de jouer un rôle constructif dans le conflit».

Il est rapporté aussi que Bouteflika a dit:

«la France n’a jamais vraiment accepté l’indépendance algérienne». Pour lui, elle tente de régler ses comptes avec l’Algérie en appuyant le Maroc. C’est l’explication qui a été donnée pour le soutien affiché par Paris à Rabat concernant la question sahraouie.

Dans ce cadre, Wikileaks rapporte qu’en février 2008, recevant un diplomate américain, le président algérien dénonce «le plan d’autonomie voulu par Rabat à la place du referendum d’autodétermination au Sahara occidental». Pour lui, «la proposition marocaine n’offre qu’un semblant d’autonomie» ajoutant que «les provinces algériennes ont davantage d’autonomie vis-à-vis d’Alger que ce que propose Rabat pour le Sahara occidental».

En outre en novembre 2009, devant le chef du commandement américain pour l’Afrique (Africom), le général William Ward, il dira :

«Vous ne pouvez pas défendre l’application d’un principe pour la Palestine et un autre principe pour le Sahara occidental».

Le site wikileaks repris vendredi dernier par le quotidien espagnol El Pais, ne s’arrête pas là et rapporte que le président Bouteflika méprise le roi Mohamed VI. C’est ce qu’il a fait savoir aux Américains lors d’entretiens au Palais d’El Mouradia. Ainsi, le Président Bouteflika aurait déclaré en juin 2006 à l’assistante du président américain George W. Bush pour la sécurité intérieure et l’antiterrorisme, Frances Fragos Townsend, en visite à Alger : « Je ne serrerai pas la main du roi». En plus de ça, il aurait décrit le roi Mohamed VI comme «pas ouvert» et «sans expérience».

Il aurait qualifié le défunt Hassan II et Moulay Rachid, frère de l’actuel roi, de plus ouverts. Dans ce cadre, le président Bouteflika parle d’une rencontre avec Moulay Rachid lors d’un match à Séville, en Espagne sur laquelle il dira : «Nous avons bavardé et plaisanté avec bonheur, mais je ne peux pas faire la même chose avec le roi, car nous n’avons pas le même sens de l’humour».

Dans ce contexte, les document de wikileaks ajoutent que selon un document daté du 1er juillet 2006, en se basant sur l’ambassadeur américain à Alger, le président Bouteflika a indiqué qu’il croyait au dialogue pour résoudre les problèmes avec le Maroc mais il ne croit pas à un dialogue avec le roi Mohamed VI. Toutefois, il aurait assuré que l’Algérie ne fera pas la guerre au Maroc à cause du Sahara occidental et ne permettra pas au Front Polisario de combattre depuis le territoire algérien. Et pour ce qui est des frontières, celles-ci resteront fermées jusqu’à la résolution du conflit au Sahara occidental.

Pour ce qui est de la position américaine au temps de Bush et celle de la France à l’époque de Jaques Chirac, il est rapporté que ces deux dirigeants ont essayé de rendre le président Bouteflika plus clément à l’égard de l’actuel roi du Maroc. Mais, le président Bouteflika a rappelé que «le roi était encore un enfant quand lui-même était déjà un vétéran de la diplomatie». Avant d’ajouter: «Je ne suis pas Jésus, je ne vais pas tendre l’autre joue».

En tout cas, la position algérienne est clairement exprimée dans le compte rendu d’une audience (d’une durée de 3 heures 30) accordée en mai 2007 par le président algérien Abdelaziz Bouteflika à Frances Fragos Townsend, la conseillère du président Bush pour les affaires de sécurité.

Il est à rappeler dans ce cadre que l’Algérie avait essayé de renouer le dialogue avec le Maroc et une visite de Ahmed Ouyahia, à l’époque chef du gouvernement, a été programmé mais Rabat a décidé autrement en annulant cette visite. Donc, Rabat n’a pas laissé une chance au dialogue, une attitude qui n’est pas mature sur le plan des relations diplomatiques comme le veut la tradition. Et en matière des relations diplomatiques, le président Bouteflika a montré une certaine «galanterie» dans les messages de vœux qu’il envoyait à Mohamed VI au point d’affirmer sa disposition à promouvoir les relations algéro-marocaines mais le roi a répondu autrement dans son dernier discours adressé à son peuple.

Il faut dire que «wikileaks » ne nous apprend rien sur les relations entre Alger, Paris et Rabat mais ça reste des «rapports» qui risquent de compliquer davantage les relations entre les trois capitales.
Par Nacera Chenafi 

Les Débats, 8/12/2010
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