Tunisie, vers un gouvernement d’union nationale ou quasiment

Le Premier ministre tunisien désigné par le président Saïed, Elyes Fakhfakh, n’est pas encore à un jour près du délai imparti pour former un gouvernement. N’empêche, il ne dispose pas de beaucoup de temps pour ce faire, la date limite étant fixée pour le 20 du mois courant. Or sa tâche ne consiste pas seulement à faire tenir ensemble des membres venus de partis rivaux, mais encore à leur faire obtenir la confiance de l’Assemblée. Ce qui, compte tenu du morcellement de cette chambre, est le principal obstacle à passer, celui-là même du reste sur lequel son prédécesseur, Habib Jamli, avait buté.

A première vue, il lui suffirait de s’y prendre autrement que lui pour réussir. Jamli avait restreint à quatre le nombre des partis devant composer la nécessaire coalition gouvernementale ? Il n’aurait pour sa part qu’à élargir le spectre des parties prenantes pour qu’à l’heure de vérité, c’est-à-dire au moment du vote de confiance, le rapport de force du strict point de vue de l’arithmétique lui soit favorable.

Contrairement à son prédécesseur, ni lui ni les partis dans leur diversité n’ont le droit à l’erreur, du moment qu’on ne voit aucun d’eux réclamer la tenue de nouvelles élections législatives. Son échec, si échec il y a, pourrait même rejaillir sur celui qui l’a désigné, c’est-à-dire sur le président Saïed en personne. Ce qui ne pouvait pas advenir avec Jamli, qui lui était l’homme d’Ennahda.

Reste que dans cette hypothèse, ce n’est quand même pas lui qui serait obligé de demander aux électeurs de lui renouveler leur confiance mais la classe politique dans sa totalité, même si lui-même n’en sortirait pas grandi. Fakhfakh n’a donc pas le choix, ce n’est pas à un gouvernement de coalition qu’il doit tendre ou prétendre, mais à un gouvernement d’union nationale, ou quasiment, puisqu’il est un ou deux partis à qui n’agréent pas la perspective de devoir gouverner avec Ennahda. Car, en effet, avec Jamli comme avec Fakhfakh, c’est Ennahda qui se trouve au cœur de l’exécutif en formation, quand bien même elle ne détiendrait pas le plus grand nombre de postes ministériels, ni même les plus importants.

Qalb Tounes, par exemple, le deuxième parti par le nombre de députés, ne veut pas gouverner avec elle, sans doute par crainte de perdre son âme. Mais supposons que Fakhfakh compose son équipe, et que celle-ci soit approuvée par une confortable majorité de députés. De qui relèverait-elle en premier lieu, est-ce de celui qui a choisi son chef, en l’occurrence le président de la République, ou du parti disposant à l’Assemblée du plus grand nombre de députés, c’est-à-dire d’Ennahda ?

On peut se poser la question différemment : à qui appartiendrait le programme qu’elle voudrait mettre en œuvre, au président ou à Ennahda ? Logiquement, un président qui a le pouvoir de désigner un Premier ministre doit avoir celui de le renvoyer. Ce n’est pas ce que stipule la Constitution tunisienne.

Le gouvernement Fakhfakh, dont des médias croient déjà connaître l’exacte composition, ressemblera à certains égards à celui qui n’a pas pu sortir de ses limbes, celui dont le chef avait été choisi par Ennahda. Là où celle-ci avait échoué, faute d’une majorité à l’Assemblée, elle pourrait bien le réussir, pour avoir soutenu la candidature de Saïed au deuxième tour de la présidentielle.

Le Jour d’Algérie, 13 fév 2020

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