Tunisie : à la recherche, toujours, de l’essor économique (Analyse)

Lassaad Ben Ahmed | 27.02.2020

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Tunisia

AA / Tunis / Anis Morai

Si la Tunisie est parvenue à franchir des pas importants dans sa transition démocratique, amorcée depuis un certain 14 janvier 2011, son économie continue à connaitre de sérieuses difficultés.

Certes, les indicateurs économiques reflétaient une meilleure prospérité du temps de l’ancien régime de Ben Ali, avec une moyenne de croissance annuelle du Produit Intérieur Brut de 5% sur la décennie 2000-2010.

Toutefois, ces indicateurs dissimulaient, au fait, une économie essoufflée en raison d’un modèle de développement classique qui n’a pas su s’adapter à l’intégration de la Tunisie à l’économie mondiale et mondialisée et des changements qui en ont découlé.

C’est, au fait, un modèle économique hérité d’un plan d’ajustement structurel décidé en 1986 avec le Fonds monétaire international (FMI), lorsque la Tunisie avait sombré dans l’une des plus graves crises économiques de son histoire.

Ses principaux fondements reposaient sur un certain nombre d’orientations, dont le but était de transformer cette économie tunisienne, d’une économie dirigiste vers une économie libérale.

Convertibilité partielle de la monnaie locale, (le dinar tunisien), mise à niveau des entreprises publiques en prévision de leur cession au secteur privé, limitation du rôle de l’Etat dans les services régaliens et renonciation aux monopoles économiques de l’Etat, etc.…

Tels étaient, entre autres, les ingrédients de la recette du FMI pour transformer l’économie tunisienne, sans oublier la volonté de cette institution de Breton Woods de voire cette économie rejoindre le concert des pays membres du GATT (General agreement on tarifs and trade) puis de l’OMC (Organisation mondiale du commerce).

L’accord de libre-échange, signé en 1995 avec l’Union Européenne finira par achever les efforts des institutions internationales à intégrer l’économie tunisienne dans la mondialisation, mais pas dans une logique « WIN WIN » comme s’efforcent les chantres de la mondialisation à le crier sur tous les toits.

Très amarrée à l’Europe avec laquelle elle fait, selon les statistiques officielles, jusqu’à 73% de ses échanges commerciaux, la Tunisie a subi les vicissitudes de son partenaire majeur, dont elle dépend, et du régime off-shore mis en place depuis 1972 qui procure à la Tunisie l’essentiel des réserves en monnaie étrangère, grâce aux exportations vers le vieux continent.

Un régime qui permet, certes, de créer des emplois, mais ces derniers pèchent par leur précarité à l’instar du secteur du textile qui emploie, dans le cadre d’un régime de sous-traitance de commandes venues d’Europe, une main d’œuvre peu qualifiée et très bon marché.

D’ailleurs, dans ce cadre, il faut bien souligner les efforts restés vains des deux parties à signer l’Aleca (accord de libre échange complet et approfondi), qui concerne la libéralisation des secteurs des services et de l’agriculture.

Cet accord, s’il vient à être signé, portera le nombre des secteurs libéralisés depuis l’accord de 1995 avec l’Union européenne à trois secteurs, puisque le secteur industriel l’a déjà été depuis 1995.

– L’économie, parent pauvre de la transition démocratique

Malgré l’essoufflement du modèle économique en Tunisie en 2011, les décideurs politiques ne sont pas parvenus à transformer l’économie tunisienne, en raison de leur focalisation sur la transition politique et l’élaboration d’une nouvelle constitution pour la deuxième République.

Entre temps, les revendications populaires allaient embourber le pays dans une crise économique sans précédent. Une crise nourrie, justement, par la demande sans cesse galopante d’amélioration des conditions de vie des Tunisiens, à laquelle fait face une économie léthargique et timorée qui ne crée plus de richesse pour pouvoir se les partager équitablement.

Depuis le soulèvement de 2011, la croissance du PIB tunisien à été très molle avec un taux négatif en 2011, -1.9%, 1.1% en 2015 et 1.0% en 2019.

Mais au-delà des revendications populaires qui suivent logiquement tout changement politique majeur dans un pays, beaucoup d’observateurs imputent les difficultés économiques à l’absence d’une stratégie, d’une vision et d’un cap clairs, pour transformer cette économie et la rendre plus performante.

D’ailleurs, les tentatives d’apporter les modifications escomptées afin d’atteindre cet objectif, à travers un nouveau plan de développement quinquennal adopté en 2016 pour couvrir la période 2016- 2021, se sont vite soldées par un échec cuisant, en raison, notamment, de l’incapacité des pouvoirs publics à mener les transformations nécessaires.

Nombreuses sont les explications à avancer pour faire le constat de cet échec.

Mais celles-ci peuvent se résumer à l’absence de la volonté politique, pour ce faire, à l’importance de la rente économique aux mains de rentiers tenant en otage des pans entiers de l’économie tunisienne, à la résistance naturelle aux changements et surtout à la corruption galopante dans le pays.

Par ailleurs, et dès 2015, la Tunisie a renoué avec le FMI pour emprunter 2.9 milliards de dollars contre des réformes économiques et sociales convenues d’un commun accord avec le FMI.

Des réformes ayant trait au système de subvention des matières de base et des hydrocarbures. Des réformes qui dégraissent également l’effectif pléthorique de la fonction publique dont la masse salariale représente chaque année 15% du PIB tunisien qui est estimé à 40 milliards de dollars.

Devant l’incapacité d’honorer ses engagements, la Tunisie s’est vue sanctionnée par le Fonds monétaire international qui a décidé de suspendre le versement des tranches restantes du crédit conclu, après avoir débloqué cinq tranches, exigeant une progression substantielle dans la mise en œuvre des réformes convenues. 1.2 milliard de dollars restent ainsi suspendus à la réalisation de ces réformes.

– Indicateurs économiques au rouge

Lorsqu’une économie carbure à bas régime, il devient évident que ses indicateurs soient au rouge. L’économie tunisienne a réalisé une croissance molle de 1.0% en 2019, ce qui laisse 14.9% de la population active tunisienne au chômage, dont 260 mille jeunes diplômés de l’enseignement supérieur.

Le PIB par tête d’habitant reste le plus faible dans la région avec 3450 dollars en 2018.

La balance commerciale connaît, elle aussi, un déficit structurel qui s’est élevé en 2019 à 6.5 milliards de dollars, dont 40% de ce déficit proviennent de la facture énergétique, puisque la Tunisie produit 33000 barils de pétrole par jour mais en consomme trois fois plus.

Le déficit budgétaire, bien que jugulé à 3.9% du PIB en 2019, il n’en demeure pas moins que la Tunisie doit emprunter 4.2 milliards de dollars pour boucler le budget 2020, notamment pour payer les augmentation salariales convenues entre la puissante centrale syndicale dans le pays l’union générale des travailleurs tunisiens et le Gouvernement.

De plus, ce déficit est si important, parce que la Tunisie vit au dessus de ses moyens et le pays n’arrive pas à mettre en place une politique d’austérité budgétaire comme d’autres pays l’ont adoptée.

En effet, la croissance du budget de l’Etat d’année en année se mesure à environ 5% pour s’établir en 2020 à 16 milliard de dollars.

De son côté, la dette publique explose et passe de moins de 50% en 2010 à 83% du PIB en 2019, dont 70% est libellée en devise étrangère, ce qui plombe davantage le principal et l’intérêt de la dette lorsque la monnaie nationale se déprécie face à l’euro/dollar.

D’ailleurs, la parité de change donne un euro qui se négocie à 3.1 dinars, tandis que le dollar s’échange à 2.9 dinars actuellement.

Malgré une politique monétaire draconienne qui se traduit par l’augmentation continue du taux directeur de la banque centrale, l’inflation en Tunisie reste élevée, en dépit d’une baisse sensible constatée depuis 2018.

Ce taux a atteint des pics de presque 8% en 2018, avant de tomber à 6.7% en 2019.

Une inflation qui a contribué à éroder l’épargne nationale dans le pays qui est passée de 21% en 2010 à 9% en 2019.

De son côté, la pression fiscale reste élevée, et c’est l’une des plus élevées de la région dans la mesure où elle se maintient en 2019 à 25%.

La Tunisie est en proie à des défis économiques et sociaux très importants qui risquent de freiner le processus de transition démocratique, entamée depuis la révolution de 2011. Saura-t-elle renverser la vapeur et relever ces défis ?

La question est toujours d’actualité.

(Les opinions exprimées dans cette analyses appartiennent à l’auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale d’Anadolu)

ANADOLOU

Tags : Tunisie, économie, crise,

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