Algérie : L’Emir Abdelkader et le Maroc (1832-1847)

Si l’on aborde les rapports algero-marocains…par autre voie que celle du sentiment, il convient d’ecarter des clichés traditionnels sur la fraternité maghrebine, source de solidarite en cas d’agression étrangere…

Le moment était venu de mettre à l’epreuve la solidarité marocaine d’autant que l’émir était convaicu que le Maroc n’échaperait pas à la conquête coloniale. C’est pourquoi, il adjura le sultan de se joindre à lui et d’engager toutes ses forces dans la bataille pour le salut commun.

Avec l’évolution de la guerre, le role objectif du Maroc s’accrut. L’émir croyait y disposer d’un sanctuaire, d’où il s’élançait à l’interieur de l’Algerie pour frapper avec la rapidité de la foudre.

Mais avec la defaite (du sultan) à la bataille d’Isly (11 mai 1844) et la signature de l’infame traité de Tanger (1844), scellant l’allliance du Maroc et de la France contre l’Emir Abdelkader, (celui-ci) était hors la loi sur les territoires marocains et algeriens….

Pliant devant les exigences françaises, le sultan somma l’Emir de quitter immédiatement le territoire marocain. Jettant le masque, il se decida à attaquer directement les forces de l’Emir. Il mit sur pied plus de 50.000 hommes répartis en trois divisions sous le commendement de l’un de ses neveux. Que pouvait faire Abdelkader avec ses 2000 fantassins et cavaliers contre une telle force ? Et pourtant, une nuit dans le Rif, il réussit à culbuter et à mettre en déroute deux de ses divisions marocaines, grâce à la fougue de ses combattants et à son génie militaire, usant d’un stratagème digne des plus grands généraux de l’antiquité.

Sous le coup d’une émotion compréhensible et devant la tournure de plus en plus dramatique des événements, Abdelkader tenta une derniere fois de faire appel à la raison et à la conscience du sultan. Il envoya donc en mission à Fès Bouhmidi, un de ses meilleurs Khalifas. Ce fut en vain : Bouhmidi fut jeté dans un cachot pour y mourir. Fidèle a son pacte avec les français, le sultan Abderrahman adressa à l’Emir l’ultimarum suivant: Abdelkader doit se rendre, par lui-même, au sultan marocain, ou s’en retourner au Sahara algérien…

L’étau franco-marocain se resserait autour de la petite armée des combattants de la liberte. Le dénouement de l’épopée était proche commencée 1832.

Le gouvernement marocain et la conquête d’Alger

Ali Tablit, universitaire et membre du conseil scientifique, a mis la main sur un document important, réédité récement par Thala-chihab (Alger). Il s’agit d’un recueil de lettres émanant principalement de Moulay Abderahmane, Sultan du Maroc, aux chefs militaires se trouvant avec son armée à notre frontière occidentale. Le sultan s’est allié aux français contre l’Emir; après avoir été battu par Bugeaud en 1844 (bataille d’Isly) et subi le bombardement de certains de ses ports par la marine française.

On peut suivre presque au jour le jour dans ce recueil des lettres traduites par l’interprète Algérien Ismail Hamed (1857-1933), les difficultés que connaît l’Emir au cours des dernières années de son combat à la suite de l’accord franco-marocain.

Dans le courant de l’année 1920, un lot de lettres chérifiennes a été aquis pour le compte de la bibliothèque générale du protectorat au Maroc. Elles émanent en effet de Moulay Abderahmane ben Hicham qui régna de 1822 à 1859 et ont trait aux événements occasionnés dans la region orano-marocaine par l’établissement des français à Alger. Ces lettres vont du 10 avril 1829 au 2 août 1848 et remontent, par conséquent, aux premières démonstrations françaises qui ont precedé la prise d’Alger.

Cette coorespondance essentielement confidentielle, adressée à son cousin installé à Tlemcen ou ses agents operants à divers titres entre cette ville et Taza, éclaire curieusement les conséquences de la prise d’Alger et ses repercussions variées sur les divers éléments de la population indigène du nord de l’Afrique. Mais ce qui donne un intérêt particulier aux lettres du sultan Moulay Abderahmane c’est qu’elles révèlent la pensée intime de leur auteur, qu’elles mettent à nu les ressorts cachés et les procédés de la politique du Makhzen de cette epoque, ainsi que l’évolution de cette politique selon les circonstances et la nature des evenements.

Le sultan prend immédiatement position dans la région de Tlemcen, appelé au secours par une délégation de notables de cette ville contre les conquêrants. Envoyant son cousin Moulay Ali à la tête d’une colonne expeditionnaire et charge Sid Driss ben Hommane El Djerrari d’etre l’intermédiaire entre ce prince et les dites tribus.

Il s’agit évidement de l’établissement definitif des français à Oran et de la situation créée par cet événement grave dans les milieux indigènes.

Le bombardement de Tanger a causé une vive émotion et avait fait craindre un déarquement; cest pourquoi Moulay Slimane, fils du sultan, est accouru sur Tanger avec une armée et c’est ce prince qui, dans une lettre datée du 27 radjeb 1260 (12 aout 1844) donne des détails précis sur les dégats faits, le compte des boulets lancés sur la ville, énumère les mesures prises, fait lire aux notables de la lettre de sa majesté. Mais s’il donnait de l’inquietude au Makhzen, Abdelkader lui-même n’était pas exempt de soucis : les algériens qui l’entouraient n’étaient pas très nombreux, il lui fallait tirer toutes les sources du pays, qui souffrait alors d’une hausse des prix, et s’y faire assez de partisans pour tenir tête à l’armée du sultan. Il profitait de la facilité que lui offrait la frontière pour se glisser entre le territoire français et les armées chérifiennes et tendre la main aux nomades Beni Guil, Oulad Djrir et autres dont le concours était précieux et dont le pays pouvait, à l’occasion, lui servir de refuge .

Le sultan ne songe plus à lutter contre les français solidement installés à Tlemcen et à Maghnia; le danger immédiat et qui ne fut jamais redoutable, c’est la présence sur le sol marocain d’Abdelkader qui avec son prestige, son experience des hommes, de la politique et de la guerre, menace même l’existence de la dynastie filalienne. Le sultan s’arrangera toujours avec ses sujets inconstants et les plus turbulants, quand il n’y aura plus à les seduire et les entrainer cet enjoleur habile dont il parle à son fils en ces termes, dans une lettre du 2 choual 1262 (23 septembre 1846) : Quand à ce que vous dîtes avoir appris de cet intrigant (Abdelkader), de son retour sur ses vues premières, de son sentiment sur les événements auxquels ont été mêlés les krarmas et qu’il deplore amèrement, gardez-vous d’y ajouter foi. Soyez aussi en garde contre les propos que tiennent à son sujet ceux qui manquent de discernement et parlent de sa faiblesse et son impuissance; par ses stratagèmes et sa ruse, il est capable d’obtenir ce que la force des armes et le nombre ne lui donneraient pas.

En effet, Sidi Mohammed, à la date du 28 rabia (15 avril 1845), annonce au sultan qu’Abdelkader a gagné le sahara et s’est installé chez les Hmiyanes à qui il fait payer des redevances, que les français l’ayant appris, ont fait ont fait partir de Tlemcen une colonne avec un fort convoi de chameaux portant 2 mois de vivres.

Dans la dernière phase de sa carrière, au cours de l’année 1847 l’Emir a causé au gouvernement français, comme au gouvernement marocain, les mêmes preoccupations et les mêmes difficultés, dans la poursuite du même objectif qui était sa capture. Une entre les deux gouvernements était difficile à réaliser, bien qu’ils eussent le plus intérêt. Et cependant, alors qu’il n’y est eut pas entente concertée, la nature même des circonstances à combiner la double pression française et marocaine pour amener l’Emir à se rendre.

Le sultan ne pouvait, sans compromettre son prestige, faire appel, contre Abdelkader, à l’aide française. Les français, n’ayant pas, les mêmes scrupules, tentèrent d’agir en liaison avec la Makhzen par une voie detournee. Nous en trouvons la preuve dans une lettre de M. de Chasteau du 19 djoumada 1er 1263(5mai 1847), adresse au Caïd Mohamed El Ahmer, envoyé dans le Rif par le sultan pour réduire Abdelkader et ses partisans. Dans cette lettre, le chef de la mission de France au Maroc offre au Caïd de lui fournir des subsides pour l’aider à accomplir sa mission et ramener les rebelles marocains à la soumission au sultan; car, ajoute la lettre, nous avons le plus gand intérêt à l’expulsion du Maroc de l’Emir Abdelkader et sommes decidés tout ce qui est en notre pouvoir pour y parvenir.

Mais voici l’échec du Makhzen souligné par le roi à son fils dans une lettre du 2 radjab 1263(18 juin 1847) marque toute l’importance; on y voit les suites d’une attaque bien conduite par Abdelkader et cette déroute y est jugée comme plus grave que celle de la bataille d’Isly. Il y a là, sur ce dernier desastre, une appréciation que nous n’avons pas trouvé ailleurs : « Nous avons reçu, dit Moulay Adberahman, votre lettre et celles qui l’accompagnaient, nous faisant connaître la façon dont s’est comporte le traitre Abdelkader en attaquant de nuit, avec ses partisans des tribus rifaines, l’armée que vous aviez envoyeé dans le Rif. Dieu veuille que cet événement soit le terme de nos epreuves.

Voyez, ajoute-t-il, Abdelkader avec le petit nombre d’hommes dont il dispose ,dans un pays qui n’est pas le sien, quels resultats il obtient, grâce a son esprit délié, à ses habiles stratagèmes et à sa politique avisée !… Alors que nous les obtenons pas, nous qui avons le nombre, mais nous manquons d’habileté politique! Il nous faut désormais, déployer avec les tribus rifaines une grande fermeté alliée à une bonne politique et à une administration saine; cela est indispensable pour les ramener dans le devoir.

La lecture des lettres du sultan Moulay Abderahman, en même temps qu’elles nous éclairent sur l’état intérieur du royaume sous son règne le révele comme un prince habile, plein de sagesse et d’une prévoyance qu’il déploya largement et qui lui font honneur à ses talents, si l’on considère si l’on considere ses moyens et le peu de consistance de ses sujets.

Nous savions que l’Emir, à la fin de sa carrière s’était trouvé acculé sur la frontière maroco-oranaise entre la mer et la basse Moloya, traque d’un côté par l’armée chérifienne et de l’autre par l’armée francaise et on avait, par une forte image, comparé cette situation désésperée à celle du lion encerclé, dont les rugissements font retentir les échos des montagnes .

Les détails de cette lutte épique, telles que rapportent les lettres chérifiennes, justifient ce qui a été dit des talents de l’Emir Abdelkader, de son habileté politique et de sa trempe exeptionnelle.

Notes:

1)D’apres Ismail Hamet, le gouvernement marocain et la conquête d’Alger, « le sultan estime la défaite de son armée plus grave que celle d’Isly ».

2)Churchill décrit ainsi le stratagème : »Entièrement couverts d’alfa ….qu’on avait plongé dans la poix et le goudron, deux chameaux furent poussés en tête de la petite colonne (celle de l’Emir) et ont mit le feu à l’alfa des chameaux qui, affolés, se lancèrent au galop furieux … les hommes (marocains) se bousculèrent dans toutes les directions.

Source : algerie-dz.com

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