23 JANVIER 1956, HADJ THAMI EL GLAOUI MEURT
Photographie extraite d’un reportage de Roger BEAU, photographe chez Kynel et témoignage personnel d’André HARDY, Commandeur du Ouissam Alaouite, Grand Officier du Nicham Iftikhar, tiré de ses Mémoires de chef des contrôleurs civils de la Région de Marrakech.
Cette photographie envoyée par Roger Beau est totalement inédite, elle n’a pas paru dans la presse de l’époque. Les services d’ordre de la Police, de l’Istiqlal et de l’Armée suivent le même but: écarter les agitateurs possibles.
LA FIN D’UN “GRAND SEIGNEUR”
« Accompagné de ma femme, je m’étais rendu une dernière fois à son chevet, peu de jours avant sa mort, qu’il attendait avec sérénité. Ce n’est pas sans émotion que j’avais tenu, une dernière fois sa longue main brune et décharnée, regardé en face le long visage ridé de cet ami loyal, qu’illuminaient les yeux intelligents et doux.
Il avait choisi pour lieu de sa dernière demeure la minuscule Zaouia de Sidi ben Sliman (l’un des 7 saints de Marrakech: le Soufi), en pleine médina. De son palais à son tombeau il y avait deux kilomètres de ruelles, trajet difficile pour un cortège pompeux, espace exigu pour les honneurs militaires, dus à un Grand officier de la Légion d’Honneur. Et pourtant, ces obsèques malcommodes et désordonnées furent comme une apothéose.
Après les prières, dites dans le palais de la Stiniya, le corps enveloppé dans un linceul de moire noire fut emporté à bras sur un brancard, cahotant au-dessus des têtes d’une foule immense. Dans cette multitude, pressés comme les grains de blé dans un boisseau, se coudoyaient Français et Marocains, notables et gens du commun, caïds et militants de l’Istiqlal, hommes et femmes, uniformes, vestons et jellabas. Le service d’ordre de l’Istiqlal collaborait vigoureusement avec la police pour canaliser cette marée en criant : « de l’ordre : de l’ordre », et je crois bien que l’ ‘émotion étreignait aussi bien ceux que le Pacha avait favorisés de ses largesses que ceux contre qui il avait si longtemps et si durement sévi, car tous étaient conscie,ts de la noblesse et de la grandeur du disparu. C’était vraiment, avec lui, une époque qui s’achevait et, en cette minute aucun ne pensait plus au risque qu’il pouvait courir en étant mêlé à cette foule, chacun observait une trêve tacite.
Au seul endroit du parcours qui fut un peu moins étroit, le cortège marqua une pause, les honneurs militaires furent rendus, le Résident Général lut son discours ainsi, que le représentant du Sultan, qui était l’ancien Caïd Lahcen Al-Youssi, devenu Ministre de l’Intérieur. Puis la marche cahotante reprit jusqu’au mausolée, où le corps fut remis aux fossoyeurs, et il ne resta plus aux assistants qu’à s’ext raire comme ils purent de ce tourbillon humain… »
UN TOURNANT DE L’HISTOIRE
« Après la mort du Pacha s’ouvrait une nouvelle période dans l’histoire de Marrakech et, peut-on même dire, dans l’histoire du Maroc. C’est le 3 Mars que ce pays obtint de Monsieur Pinay une indépendance dont personne ne doutait plus depuis le retour triomphal du Roi Mohamed V, en novembre 1955. »
« Les fils du Glaoui ne furent d’abord nullement inquiétés et reçurent à la Stiniya de nombreuses visites de condoléances. C’est à cette seule occasion que je les vis tous rassemblés, le 1er février 1956. L’un d’eux Abdallah, le « romancier » devait mourir le 4 juin des suites d’une opération. »
Le territoire marocain était organisé en une certain nombre de Provinces, confiées à des Gouverneurs ( en arabe : âmal, pluriel : oumal) calquées sur l’organisation régionale antérieure. C’est ainsi que la ville de Marrakech formait une province et le territoire en formait une autre…. A qui reviendrait les deux commandements, à la fois désirés et redoutés ! Le Roi et son « Conseil du Trône » hésitèrent longtemps. Le général Bazillon et moi-même avions eu l’occasion d’en discuter longuement avec le nouveau Ministre de l’Intérieur, Lahcen Al-Youssi, après les obsèques du Pacha, où il représentait son maître. C’était un berbère, ancien caïd de Sefrou, épuré en 1953, ne parlant pas le français, mais astucieux et apparemment d’esprit assez large. D’ailleurs, en général, le style adopté par les nouveaux maîtres du Maroc, fussent-ils des terroristes de la veille, était celui d’un triomphe modeste et modéré, oublieux du passé et tourné vers l’avenir, avec la conscience qu’ils avaient encore besoin de nous pour le construire. Chez beaucoup, cette attitude était sincère et plutôt sympathique, mais ils ne purent malheureusement s’y tenir… ou se maintenir. Finalement furent désignés pour la ville de Marrakech, le fqih fassi Mehdi Sakkali, et pour la Province Moulay Hafid el Alaoui, cousin du Sultan et lieutenant-colonel de l’armée française. »
UN FASSI GOUVERNEUR DE MARRAKECH
« Le choix de Mehdi Sakkali n’était pas bon. Comme Fassi, déjà, il ne pouvait qu’être mal vu des Marrakchis. En outre, bien que vêtu à l’européenne, à l’exception du tarbouch dont il était coiffé, c’était un musulman fanatique à tendance wahhabite, totalement dépourvu de bon sens. Son premier geste fut de faire de la Jamâ el Fna un désert, car il était horifié par le groupement de bateleurs, charmeurs de serpents, danseurs, etc… qui de tout temps a fait la célébrité de cette place. Il acheva ainsi de ruiner le commerce de Marrakech, déjà bien malade, et de faire fuir les touristes. Il devait faire pire par la suite. Moulay Hafid, par contre, avait l’étoffe d’un bon gouverneur. … »
Le livre d’André Hardy, est sur le point d’être épuisé. Son tirage initial fut très faible. Si vous le trouvez neuf ou d’occasion n’hésitez pas à l’acheter car vous y lirez le témoignage d’une des personnes les mieux informées. Il contient beaucoup de faits méconnus sur Marrakech et ses habitants de 1951 à 1956. Même ceux qui vivaient à Marrakech à cette époque ignorent de nombreux événements qui s’y sont produits.
Source : Mangin de Marrakech
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