Tensions géostratégiques, sécurité collective et nouvelles conflictualités dans la région sahélienne

par Abderrahmane Mebtoul*

Les tensions actuelles à nos frontières interpellent l’Algérie pièce maîtresse de la stabilité de la région, à travers les actions de l’ANP et les différents services de sécurité.

C’est que les enjeux au Maghreb et au Sahel préfigurent d’importantes reconfigurations géopolitiques et géoéconomiques dans une zone sensible, rentrant dans le cadre de la nouvelle stratégie mondiale, à laquelle l’Algérie ne saurait échapper et d’une manière générale toute l’Afrique. Ces enjeux sont intiment liés aux nouvelles mutations mondiales actuelles qui devraient conduire à de profondes reconfigurations socio-économiques, technologiques mais également sécuritaires. La « sécurité collective », expression dont l’usage s’est développé, dans les années 1930, constitue une tentative de réponse au déchaînement de violence des deux guerres mondiales, du xxe siècle. Intiment quant à la formation à la paix (CP), elle soulève des défis politiques, économiques sécuritaires et notamment la relation entre la formation et la manière dont les parties externes s’engagent dans le règlement des conflits et notamment la relation entre les États, les organisations internationales et les sociétés civiles, mondiale et locales et leurs influences pour une paix durable, fondée sur la dialogue des cultures , la tolérance facteur de stabilité de toute l’Humanité pour un monde solidaire.

1. Problématique de la sécurité collective au Maghreb et au Sahel

1.1- Préambule : quelques éclaircissements sur le concept de sécurité collective

Aux antipodes de la sécurité par l’équilibre des puissances qui avait marqué le système international au xixe siècle, la sécurité collective repose, elle, sur le « déséquilibre des forces. Ce système a d’abord été institutionnalisé, au lendemain de la Grande Guerre, par la Société des Nations (SDN), puis a été repris en 1945 par l’Organisation des Nations unies (ONU). Loin d’avoir donné les résultats que ses promoteurs avaient placés en lui ; il marque néanmoins un tournant dans l’histoire des relations internationales. Une approche globale comme facteur d’adaptation, selon les experts militaires, est nécessaire au nouveau contexte : la cohérence, l’anticipation, l’adaptabilité, la permanence, la « légitimation » et la « résilience ». C’est que les crises internationales ont toujours concerné de nombreux acteurs. Mais traditionnellement, en dehors de l’organisation de sécurité collective à vocation universelle et à compétence générale qu’est l’ONU, leur gestion revenait, avant tout, aux États. Or de nombreux autres acteurs y participent désormais notamment les organisations non gouvernementales et les organisations d’intégration régionale. On le constate, le champ est composé d’une multitude d’acteurs et d’approches qui implique, de facto, un morcellement des actions et une difficulté à avoir un impact significatif sur le terrain. De nombreuses études tentent de catégoriser les principaux acteurs de ces conflictualités émergentes. La plupart d’entre elles opposent les États, dotés de forces armées régulières, à des acteurs non-étatiques, laissant apparaître de nouveaux adversaires. Cette opposition, selon les experts en géostratégie entre États et acteurs non-étatiques, ne semble pas totalement satisfaisante car elle ne reflète pas l’ensemble des systèmes asymétriques. En effet, une typologie des acteurs ne peut se faire qu’en prenant en compte plusieurs critères : les motivations, l’organisation et les modes d’action. De nouvelles conflictualités sont apparues où leurs acteurs se caractérisent souvent par l’illisibilité de leur organisation, l’imprévisibilité de leurs actions multiformes qui privilégient la violence dûment mise en scène par la recherche du sensationnel et de la médiatisation. Grâce aux nouvelles technologies et à leur prolifération non maîtrisée, ces conflictualités sont susceptibles d’utiliser toute la panoplie des capacités actuelles : armement sophistiqué, maîtrise de l’information, diversité des types d’agression (capacité d’exporter une menace n’importe où dans le monde), générant des menaces (cyber-délinquance, cyber-criminalité, etc.) qui mettent en évidence l’insuffisance des systèmes de sûreté ou de substitution dans les sociétés modernes. En effet, les moyens modernes de communication facilitent l’expression libre et la circulation, via les réseaux, des idées les plus extrêmes, dans un but revendicatif, subversif ou prédateur. Elles peuvent atteindre tous les pans de la société : cohésion sociale, légitimité de l’autorité, pertinence du modèle économique, sociétal ou religieux. Ainsi véhiculées, les techniques d’« agression » de toutes natures se propagent, et contribuent d’autant plus à la fragilisation des « cibles » potentielles qu’elles s’appuient souvent sur l’image, support d’émotion et propice aux comparaisons.

1.2- Le Maghreb face aux mutations géostratégiques mondiales

Devant privilégier, en premier lieu, ses intérêts stratégiques, partie prenante du dialogue méditerranéen (DM), le Maghreb se doit d’agir en fonction d’un certain nombre de principes et à partir d’une volonté avérée de contribuer à la promotion de la sécurité et de la stabilité dans la région, que ce soit dans le cadre d’une coopération avec l’Otan, en fait avec les USA, ou avec les structures de défense que l’Union européenne entend mettre en place, également avec la Russie et la Chine pour ne citer que les principaux acteurs mondiaux. Les derniers évènements au Sahel, faute d’une coordination, montrent son incapacité à agir sur des évènements majeurs. La fin de la guerre froide marquée par l’effondrement du bloc soviétique et les attentats survenus aux Etats-Unis, le 11 septembre 2001 représentent un tournant capital dans l’histoire contemporaine. Le premier évènement marque la fin d’un monde né un demi- siècle plutôt et la dislocation d’une architecture internationale qui s’est traduite, des décennies durant, par les divisions, les déchirements et les guerres que nous savons. Aujourd’hui, les menaces sur la sécurité ont pour nom terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, crises régionales et délitement de certains Etats. Or, les défis collectifs, anciens ou nouveaux, sont une autre source de menace : ils concernent les ressources hydriques, la pauvreté, les épidémies, l’environnement. Ils sont d’ordre local, régional et global. Entre la lointaine et très présente Amérique et la proche et bien lointaine Europe, entre une stratégie globale et hégémonique, qui possède tous les moyens de sa mise en œuvre et de sa projection, et une stratégie à vocation globale qui se construit laborieusement et qui peine à s’autonomiser et à se projeter dans son environnement géopolitique immédiat, quelle attitude adopter et quels choix faire pour le Maghreb ? Interpellée et sollicitée, le Maghreb s’interroge légitimement sur le rôle, la place ou l’intérêt que telle option ou tel cadre lui réserve ou lui offre, qu’il s’agisse du dialogue méditerranéen de l’Otan ou du partenariat euro-méditerranéen, dans sa dimension tant économique que sécuritaire. L’adaptation étant la clef de la survie et le pragmatisme un outil éminemment moderne de gestion des relations avec autrui, le Maghreb devant faire que celui que commandent la raison et ses intérêts. C’est dans ce cadre que doit être placée la stratégie du Maghreb dans le dialogue méditerranéen de l’OTAN. Le cadre défini au sommet de l’Otan de promouvoir le dialogue méditerranéen de l’Otan, au rang de «véritable partenariat», (le même sommet d’Istanbul faisant une offre de coopération à la région du Moyen-Orient élargi qui est adressée aux pays qui le souhaitent, ceux qui sont membres du Conseil de coopération du Golfe étant cités explicitement) ambitionne de contribuer à la sécurité et à la stabilité de la région méditerranà ©enne par le truchement d’un certain nombre d’actions au nombre de cinq qui se veulent complémentaires avec d’autres actions internationales : a.- le renforcement de la dimension politique du dialogue méditerranéen avec l’Otan ; b.- l’appui au processus de réformes de la défense ; c.- la coopération dans le domaine de la sécurité des frontières ; d.- la réalisation de l’interopérabilité ; e- la contribution à la lutte contre le terrorisme.. Face à ces propositions quelle est l’attitude des pays du Maghreb devant consolider l’intégration maghrébine pour devenir une entité économique fiable au moment de la consolidation des grands ensembles ? Les menaces qui pèsent sur les peuples et leurs Etats et les défis collectifs qui leur sont lancés doivent amener les pays du Maghreb à se doter d’une politique extérieure globale des enjeux, des problèmes et des crises que connaît le monde et à déployer ses capacités, ses moyens et son savoir-faire dans une logique de juste et fécond équilibre. Le dialogue et la concertation entre les peuples et entre les acteurs sont la clef et en même temps la meilleure des garanties pour instaurer la paix et la stabilité, de manière juste et durable. C’est sur cette base, me semble-t-il, que les pays du Maghreb doivent s’engager dans le dialogue méditerranéen de l’Otan et dans d’autres initiatives régionales ou sous-régionales notamment européennes. Car face à l’Otan, existe une volonté politique de l’Union européenne d’avoir une stratégie de défense et de sécurité qui concerne le Maghreb. Sur le plan militaire et géostratégique c’est à travers les activités du groupe dit des «5+5» que peut être apprécié, aujourd’hui, la réalité d’une telle évolution. C’est que la lecture que font les Européens des menaces et défis auxquels le monde et notre région sont confrontés repose essentiellement sur la nécessité de développer, ensemble, une stratégie de riposte collective et efficace concernant notamment le terrorisme international, le trafic des êtres humains et la criminalité organisée à travers la drogue et le blanchissement d’argent. Pour le cas du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie qui ont (qui a signé) l’Accord de libre échange avec l’Europe, en matière de défense et de sécurité, des consultations relatives à la mise en place d’un dialogue entre le Maghreb et l’Union européenne ont lieu sous forme de consultations informelles et de réunions formelles. Mais il serait souhaitable des clarifications portant sur deux questions jugées fondamentales : la valeur ajoutée de cette offre de dialogue par rapport au dialogue méditerranéen de l’OTAN et la coopération de lutte contre le terrorisme avec l’UE dans le cadre de la PESD. – D’une manière générale et au vu de ce qui se passe au Sahel, il y a urgence pour l’Algérie et le Maghreb d’une stratégie d’adaptation. Pour ma part lors d’un déplacement aux USA lors d’une rencontre avec un grand responsable au département du Trésor US à Washington, j’avais émis cette hypothèse naïvement que l’Algérie et le Maghreb devaient tirer profit des divergences entre la France et les Etats-Unis d’Amérique. Il m’avait répondu clairement : «il n’y a parfois que des divergences tactiques de court terme mais aucune divergence stratégique entre les Etats-Unis d’Amérique et la France et plus globalement avec l’Europe». J’en ai tiré la leçon afin de comprendre les enjeux géostratégiques alors que certains veuillent encore opposer les USA à la France sur le dossier du Sahel et notamment du Mali, se croyant encore aux années 1960/1970 de la confrontation des blocs. Il est entendu qu’à la fin de toute guerre ce sera la diplomatie qui prendra la relève.

1.3.-La problématique sécuritaire au Sahel

La situation actuelle au Sahel pose la problématique de la sécurité de l’Algérie et fondamentalement l’urgence d’une coordination régionale notamment l’intégration de la sphère informelle qui dépasse les % de la superficie économique posant la problématique de l’intégration du Maghreb (plus globalement de l’Afrique du Nord) (2) pont entre l’Europe et l’Afrique afin de faire de cette zone une région tampon de prospérité. Le terrorisme menace planétaire, se nourrit fondamentalement de la misère, en se livrant au trafic de tous genres, rançons, drogue, armes, etc. Le Maghreb, pour peu que les dirigeants dépassent leurs visions étroites d’une autre époque, a toutes les potentialités pour devenir une grande puissance régionale avec une influence tant économique que militaire, dans la mesure où en ce XXIème siècle l’ère des micros Etats étant révolue et que la puissance militaire est déterminée par la puissance économique. Pour cela, des stratégies d’adaptation au nouveau monde pour le Maghreb sont nécessaires, étant multiples, nationales, régionales ou globales mettant en compétition/confrontation des acteurs de dimensions et de puissances différentes et inégales. Face aux menaces communes et aux défis lancés à la société des nations et à celles des hommes, les stratégies de riposte doivent être collectives. Cependant, dès lors qu’elles émanent d’acteurs majeurs et de premier plan, elles s’inscrivent dans une perspective globale et cachent mal des velléités car évoluant dans un environnement géopolitique régional que des acteurs majeurs façonnent, aujourd’hui, à partir de leurs intérêts et des préoccupations stratégiques qui leurs sont propres. Cette région est l’objet de toutes les convoitises (notamment USA via Europe / Chine) car incluse dans une sous-région qui n’en finit pas de vouloir se construire. Le continent Afrique est un enjeu géostratégique majeur au XXIème siècle avec plus de 25% de la population mondiale, avec d’importantes ressources non exploitées, sous réserve d’une meilleure gouvernance et d’intégration sous régionales à l’horizon 2030 l’axe de la dynamisation de la croissance de l’économie mondiale devant se déplacer de l’Asie vers l’Afrique, expliquant en partie les tensions actuelles (3). Le Maghreb, sous segment de ce continent, est appelé de se déterminer par rapport à des questions cruciales et de relever des défis dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils dépassent en importance et en ampleur les défis qu’il a eu à relever jusqu’à présent. Pour l’Algérie, les puissances occidentales reconnaissent que rien ne peut se faire durablement sans l’Algérie par sa position géographique, étant, par ailleurs, une grande puissance militaire régionale. D’autant plus que ce conflit peut avoir des répercussions sur toute la région Europe/Afrique via le Maghreb, que sur la sécurité intérieure de l’Algérie, notamment toute la zone Sud où sont concentrés les principaux gisements pétroliers et gaziers sans compter que bon nombre de familles, notamment Touaregs du Sud ont des liens étroits souvent familiaux avec les familles au niveau du Sahel et notamment au Mali.

2.- Face aux mutations géostratégiques, axes directeurs pour la construction de la paix mondiale

2.1- Quelques éclaircissements sur le concept de CP

La Construction pour la paix (CP) est un champ qui se développe rapidement et dont la valeur ajoutée est reconnue au niveau des institutions internationales, des Etats, de la société civile. Comme tout autre type de formation, la formation à la paix soulève de nombreuses questions auxquelles nous nous devons de répondre, afin de garantir sa qualité Les défis politiques touchent à la relation entre la formation et la manière dont les parties externes s’engagent dans le règlement des conflits. Cela inclut leurs objectifs et leurs programmes. Les défis politiques comprennent également la relation entre les États, les organisations internationales et les sociétés civiles mondiale et locales et leur influence sur la formation. Il convient également de mentionner les défis politiques inhérents au processus d’apprentissage lui-même.

Les défis politiques sont très étroitement liés au débat sur l’objectif de la form ation à la paix, qui est de préparer des individus à avoir une influence positive sur le conflit. Les différents acteurs ont des points de vue disparates quant à la manière de réaliser cela le plus efficacement possible. Par conséquent, il existe parfois une tension entre, d’une part, les processus de paix traditionnels menés par les États (la diplomatie officielle) et par l’armée et d’autre part, les processus engagés par des civils, qui résultent de traditions telles que la non-violence active et le dialogue à la base. Les deux approches luttent chacune à sa façon, pour trouver des solutions aux problèmes contemporains de violence généralisée et de guerre. Dans sa résolution intitulée ‘Projet de programme mondial pour le dialogue entre les civilisations’ (A/56/L.3), l’Assemblée générale présente solennellement ce Programme mondial. Le dialogue entre les civilisations y est décrit comme un processus engagé entre les civilisations et en leur sein, fondé sur l’inclusion et le désir collectif de tirer enseignement d’hypothèses, de mettre en évidence les valeurs communes essentielles et d’y intégrer diverses perspectives. Au nombre des objectifs du dialogue énoncés dans le programme, figurent notamment la recherche de terrains d’entente entre les civilisations afin de relever les défis qui menacent les valeurs communes, les droits de l’Homme et les acquis de l’Humanité dans divers domaines. Le dialogue entre les civilisations, est-il indiqué dans le Programme, peut contribuer à des progrès dans différents domaines dont la promotion du renforcement de la confiance aux échelons local, national, régional et international. Il est également précisé que la participation à ce dialogue doit inclure des membres de toutes les civilisations. Le programme d’action invite les Etats, le système des Nations unies et les organisations internationales et régionales ainsi que la société civile à mettre en œuvre, notamment des programmes visant à développer le dialogue et la compréhension et à bannir l’intolérance, la violence et le racisme entre les peuples, en particulier les jeunes. Il invite également les gouvernements, les organismes de financement, les organismes de la société civile et le secteur privé à mobiliser les ressources nécessaires à la promotion du dialogue entre les civilisations en contribuant, notamment au Fonds d’affectation spéciale créé à cette fin par le Secrétaire général en 1999. C’est que les conflictualités du monde contemporain et la solution finale, la Paix, ne sont pas seulement économiques ou sécuritaires, mais également et surtout ont, pour essence, une profonde crise morale devant se fonder sur une profonde rénovation de la perception du monde. Depuis que le monde est monde nos sociétés vivent d’utopie. Comme le dit l’adage populaire « l’espoir fait vivre.» D’ailleurs, au niveau des sociétés, nous assistons à une pièce de théâtre où chacun a un rôle déterminé, les pouvoirs en place avec leurs cours et leurs discours contribuant à cette utopie. Les guerres et les révoltes sociales en sont le contrepoids. Les messages de paix, de tolérance fondés sur le dialogue productif, tant au niveau planétaire qu’au sein des sociétés, sont-ils des messages d’utopie ou seront-ils concrétisés dans un avenir proche pour éviter, par exemple, que la religion ne soit utilisée à des fins de tension entre le monde musulman et l’Occident, comme arme de guerre fratricide ? C’est que les guerres de religion ont fait recette – rappelons les guerres entre catholiques et protestants, la persécution des juifs – et l’on a pu, paradoxalement, utiliser ces termes antinomiques de « guerre sainte », alors que les livres saints ont pour fondement tolérance et respect d’autrui. Or, depuis de longues années, je suis convaincu, avec de nombreux intellectuels de différentes sensibilités et nationalités, que la symbiose des apports du monde musulman et de l’Occident par le dialogue des cultures – Islam, Judaïsme et Christianisme étant des religions de tolérance, pour ne citer que ces grandes religions monothéistes -, devant respecter toute croyance de chacun, permettront d’éviter ces chocs de civilisations préjudiciables à l’avenir de l’Humanité. Le renforcement des relations entre le monde musulman et l’Occident, la promotion des synergies culturelles, économiques, politiques sont seules à même d’intensifier une coopération pour un développement durable ente le Nord et le Sud, et ce, afin de faire de notre univers un lac de paix d’où seront bannis l’extrémisme, le terrorisme et la haine, passant par une paix durable au Moyen-Orient, ce berceau des civilisations où les populations juives et arabes partagent une histoire millénaire de cohabitation pacifique.

2.2-Sociétés civiles et fécondation réciproque des cultures

Il existe des spécificités sociales nationales dont il convient de tenir compte car elles sont source d’enrichissement mutuel, permettant de communiquer avec des cultures lointaines à travers des réseaux décentralisés auxquels la société civile – intellectuels, diplomates, entrepreneurs, médias grâce au rôle important de l’Internet – doit jouer une fonction stratégique, car les nouvelles relations internationales, fondées sur les relations personnalisées entre chefs d’État, ont de moins en moins d’effets. Ces réseaux doivent favoriser les liens communicationnels, les aires de liberté dans la mesure où les excès du volontarisme collectif inhibent tout esprit de créativité. Dans ce cadre, il y a lieu d’accorder une attention particulière à l’action éducative, car l’homme pensant et créateur devra être à l’avenir le bénéficiaire et l’acteur principal du processus de développement. C’est pourquoi je préconise la création de grands pôles par grands continents (universités et de centres de recherches) loin de tout esprit de domination, comme moyen de fécondation réciproque des cultures, et la concrétisation du dialogue soutenu pour éviter les préjugés et les conflits sources de tensions inutiles.

Le monde musulman et l’Occident représentent deux régions géographiques présentant une expérience millénaire d’ouverture et d’enrichissements mutuels, tant sur le plan économique que culturel. Certes, nous avons assisté au déclin du monde musulman, notamment sur le plan de la recherche scientifique, alors que par le passé il était pionnier. Pour un devenir commun, il est indispensable que la majorité des dirigeants du monde musulman – qui ont une lourde responsabilité de la situation de misère de leur population faute d’une bonne gouvernance, bien qu’il existe des exceptions, certains pays étant devenus émergents – et l’Occident développent toutes les actions qui peuvent être mises en œuvre pour réaliser des équilibres souhaitables à l’intérieur de cet ensemble, et ce, afin de favoriser six objectifs solidaires.

Premièrement : l’État de droit et la démocratie politique, en tenant compte des anthropologies culturelles car une société sans sa culture et son histoire est comme un corps sans âme.

Deuxièmement : l’économie de marché concurrentielle à vocation sociale, loin de tout monopole, qu’il soit public ou privé.

Troisièmement : la concertation sociale et les échanges culturels par des débats contradictoires.

Quatrièmement : la mise en œuvre d’affaires communes, en n’oubliant jamais que les entreprises sont mues par la seule logique du profit et que dans la pratique des affaires il n’y a pas de sentiments. Mais l’on doit éviter que la logique du profit ne détruise les liens sociaux, d’où l’importance stratégique de l’État régulateur conciliant les coûts sociaux et les coûts privés.

Cinquièmement : intégrer l’émigration. Ciment des liens culturels, elle peut être la pierre angulaire de la consolidation de cette coopération et de ce dialogue nécessaire, de ce rapprochement du fait qu’elle recèle d’importantes potentialités cultuelles, économiques et financières. La pro motion des relations entre l’Orient et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées.

Sixièmement : tout en tenant compte effectivement de sa situation socio-économique, l’Occident doit favoriser la libre circulation des personnes, tout en engageant un véritable co-développement – à ne pas confondre avec l’assistanat – au profit des pays musulmans en retard, tenant compte du nouveau défi écologique qui devrait entraîner des mutations tant économiques que socioculturelles, voire politiques.

2.2-Un monde cruel et dangereusement déséquilibré

L’objectif stratégique est de repenser l’actuel système économique mondial, et donc la représentation au niveau des institutions internationales, le système actuel favorisant la bipolarisation Nord/Sud, la pauvreté préjudiciable à l’avenir de l’Humanité avec des poches de pauvreté croissantes même dans les pays développés, un phénomène d’ailleurs accéléré par les gouvernances les plus discutables de la part de certains dirigeants du Sud. La population mondiale s’élève actuellement à 7,6 milliards et devrait atteindre 8,6 milliards en 2030, 9,8 milliards en 2050 et 11,2 milliards en 2100, selon un récent rapport des Nations unies. Or, sur plus de 7 milliards d’âmes, les 2/3 sont concentrées au sein de la zone Sud avec moins de 30 % des richesses mondiales : en ce début du XXIe siècle, des disparités de niveau de vie criantes font de notre planète un monde particulièrement cruel et dangereusement déséquilibré. L’abondance et l’opulence y côtoient d’une manière absolument insupportable la pauvreté et le dénuement. Le revenu moyen des 20 pays les plus riches est 37 fois plus élevé que celui des 20 pays les plus pauvres, situés en Afrique sub-saharienne, en Asie du Sud et en Amérique Latine. Quand on sait que, dans les 25 prochaines années, la population mondiale augmentera de 2 milliards d’individus – dont 1,94 milliard pour les seuls pays en voie de développement – on peut imaginer aisément le désastre qui menace cette partie de l’Humanité si rien de décisif n’est entrepris. Faute de relever le défi de lutte contre la pauvreté, le sous-développement d’une grande partie de l’Humanité constituera, au cours des années à venir, une menace pour les pays développés et, d’une manière générale, pour l’ensemble du monde. Pour une paix durable, l’histoire commune nous impose d’entreprendre ensemble. Certes, les relations entre l’Occident et le monde musulman, sont souvent passionnées, surtout récemment avec l’avènement du terrorisme que l’on impute à tort à la religion de tolérance qu’est l’Islam. Espérons que les tensions seront dépassées, dans le cadre des intérêts bien compris de chaque nation, notamment sur le plan sécuritaire, car le terrorisme étant une menace planétaire. Le devenir solidaire conditionne largement la réussite de cette grande entreprise qui interpelle notre conscience commune. Le repli sur soi serait préjudiciable à notre prospérité commune et engendrerait d’inéluctables tensions sociales. Tout cela renvoie à des enjeux géostratégiques de première importance qui concernent l’Humanité, comme une gouvernance rénovée à l’échelle mondiale et concernant l’ensemble des outils et des méthodes de gestion des affaires de la Cité. En effet, avec l’interdépendance accrue de nos sociétés, les nouvelles mutations mondiales – avec l’avènement de la quatrième révolution économique – préfigurent, à l’horizon 2020/2030, un important bouleversement géostratégique avec la montée en puissance des pays de l’Asie, dont la Chine au premier rang. Face à cette fin de l’unilatéralisme et confrontés aux pressions sociales, les gouvernants ne sont-ils pas toujours enclins à inventer un ennemi à combattre ? Dans la nature innée des hommes ne se trouve-t-il pas le penchant vers la tyrannie et l’oppression mutuelle, comme l’a rappelé le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun? Pourtant, l’histoire commune nous impose d’entreprendre ensemble. Comme le dit l’adage arabe avec une profonde philosophie, « une seule main ne saurait applaudir ». C’est le modeste message de cette contribution.

2.3.- La philosophie diplomatique et sécuritaire de l’Algérie, éviter les fractures contemporaines

L’Algérie a toujours été au carrefour des échanges en Méditerranée. De Saint-Augustin à l’Emir Adkeldader, les apports algériens à la spiritualité, à la tolérance et à la culture universelle ne peuvent que nous prédisposer à être attentifs aux fractures contemporaines. L’ère des confrontations n’a eu cours que parce que les extrémismes ont prévalu dans un environnement fait de suspicion et d’exclusion. Connaître l’autre, c’est aller vers lui, c’est le comprendre, mieux le connaître. Évitons toute intolérance où certaines civilisations sont supérieures à d’autres: car, il y a de bonnes et de mauvaises civilisations, où en ce monde interdépendant , nous assistons à la formation de plus en plus étendue d’une civilisation de l’universel qui n’est que la résultante et le fruit des apports et des contributions des différentes civilisations humaines depuis la nuit des temps. Pour terminer je citerai Voltaire « Monsieur je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai de toutes mes forces pour que vous puissiez toujours le dire et Roger Garaudy, « il n’y a de véritable dialogue des civilisations que si chacun est pénétré de cette certitude que l’autre homme, c’est ce qui manque pour être pleinement un homme ».

*Dr – Professeur des Universités, expert international en management stratégiste :

Références

Pr Abderrahmane Mebtoul

Ministère de la Défense Nationale -Institut Militaire de Documentation, d’Evaluation et de Prospective IMDEP 08/01/2019 Alger Séminaire international « Sécurité collective et nouvelles conflictualités : les défis contemporains de la construction de la paix Intervention du professeur Abderrahmane Mebtoul expert international « Mutations géostratégiques, conflictualités et sécurité collective au Maghreb et au Sahel ».

Contribution du professeur Abderrahmane Mebtoul- Institut Français des Relations Internationales – IFRI- « La coopération Europe/Maghreb face aux enjeux géostratégiques 55 pages 04 avril 2011 » et du même auteur « la problématique de la sphère informelle au Maghreb (IFRI 28 pages 03 décembre 2013). L’Afrique, le Maghreb face aux enjeux des flux migratoires » site Afrik Press Paris France deux parties 24/27 juin 2018

4.- Sur les mutations géostratégiques militaires, politiques sociales et économiques au niveau du Maghreb et de la région méditerranéenne – voir la Revue IEMed 2017 -Barcelone -Espagne , un important collectif analysant la sécurité, le politique, l’économique, le social et le culturel de la région méditerranéenne auquel a contribué le professeur Abderrahmane Mebtoul sur le thème « impact de la baisse du cours des hydrocarbures sur les équilibres macro-financiers et macro-sociaux de l’économie algérienne : urgence d’une nouvelle politique économique », sous la direction du professeur Senen Florensa, ancien diplomate et ministre espagnol, Président de l’ Annuaire IEMed (516 pages), préfacé par Johannes Hahn Commissaire européen à la Politique de voisinage aux négociations d’élargissement. Ont contribué 51 personnalités internationales (ministres- diplomates- politiques, militaires, économistes , sociologues, historiens-écrivains ) des deux rives de la Méditerranée en huit chapitres interdépendants : 1.-le conflit arabo-israélien revisité -2.-les défis à venir de l’Union européenne -3.-l’avenir de l’Islam 4.-(Dé) Radicalisation et sécurité et leurs effets – sur la région méditerranéenne – 5.-Bilan et partenariat des pays -les pays méditerranéens / Union européenne -Balkans occidentaux -Maghreb -Moyen Orient et Turquie -Les autres acteurs 6.-secteurs stratégiques (sécurité et politique) -7.-Economie et territoire – 8.-Société et culture

Le Quotidien d’Oran, 20 oct 2020

Tags : Algérie, Maroc, Sahel, Libye, Mali, France, Barkhane, terrorisme,

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