Algérie : Quand les enfants étaient enlevés «légalement»

par Allal Bekkaï


Jadis, et conformément aux us et coutumes, l’oncle, le grand-père, le beau-père, le beau-frère, le cousin, voire le voisin «ken yasreq» (littéralement volait) l’innocent enfant à l’insu de ses parents pour le faire circoncire. La fête de «Nefqat sebaâ waouchrine» ou celle du Mouloud était propice à la circoncision des enfants âgés d’un, trois ou cinq ans (chiffre impair), selon la tradition. Tenue de cérémonie de mise composée d’une chechia, kachabia et bligha, achetée discrètement et à l’avance à la Qissariya. Destination : salon de coiffure du charismatique Si Charif, le fameux «hadjam» (scarificateur), au seroual arbi avec bretelles, de la rue de Mascara en face de derb Messoufa. Indiquons au passage qu’une venelle, voisine de sa consœur joaillère Ras sagha et la mosquée Sidi Bellahcène, était dédiée à cette corporation : il s’agit de derb el Hadjamine…

L’acte chirurgical de notre barbier, en l’occurrence Si Charif, s’accompagnait invariablement du simulacre rituel de l’oiseau fictif : «hawa zawech !» désignait-il d’un geste théâtral un point au plafond. Un dérivatif ou plutôt une diversion toujours efficace puisque la circoncision s’opérait comme par enchantement, en un clin d’œil (et sans anesthésie !). Le fauteuil était aménagé en «table» d’opération pour la circonstance. Pour maîtriser l’enfant «vulnérable», notre «hadjam» adoptait avec lui une prise «martiale» avant de passer à l’acte. Si Charif fera des émules dans ce métier, dont Choukchou le barbier de derb Sidi Hamed, Soulimane le coiffeur d’ El Mawqaf, Rahmoun l’infirmier de la Qissariya, entre autres…

A cette occasion, la fête se faisait parfois en musique avec «A’ marh’ba ouled sidi, toul syoufhem…». C’est la «khatna» (belle-mère), mot hébreu, dérivé à priori de «kh’tana», laquelle avait l’exclusivité et le privilège de «couver» le «m’tahar» qui s’était prêté au rituel religieux obligatoire de la circoncision (d’où le lien sémantique «orfi» coutumier de ces deux mots de la même «famille» culturelle ; chez les Turcs, «khatoun» signifie maîtresse de maison). Le soir ou le lendemain, les femmes amies de la maison venaient à leur tour voir le nouveau circoncis et chacune lui remettait quelques pièces de monnaie destinées à la mère ; on entendait de la musique, on dansait ou l’on regardait danser et la fête se terminait par des you-you stridents et des vœux genre «o’qba larassiya» (meilleurs vœux pour ses «futures» noces). La traditionnelle séance de henné faisait partie des préparatifs de la cérémonie : les pieds de l’enfant étaient badigeonnés de «henna» et la paume des mains «frappée» du «douro» symbolique contre le mauvais œil.

Aujourd’hui, cette «initiative», cette pratique a disparu des mœurs sociales : l’évènement est programmé par la famille qui est «préparée» psychologiquement au choc post opératoire (à travers le choix de la date, la désignation des accompagnateurs, le rendez-vous auprès du médecin chirurgien, l’hôpital ou le siège de l’association caritative quand il s’agit d’une circoncision collective)… Ambiance musicale avec Abderrahmane Djalti «Diroulou henna» et Karim Mesbahi «Hani, ya haney» via Youtube… Autre temps, autres mœurs.

Par ailleurs, le premier jeûne d’un enfant, en l’occurrence la fille, une sorte de «baptême» de carême, donnait lieu à un cérémonial particulier : arborant la tenue traditionnelle , le«caftan chedda» avec tous les bijoux en or qui vont avec, la petite «aroussa» effectue avec sa maman en haïk une longue tournée à pied et en toute sécurité chez les voisins et auprès de la famille avant de faire un détour obligé aux studios des Meghelli, Zmirli, Baghdad, Adem ou Bendahma pour immortaliser ce «baptême» de jeûne. Cependant, le passage pompeux de ces fillettes richement accoutrées dans la rue (et cela jusqu’aux années 70) ne fut jamais émaillé d’un quelque incident que ce soit, à savoir un enlèvement, un braquage ou un vol à la tire… Aujourd’hui, et pour des raisons de sécurité mais aussi de commodité, les fillettes sont prises en charge at home au studio par une habilleuse professionnelle qui «collabore» avec le photographe en fournissant la chedda, les accessoires et les bijoux en toc…

Quant à l’envers du décor, tragique celui-là, il s’illustre par les temps qui courent, par le phénomène de disparition et d’enlèvement d’enfants qui a pris dernièrement des proportions alarmantes chez nous. «Prison à perpétuité et peine capitale» sont annoncées dans le projet de loi contre le kidnapping. Et pour cause. Devant cette série noire marquée par le rapt et/ou le meurtre d’enfants, à l’instar des Chaïma, Haroun, Youcef, Yacine, Nadia…, une psychose semble s’installer dans la durée au sein des familles …

Parallèlement au dispositif sécuritaire mis en place à cet effet (système d’alerte, numéro vert, enquête…), Face book s’en mêle, solidarité oblige, à travers la publication de photos, de témoignages et de messages de sympathie ainsi que l’organisation de ratissage citoyen, version battue canine. Par rapport aux parents des victimes, impuissants, ils sont pris en étau entre l’angoisse et le deuil, avec les dégâts collatéraux sur la vie privée et la santé mentale que l’on sait, cette dernière étant déjà impactée par la pandémie du Covid-19… Au menu : chagrin, pleurs, crise d’hystérie, plaintes et complaintes…

Le Quotidien d’Oran, 21 oct 2020

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