Par Giacomo Fiaschi
La Tunisie, malgré la récente dégradation de sa notation par Moody’s, peut désormais jouer un rôle important dans la reconstruction de la Libye, ce qui lui a valu l’attention de l’Allemagne in primis. À ce stade, l’Italie peut et doit jouer un rôle central.
Après le déclassement de la note de la Tunisie en B3 avec perspective négative par Moody’s, la presse locale a multiplié les commentaires, les analyses et les accusations mutuelles des parties sur les responsabilités concernant cet état de fait. Tout le monde est au banc des accusés, les partis de gouvernement et d’opposition, les syndicats et les associations professionnelles, la classe dirigeante et la classe ouvrière.
En attendant, le parlement, le gouvernement et la présidence de la République, engagés depuis des mois dans une lutte à trois qui paralyse le pays, ne semblent pas vouloir entendre raison et continuent à se lancer des défis alors que le pays continue de s’effondrer et que les bailleurs de fonds, le FMI en tête, commencent à s’impatienter.
Cette situation semble toutefois paradoxale et, d’une certaine manière, incompréhensible si on la considère à court terme, qui voit la Tunisie candidate pour être la plate-forme logistique de la reconstruction de la Libye, une entreprise gigantesque destinée à garantir au moins une décennie d’activité intense dans tous les domaines.
La Libye, en effet, avec le gouvernement national qui sortira des urnes d’ici la fin de l’année, reviendra pour disposer pleinement, par le biais de la NOC (National Oil Corporation), des revenus financiers de l’extraction à grande échelle d’un pétrole de la plus haute qualité, largement suffisants pour couvrir l’ensemble des coûts de la reconstruction.
Une reconstruction qui impliquera des dizaines de grandes entreprises dans tous les secteurs, des grands travaux de construction à la haute technologie, en passant par l’industrie du meuble et de l’ameublement.
Et la Tunisie, en tant que base logistique où toutes les entreprises concernées trouveront les conditions idéales pour s’implanter tant du point de vue organisationnel que de celui des services financiers, sera la première à bénéficier de cette position, ce qui n’a certainement pas échappé aux observateurs nationaux et internationaux.
Elle n’a certainement pas échappé à l’Allemagne, qui finance depuis huit ans en Tunisie, par le biais de la Gemeinschaft fuer internationale Zusammenarbeit (la coopération allemande au développement international), la formation des futurs cadres de la classe dirigeante libyenne au Cfad (Centre de formation et d’appui à la décentralisation) et à l’Ena (Ecole Nationale d’Administration), les deux centres de formation d’Etat qui dépendent du ministère tunisien de l’Intérieur.
Une initiative, celle de la coopération internationale allemande, qui est estimée à pas moins de six milliards d’euros distribués au cours des huit dernières années.
Dans ce jeu, qui représente l’une des plus grandes entreprises du siècle, l’Italie pourrait jouer un rôle formidable si elle s’arrêtait un instant pour considérer la Tunisie exclusivement comme le pays des immigrés clandestins et si elle entamait immédiatement un travail de coopération pour construire les structures nécessaires à la plate-forme logistique de reconstruction en Libye.
Une tâche que le gouvernement italien pourrait (et devrait) assumer par l’intermédiaire des bureaux du ministère des affaires étrangères et de la Cassa Depositi e Prestiti, à laquelle appartient notre coopération italienne au développement. La présence sur le territoire tunisien d’environ neuf cents entreprises à capital italien représente un réseau virtuel au sein duquel évoluent des dizaines d’entreprises d’excellence dans divers secteurs manufacturiers, qui ont acquis une expérience précieuse en matière de gestion du personnel et de dialogue avec l’administration publique, expérience qui peut être mieux exploitée si elle est placée dans la perspective d’une stratégie de coopération plus large et plus efficace. Il est dommage que les relations entre l’Italie et la Tunisie soient perçues et symboliquement représentées presque exclusivement par ces onze millions d’euros destinés à la surveillance des côtes et au rejet des immigrés clandestins présentés comme une initiative vertueuse de notre gouvernement. Dommage, certes, mais peut-être pas entièrement, selon les mots de Monod, à cause du Hasard et de la Nécessité.
Une initiative italienne en Tunisie dans la perspective offerte par le scénario de la reconstruction libyenne pourrait en effet s’avérer non moins catastrophique pour la concurrence intra-européenne qu’elle n’est providentielle pour les entreprises italiennes.
D’une part, la proximité géographique de l’Italie, tant qu’elle restera confinée à la sphère de l’immigration clandestine, ne représentera pas un obstacle, tandis que d’autre part, l’affaiblissement de la fragile démocratie tunisienne produira l’effet d’une dévaluation qui rendra l’investissement plus rentable pour ceux qui se préparent à partager le gâteau libyen.
Source : Formiche, 6 mars 2021
Tags : Tunisie, Libye, Italie,
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