Le coup d’État au Mali est-il un avertissement pour l’Occident ?

Dishari Rakshit*

Le 24 mai 2021, le colonel Assami Goïta, en collaboration avec l’armée malienne, a mené un coup d’État et arrêté le président Bah Ndaw et le premier ministre Moctar Ouane. À la télévision nationale, Goïta a déclaré qu’étant donné que Ndaw et Ounae ne l’avaient pas informé ni même consulté sur le remaniement ministériel, un coup d’État était nécessaire. En outre, Ouane n’a pas inclus le ministre de la défense Sadio Camara ou le colonel Modibo Kone dans le nouveau cabinet, qui étaient des figures de proue du coup d’État. Goïta a affirmé que ces actes de défiance étaient en violation flagrante de la charte de la transition qui l’autorisait, lui et les militaires, à démettre par la force le président et le premier ministre de leurs fonctions.

Il s’agit du cinquième coup d’État depuis que le Mali a obtenu son indépendance de la France en 1960. Le dernier coup d’État a eu lieu en août 2020 après des mois de manifestations populaires contre le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keïta. Le Français Emmanuel Macron a décrit cet épisode comme un “coup d’État dans un coup d’État”. Ce coup d’État met en lumière ce qui se passe lorsque les grands pays et organisations donateurs investissent de manière disproportionnée dans le secteur de la sécurité d’un pays et ignorent l’amélioration de la gouvernance démocratique d’un pays.

Le coup d’État d’août 2020 a été précédé de mois de protestations contre le gouvernement de Keita, qui se sont intensifiées après que des affrontements ont entraîné la mort de quatre manifestants. Les manifestations, connues sous le nom de Mouvement du 5 juin ou M5, ont mis en évidence l’inefficacité du gouvernement, sa corruption et son incapacité à endiguer l’insurrection dans le nord du Mali.

La junte militaire a déclaré qu’elle n’avait pas l’intention de diriger le gouvernement. Elle assurera plutôt un leadership transitoire jusqu’à ce que de nouvelles élections puissent être organisées. La junte souhaite surtout organiser une élection nationale structurée et doter le Mali d’institutions fortes dans un délai raisonnable. Le Mouvement du 5 juin a fait pression sur la milice de la junte pour qu’elle adopte une feuille de route pour la gouvernance et une charte de transition de 18 mois. La charte prévoit plusieurs organes de transition, dont les postes de président, de vice-président et de premier ministre, tous nommés par la junte.

Peu après le coup d’État sans effusion de sang, les organismes régionaux, dont la CEDEAO et l’Union africaine, ainsi que les Nations unies, l’Union européenne, les États-Unis et la France, ont condamné le coup d’État. La CEDEAO a sanctionné les dirigeants du coup d’État, suspendu l’adhésion du Mali et exigé la libération de Keita et d’autres dirigeants. L’UA a exigé le retour d’une gouvernance démocratique et la libération de tous les hauts dirigeants. La France et les États-Unis ont suspendu leurs opérations au Mali.

Le double coup d’État au Mali met en évidence les risques liés à la réalisation des objectifs de sécurité à court terme des grands donateurs. De nombreux projets de recherche ont conclu que le renforcement des prouesses militaires sans investissement dans la gouvernance démocratique augmente la probabilité de coups d’État, faisant simultanément boule de neige dans la possibilité d’une guerre civile. Cela est particulièrement vrai pour un État comme le Mali. Ces coups d’État au Mali sont une démonstration claire de l’inévitabilité lorsque le secteur de la sécurité d’un pays est guidé par les objectifs à court terme des intérêts sécuritaires des donateurs plutôt que par ceux de ses intérêts. Au Tchad, l’accent mis par la France et les États-Unis sur la lutte contre le terrorisme a faussé la stratégie de sécurité du pays. De même, au Burkina Faso, l’accent mis sur la lutte contre le terrorisme a empêché le gouvernement d’aborder la question de l’extrémisme violent de manière plus globale, en investissant par exemple dans l’éducation et les opportunités économiques, et a entraîné la perte du contrôle gouvernemental sur de vastes étendues du pays.

L’attention limitée accordée aux efforts de consolidation de la paix et au traitement des griefs sous-jacents, tels que les abus du secteur de la sécurité et le vol généralisé de bétail, a considérablement érodé la confiance des citoyens dans le gouvernement. RAND a mené une étude sur l’histoire des meilleures pratiques de contre-insurrection depuis 1945 et a pu mettre en évidence que la majorité d’entre elles étaient liées à la gouvernance. L’établissement d’une gouvernance légitime, la participation politique, la diminution de la corruption, l’instauration de la confiance et la participation politique.

La région du Sahel est devenue un foyer d’insurrection violente et l’ONU, l’UE, le G5 Sahel et l’UA doivent prendre du recul et reconsidérer la manière de parvenir à la gouvernance et à la stabilité dans la région et aller au-delà de leurs objectifs limités de lutte contre les djihadistes et d’amélioration des capacités des forces de sécurité. Les pays donateurs réagissent presque par réflexe en soutenant le nouveau gouvernement militaire de transition, car ces acteurs craignent l’insécurité et considèrent que l’armée et la sécurité sont complémentaires. Il s’agit d’un faux discours. La meilleure mesure contre l’insurrection djihadiste est d’avoir un gouvernement fort, légitime et responsable. Ces instances doivent investir dans la mise en place d’une structure de gouvernance démocratique et rendre les forces de sécurité responsables.

Avec le coup d’État au Mali et un autre au Tchad, la région est actuellement confrontée à un recul de la démocratie. Le Nigeria et le Burkina Faso ont menacé de priver de leur droit de vote une grande partie de la population et les présidents de la Guinée et de la Côte d’Ivoire sont en train de briguer illégalement leur troisième mandat. Même si des études ont montré l’impérieuse nécessité pour les États-Unis et la France de modifier leurs approches politiques, les partenaires internationaux continuent de mettre en œuvre des politiques de sécurité à court terme au détriment de la paix à long terme. Ce faisant, ces acteurs s’enferment dans le cercle vicieux qui consiste à contribuer à une instabilité persistante, à saper leurs objectifs de sécurité et à s’engager à fournir une assistance supplémentaire aux États fragiles.

Ce double coup d’État au Mali offre une excellente occasion pour la France et les États-Unis de changer leur fusil d’épaule pour mettre en œuvre une paix durable à plus long terme en se concentrant sur la gouvernance et la responsabilité du secteur de la sécurité. L’accent mis sur la sécurité n’est pas approprié. L’une des meilleures stratégies pour lutter contre le terrorisme et parvenir à une sécurité stable consiste à investir dans l’éducation, la gouvernance et un meilleur traitement des groupes vulnérables et des minorités. Ce changement d’approche nécessiterait de rééquilibrer l’ensemble des priorités, de la formation militaire à la diplomatie, et de l’assistance tactique à la sécurité au renforcement de la gouvernance en matière de sécurité.

*Dishari Rakshit travaille actuellement en tant que chercheuse géopolitique indépendante. Elle a précédemment travaillé comme analyste de recherche pour Janes Information Group et comme chef de projet pour Swissnex India. Dishari est titulaire d’un double master en relations internationales de l’Institut universitaire de Genève et de l’Université Jadavpur, en Inde. Elle a travaillé comme stagiaire pour le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et l’Observer Research Foundation.

International Policy Digest, 19 juin 2021

Etiquettes : Mali, Sahel, Barkhane, Mouvement du 5 juin, CEDEAO, Union Africaine, UA, ONU, France, Niger, Burkina Faso,

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