Après Barkhane : ce que le retrait militaire de la France signifie pour le Sahel
Emmanuel Macron a pris ses alliés par surprise lorsqu’il a annoncé la fin de l’opération Barkhane. Mais ses nouveaux plans ne semblent pas offrir le changement d’orientation dont le Sahel a besoin.
Andrew Lebovich
À la fin d’une longue conférence de presse le mois dernier, Emmanuel Macron a annoncé un changement significatif de la politique française au Sahel. La France, a-t-il dit, mettrait fin à l’opération pan-sahélienne Barkhane sous sa forme actuelle. Les effectifs des troupes françaises dans la région seraient réduits sur plusieurs années. À sa place, une nouvelle coalition internationale, avec des contributions et un leadership français significatifs, prendrait en charge les opérations de lutte contre le terrorisme ainsi que la formation et l’assistance des forces de sécurité au Sahel.
M. Macron a fait cette annonce sans consulter ses partenaires européens et internationaux, y compris les dirigeants du G7 et de l’OTAN qu’il devait rencontrer prochainement en Cornouailles et à Bruxelles. Il a laissé les détails clés à déterminer “dans les semaines à venir”.
Ces derniers mois avaient déjà été difficiles pour la France au Sahel. En raison du “coup d’État dans le coup d’État” de fin mai au Mali et de l’absence de progrès sur le plan politique et sécuritaire dans la région, la France avait déjà suspendu la coopération militaire avec les forces armées maliennes, y compris les opérations et la formation conjointes. Il est vrai qu’une éventuelle réduction des troupes françaises dans la région, ainsi qu’un changement d’orientation et de déploiement de l’opération Barkhane, sont attendus sous une forme ou une autre depuis au moins le sommet de Pau de 2020. Mais la frustration palpable de Macron face au manque de progrès au Mali a sans doute été un facteur. Juste après le coup d’État de mai, Macron a confié au Journal du Dimanche son message aux dirigeants sahéliens selon lequel la France ne continuerait pas à travailler avec “un pays où il n’y a pas de légitimité démocratique ou de transition”.
La transformation de Barkhane reflète les demandes non satisfaites de la France pour que les États de la région assument eux-mêmes de plus grandes responsabilités en matière de sécurité et de gouvernance, en particulier après le coup d’État d’août 2020 au Mali et le coup d’État ultérieur de mai 2021. Mais ces demandes déplacent le blâme de l’échec plus large de la communauté internationale à aider à arrêter la propagation de l’instabilité dans le Sahel. Les pratiques en matière de sécurité et de développement que les acteurs extérieurs – y compris les États français et européens et plus largement les organisations internationales – ont suivies au fil des ans ont souvent été de courte durée. Elles ont aussi parfois sapé les efforts de partage des charges, de stabilisation et tout espoir de réformes politiques profondes nécessaires pour aider les États de la région à surmonter les défis auxquels sont confrontés leurs propres populations et institutions.
Barkhane, un pilier central
Les forces françaises forment un pilier central des engagements militaires actuellement actifs au Sahel, Barkhane servant de nœud d’opérations pour une série de partenaires au Mali et dans toute la région. Bien que le rôle principal de Barkhane soit celui d’une force expéditionnaire française de lutte contre le terrorisme, il fournit d’importantes capacités de renseignement et de logistique qui sont essentielles à toutes les autres opérations militaires au Sahel : la mission de maintien de la paix des Nations unies au Mali (MINUSMA) et les États du G5 Sahel. La fin de Barkhane en tant qu'”opération extérieure” – combinée à une réorganisation des moyens de planification, de commandement et de sécurité dont les détails ne sont pas encore précisés – aura donc un impact important sur toute opération ultérieure, en particulier pour les forces maliennes et de la MINUSMA. Et une poussée vers le partage de la charge sans une planification et une coordination minutieuses met également en danger toute opération continue – comme l’illustre la Task Force Takuba.
Takuba a été officiellement créée en 2020 en partie pour poursuivre le travail que la mission de formation de l’UE (EUTM) n’est pas en mesure d’effectuer. L’EUTM fournit une formation de base aux forces armées maliennes, mais les restrictions concernant le déploiement de personnel européen dans les opérations de terrain pour accompagner les troupes qu’ils forment ont limité son impact et sa durabilité. Takuba est censé combler cette lacune en menant des opérations tout en continuant à former et à accompagner les forces maliennes et potentiellement d’autres forces régionales sur le terrain après la formation initiale de l’EUTM.
Pour de nombreux gouvernements européens impliqués dans la MINUSMA, les missions de la politique de sécurité et de défense commune de l’UE, ou la Task Force Takuba, l’étendue actuelle de leur implication militaire se heurte déjà à des limites politiques chez eux et ils vont maintenant réfléchir à leur propre présence dans la région, en particulier si ces forces subissent une pression croissante de la part des forces djihadistes. L’annonce par Macron que la Task Force Takuba assumera une mission plus directe de contre-terrorisme ne sera pas nécessairement acceptée par les gouvernements qui soutiennent la mission. Un tel changement pourrait avoir un impact négatif sur la formation et l’accompagnement des forces régionales que la mission était censée accomplir.
L’échec du développement
Le retrait, la réorganisation et le réalignement futurs des forces internationales auront également une incidence directe sur les divers projets de développement et de stabilisation mis en place par la communauté internationale au Sahel, dont beaucoup sont placés sous les auspices de l’Alliance pour le Sahel. Pour être efficaces, les projets de développement ont besoin de sécurité combinée à une meilleure gouvernance et à une présence gouvernementale. Un retrait sans aucune clarté sur la façon de combiner la sécurité avec la gouvernance et le travail de stabilisation ne fera que rendre ces programmes plus difficiles, et il sera également plus difficile de maintenir une pression efficace là où c’est nécessaire, en particulier au Mali.
La France et la communauté internationale ne peuvent pas simplement remplacer les États et pallier les échecs de gouvernance efficace et équitable, comme Macron lui-même l’a souligné. Cependant, la France et ses partenaires ont souvent échoué à faire de véritables pressions pour la responsabilité régionale face aux abus et aux politiques délétères qui sapent la gouvernance en premier lieu. Les stratégies internationales dans la région se contentent souvent d’un discours sur l’amélioration de la gouvernance, tout en omettant, dans la pratique, de s’attaquer aux nombreuses limites politiques, sécuritaires et économiques qui pèsent sur la capacité et la gouvernance des États sahéliens. La “poussée civile” promise en février après le sommet de N’Djamena pour compléter les efforts militaires dans la région ne s’est pas non plus concrétisée jusqu’à présent.
Lors de sa conférence de presse, M. Macron a clairement indiqué que, malgré la réduction prévue des troupes françaises et l’internationalisation de nouvelles initiatives, les forces françaises constitueraient toujours l'”épine dorsale” des efforts militaires au Sahel, sans toutefois expliquer ce que cela signifierait en pratique. La nouvelle formation, qui reste à déterminer, maintiendrait un fort accent sur le contre-terrorisme (qui est déjà une mission essentielle de Barkhane), structuré autour de la Task Force Takuba multinationale dirigée par la France, ainsi qu’une EUTM élargie qui couvrira de plus en plus le Burkina Faso et le Niger.
Tout changement dans la structure et la taille des forces françaises ne se fera probablement que lentement. Les rapports indiquent que les réductions de troupes pourraient commencer en septembre, et se poursuivre au cours des prochaines années, avec la fermeture de certaines bases et la concentration d’autres forces sur des bases plus importantes, comme celle de Gao. Le rétrécissement des forces conventionnelles françaises et l’européanisation (ou même l’internationalisation plus large) des opérations militaires et de formation dans le Sahel étaient en partie à l’origine de la création de la Task Force Takuba.
Comme moins de forces dans la région se concentrent plus strictement sur le contre-terrorisme, et avec une approche de formation et d’accompagnement qui n’a jusqu’à présent pas réussi à améliorer la sécurité et la stabilité dans la région, la sécurité sera encore plus difficile à obtenir. C’est le cas même lorsque les forces françaises poursuivent des opérations antiterroristes réussies contre des chefs djihadistes. Des politiques coordonnées et claires sont nécessaires maintenant que la France réorganise sa présence militaire dans la région. C’est d’autant plus vrai lorsqu’on essaie de passer à une focalisation sur la gouvernance – ce qui exigera plus que le simple “retour de l’État” décrit par de nombreux dirigeants régionaux et internationaux. Au contraire, de profonds changements dans les États sahéliens sont nécessaires pour cette amélioration de la gouvernance, des changements que les citoyens sahéliens exigent également. Un retrait mal coordonné et la mise en place de coalitions ad hoc risquent d’entraîner le pire des mondes, créant des coûts politiques et de sécurité pour l’Europe tout en entravant les chances d’améliorer la coordination internationale et régionale et en supprimant les moyens de travailler avec les États sahéliens ou de faire pression sur eux pour qu’ils procèdent aux changements indispensables.
European Council on Foreign Relations, 02/07/2021
Etiquettes : Sahel, France, Barkhane, Mali, Tchad, Burkina Faso, Niger,
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