Le Makhzen viole les fondements des relations algéro-marocaines !

De fuite en avant en fuite en avant et sur fond de guerre froide durable

Le Makhzen viole les fondements des relations algéro-marocaines !

On sait que beaucoup de choses essentielles séparent l’Algérie et le Maroc : trajectoires historiques différentes, systèmes politiques et choix économiques aux antipodes, projections géopolitiques plus ou moins opposées, séquelles historiques consécutives à la guerre des sables (1963) et aux deux batailles d’Amgala (1976), le Sahara Occidental comme pierre d’achoppement diplomatique essentielle et la frontière fermée et désormais militarisée. Le cercle de crise entre les deux pays est de plus en plus large et les lignes de fractures si nombreuses. Mais les relations bilatérales ont cependant des fondements historiques et sont régies par des principes, des déclarations, des règles et des accords depuis l’Indépendance de l’Algérie en 1962.
Autant d’arrangements et de conventions censés éviter de nouveaux conflits à défaut d’entente cordiale ou de franche coopération, et empêcher au final tout climat délétère passant de la paix armée à la guerre froide comme c’est le cas actuellement. Autant d’accords tacites ou explicites et de principes énoncés que le Makhzen a rarement respectés. Encore plus de nos jours où il est passé de l’ingérence directe dans les affaires souveraines de l’Algérie à la menace contre son intégrité territoriale et son unité nationale ; sans oublier le casus belli caractérisé par l’espionnage numérique agressif, et à grande échelle, de sa direction civile et militaire, et d’un vaste panel de figures emblématiques de son monde politique, de sa presse et de sa société civile.
Après une période de nette hostilité marquée au plus haut point par l’agression militaire de 1963 contre l’intangibilité de sa frontière héritée de la colonisation, les relations algéro-marocaines ont connu un début d’apaisement et de normalisation à la faveur du Traité d’Ifrane du 15 janvier 1969. Comme son intitulé l’indique bien, il s’agit d’un accord d’amitié, de bon voisinage et de coopération. Répétition utile : trois vocables qui sont des mots-clés normalement chargés de sens : amitié, bon voisinage et coopération auxquels les deux parties n’ont cependant pas conféré la même signification. De ce point de vue, les bonnes intentions algériennes trouvent leurs racines dans la position de principe du GPRA, l’autorité politique représentative de l’Algérie combattante.
En effet, le 6 juillet 1961, soit un an avant l’indépendance de l’Algérie, une convention signée entre le roi Hassan II et le Président Ferhat Abbas reconnaît le problème posé par la délimitation des frontières imposée par la France coloniale. Elle institue aussi une commission mixte pour l’étudier, en vue d’une solution au lendemain de l’indépendance de l’Algérie.
Dégel et dynamique vertueuse
À la base du traité d’Ifrane, ce triptyque « amitié-bon voisinage-coopération », qui devait donc mettre fin à la période de glaciation post-guerre des sables, a finalement préparé le terrain à un autre acte de paix majeur, la Déclaration de Tlemcen signée le 27 mai 1970. En vertu de laquelle le roi Hassan II renonçait aux revendications historiques du Maroc sur Tindouf, en échange d’une exploitation commune des gisements de fer de Ghara-Djebilet, acceptés par le Maroc, en pleine conscience, comme propriété totale et souveraine de l’Algérie. La dynamique vertueuse ainsi créée aboutira ensuite à la conclusion d’une entente fondamentale sur la délimitation des frontières, matérialisée par la « Convention relative au tracé de la frontière d’État » signée à Rabat le 15 juin 1972. Ce document stratégique a été ratifié rapidement par l’Algérie, précisément le 17 mai 1973, alors que le Maroc a longtemps attendu de le faire, avant le 22 juin 1992 ! Les délais de ratification renseignent, de part et d’autre, sur les intentions des uns et des autres. S’agissant du Maroc, on sait qu’il a fait le choix d’entretenir en permanence un flou tactique : s’il respecte de fait ladite Convention contraignante en termes de droit, il suspend en revanche la reconnaissance de jure définitive de la frontière et de l’algérianité de Tindouf. Une position flottante qui permet à Rabat de réactiver le sujet en cas de nouvelles tensions avec Alger.
Au fond, le Traité d’Ifrane, la Déclaration de Tlemcen, la Déclaration de Rabat et la Convention sur la délimitation de la frontière ont, de facto et de jure, mis fin au mythe du Grand Maroc de Allal El Fassi de l’Istiqlal. Où l’on voit que l’insuffisance supposée de précision des « démarcations » sont dénoncées par le Makhzen quand les intérêts stratégiques ou économiques sont en jeu : mines de fer de Ghara-Djebilet, cuivre et manganèse à Ougarta et Djebel-Guettara. Dans le réel, le litige frontalier se localise exclusivement dans le Sud algérien et du reste concerne des frontières fixées in fine par la « ligne Trinquet ». Cette dernière a servi de fait comme frontière jusqu’en 1956 et la fin du protectorat français au Maroc. Jusqu’en 1962 et l’indépendance de l’Algérie, le gouvernement marocain considérait cette même ligne frontalière comme la frontière orientale minimale du Maroc.
En 1963, le gouvernement français reconnaît que son homologue marocain serait fondé à invoquer les accords de 1901 et de 1910 qui lui sont plus avantageux. Il concède néanmoins que son vis-à-vis algérien pourrait soutenir pour sa part, et à bon droit, que les autorités françaises ne considéraient pas la « ligne Trinquet » telle une véritable frontière puisqu’en 1958, le commandement français en Algérie l’avait repoussée vers l’Ouest, pour des raisons stratégiques, créant ainsi une troisième ligne, appelée la « ligne opérationnelle».
C’est justement sur la « ligne Trinquet » que se trouve Tindouf qui a été occupée par la France entre les deux guerres mondiales. Ce qui est en flagrante contradiction avec les propos tenus par le roi Hassan II, le 27 novembre 1985, lorsqu’il soutenait le discours suivant : «Tindouf faisait partie intégrante du territoire marocain jusqu’au début des années 1950, puisque, lors des cérémonies de l’Aïd el-Fitr, le pacha de cette ville — je l’ai vu de mes propres yeux — venait faire allégeance devant mon père. Mais lorsque nous sommes partis en exil (août 1953), Tindouf, en outre, nous a été enlevée pour être rattachée à l’Algérie .»
L’irruption brutale du conflit du Sahara Occidental favorisera par ailleurs la rupture des relations bilatérales en février 1976, à l’initiative du roi Hassan II. Cet acte d’hostilité sera suivie d’une période de grand froid rompue le 26 février 1983 par un tête-à-tête dit historique entre Chadli Bendjedid et Hassan II à la frontière algéro-marocaine, suite au refus de l’un et de l’autre d’aller chez le voisin. La rencontre a fait le lit de la signature, le 28 mai 1983, d’un accord entre les deux pays sur la libre circulation progressive des personnes et des biens et l’ouverture des lignes aériennes et ferroviaires. Mais cela ne durera pas longtemps. Le traité d’union maroco-libyen du 13 août 1984 jettera de nouveau le froid entre les deux pays. Les relations tendues entre les deux parties connaîtront cependant un dégel spectaculaire à la faveur d’une visite en mai 1988 à Alger d’une délégation marocaine de haut niveau composée de deux émissaires de premier ordre, en les personnes d’Ahmed Réda Guedira, conseiller spécial du roi Hassan II, et Dris Basri, puissant ministre de l’Intérieur et gardien du temple makhzenien. Cette visite importante aboutira à la déclaration d’Alger qui relancera les relations bilatérales sur de nouvelles bases, celles de l’apaisement, du dialogue, du bon voisinage et de la coopération, choses frappées, il est vrai, du sceau de la relativité, car ce ne fut pas la lune de miel non plus ! Reste qu’il s’agissait en effet d’un engagement inédit entre les deux États qui se sont exprimés en même temps en faveur de l’accélération de l’édification du Grand Maghreb.
La « Déclaration d’Alger » est un modus vivendi

Cette déclaration d’Alger, qui sera conclue par le rétablissement des relations diplomatiques au niveau des ambassadeurs (à compter du 16 mai 1988) et la réouverture des frontières le 5 juin, avaient permis de dissocier l’évolution des relations bilatérales du développement du dossier du Sahara Occidental. Les deux parties, qui avaient réaffirmé à l’occasion la pleine validité des traités, conventions et accords conclus entre les deux pays, s’étaient montrées « soucieuses de favoriser le succès des efforts internationaux entrepris en vue de hâter le processus de bons offices pour une solution juste et définitive du conflit du Sahara Occidental, à travers le référendum d’autodétermination régulier et libre se déroulant dans la sincérité la plus totale et sans aucune contrainte ».
L’effet vertueux de cette décristallisation des rapports conflictuels entre Alger et Rabat, et la volonté puissante d’éviter le linkage des dossiers des relations bilatérales et du Sahara Occidental, auront encore pour effet positif la visite officielle « d’amitié et de travail » inédite au Maroc du Président Chadli Bendjedid, le 6 février 1989. Et, dans la foulée, le sommet maghrébin de Marrakech aboutissant à la création de l’Union du Maghreb arabe (UMA), quelques mois seulement après le sommet historique maghrébin à Zéralda en Algérie. Cette visite emblématique aboutira à la conclusion d’un accord pour la réalisation d’un gazoduc traversant le Maroc pour alimenter l’Europe. Une grande commission de coopération économique évaluera en mars de la même année les résultats des sous-commissions pour donner un grand élan à la coopération bilatérale. À cette date, l’euphorie des retrouvailles permettait de parler, entre autres, de l’accélération de la circulation de personnes, notamment par la voie ferroviaire, avec l’idée de rétablissement de la ligne Casablanca-Tunis !
À la suite de cette période d’éclaircies, les relations bilatérales se stabilisent jusqu’au mois d’août 1994, date à laquelle des déclarations du Président de l’État Liamine Zeroual, réitérant le soutien principiel de l’Algérie à la cause sahraouie, incitent le Maroc à mettre fin à l’embellie ayant marqué les relations bilatérales depuis 1988. Quelques jours plus tard, Rabat accuse fallacieusement Alger d’être derrière un attentat terroriste ciblant un palace touristique à Marrakech. L’acte terroriste pourtant perpétré par des islamistes marocains servira toutefois de prétexte pour chasser des résidents algériens du Maroc et instaurer un visa d’entrée. Les autorités algériennes réagissent par la décision de fermer les frontières terrestres. Les relations entre les deux pays replongent ainsi dans le froid sibérien que rompent de temps en temps, de part et d’autre, depuis le début des années 2000, des visites de ministres ou encore la rencontre unique entre le roi Mohammed VI et le Président Abdelaziz Bouteflika en marge du 17e Sommet de la Ligue arabe en mars 2005. Le Maroc avait, quelques jours avant, supprimé le visa d’entrée pour les Algériens, initiative suivie par celle de l’Algérie qui a appliqué la réciprocité au mois d’avril.
Dans le réel, par les actes et par les mots, le Makhzen, dont les attitudes sont surdéterminées par le paramètre de la question du Sahara Occidental, combine provocations diplomatiques, campagnes médiatiques hostiles et soutien au terrorisme islamiste durant les années 1990. Et ajoute désormais les menaces sur l’intégrité territoriale et l’unité nationale de l’Algérie, à travers l’appui direct à un mouvement séparatiste classé récemment comme organisation terroriste par les autorités algériennes. Sans oublier, en parallèle, et avec l’aide de l’allié stratégique israélien, l’intrusion numérique systématique et de grande ampleur, dans les premiers cercles de la décision politique, diplomatique et militaire, et dans l’extension naturelle que représentent des élites de l’opposition politique, des médias et de la société civile. Bien loin de la lettre et de l’esprit du Traité d’Ifrane (1969), la Déclaration de Tlemcen (1970), la Déclaration algéro-marocaine de Rabat (1972), la Convention relative aux frontières (1972) et la Déclaration d’Alger (1988).
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