Les Azaitar: les amis devenus un problème pour le roi du Maroc

-Les Azaitar: les amis devenus un problème pour le roi du Maroc
-Depuis trois ans, Omar, Ottman et Abu Bakr Azaitar – ces deux dernières stars des arts martiaux – sont des amis du roi du Maroc. Mais depuis quelques semaines, leurs scandales et l’ostentation de leur luxe sont la cible d’une intense campagne de presse orchestrée depuis les ombres du pouvoir.

“Abou Azaitar continue ses provocations envers le peuple marocain” titrait le 19 juin 2021 le quotidien en ligne marocain Barlamane, dirigé par Mohamed Khabachi, nommé il y a quelques années par Mohamed VI directeur de la MAP, l’agence de presse officielle, puis directeur de la communication au ministère de l’Intérieur. Le journal s’en prend également à Omar, un autre membre de la famille Azaitar, presque accusé de haute trahison pour avoir ouvert une franchise de la chaîne allemande 3H’S Burger & Chicken sur la Costa del Sol en juin, au plus fort de la crise hispano-marocaine.

Si un média comme Barlamane se permet d’attaquer les trois frères Azaitar après les avoir encensés il y a encore quelques mois, c’est que l’appareil sécuritaire marocain a décidé de tenter de mettre fin à leur relation avec le roi du Maroc. Cette amitié a débuté le 20 avril 2018, lorsque le souverain les a reçus au palais royal de Rabat pour les féliciter de leurs exploits sportifs.

VACANCES ROYALES AUX SEYCHELLES
À l’époque, Ottman Azaitar venait de remporter le championnat du monde de la Brave Combat Federation en arts martiaux mixtes (MMA). Abu Bakr, quant à lui, s’était inscrit à l’Ultimate Fighting Championship, le premier championnat mondial de sports de combat. Tous deux s’étaient mis aux arts martiaux à Cologne, en Allemagne, où ils étaient nés de parents immigrés d’Al Hoceima. Le troisième frère, Omar, travaille un peu comme leur manager, mais dirige aussi sa propre entreprise. En 2019, il a ouvert son premier 3H’S Burger & Chicken à Tanger, où le roi a envoyé son fils, le prince héritier Hassan, pour déjeuner.

Après cette audience royale d’avril 2018, les trois sont devenus inséparables du souverain, au point qu’ils ont même passé leurs vacances ensemble aux Seychelles cette année-là, après avoir navigué en Méditerranée occidentale à bord du yacht Al Lusail, mis à la disposition de Mohammed VI par l’émir du Qatar, Tamim bin Hamad Al Zani. Au début de cette sympathique histoire d’amour, les réseaux sociaux ont été inondés de photos du roi accompagné des trois frères, notamment d’Abu Bakr. Ensuite, la relation est devenue plus discrète, mais n’a pas perdu de son intensité.

Le 6 novembre 2019, à Laayoune, Abou Bakr et Ottman sont même allés jusqu’à représenter un peu le roi. Lors de la cérémonie commémorant la Marche verte de 1975 qui a permis au Maroc de prendre le contrôle de la majeure partie du Sahara occidental – alors colonie espagnole – les deux frères se sont installés au premier rang, devant tous les officiels, dont un ministre et le wali (gouverneur).

Depuis le mois de mai de cette année, le séjour des frères Azaitar au Maroc a été émaillé de gaffes et de scandales rapportés ouvertement dans la presse. Cela va de la pratique du jet-ski par Abou Bakr près de la marina de Bouregreg à Salé, où ce sport est interdit, à sa colère contre les médecins et les infirmières de l’hôpital Avicenne à Rabat, qui ne semblaient pas en mesure de faire face efficacement à la pandémie de coronavirus. Et Ottman n’est pas en reste. Le 21 mai, Atlas Info, une publication juridique marocaine de langue française, a rapporté qu’il avait causé une “détresse” parmi les clients et le personnel du café Starbucks de la gare de Rabat lorsque la caissière a refusé de prendre leur commande parce qu’il avait ouvertement coupé la file.

“GANGSTERS AVEC FERRARI”.
Pour la presse, les extravagances des frères ne sont pas aussi sérieuses que leur étalage de luxe, tant dans la rue que sur les médias sociaux. Le 10 juin, Hespress, le journal en ligne le plus lu au Maroc, a estimé qu’Abu Bakr possède une collection de montres de luxe “estimée à au moins 25 millions de dirhams” (2,3 millions d’euros). Imar se pavane dans des voitures très haut de gamme, comme une Mercedes Brabus 800 d’une valeur de 200 000 euros, une Bentley Bentayga de 300 000 euros et une Rolls-Royce d’un demi-million d’euros.

L’interrogation de ces invités du roi transcende la presse. Samira Sitail, journaliste bien connue au Maroc et ancienne directrice de la chaîne publique 2M, s’est également jointe aux critiques : “Alors que le roi #MohamedVI ordonne que les Marocains de l’étranger puissent voyager à des prix abordables, les @abu_azaitar postent des photos de leurs voyages en jets privés de luxe”, a-t-elle écrit sur son compte Twitter. “Ils méritent un coup de pied au cul”, a ajouté Sitail.

Le premier média à lancer les hostilités contre les Azaitars a été Hesspress le 1er mai, lorsqu’il leur a consacré un article anonyme de 3 400 mots, publié d’abord en français, puis en arabe. Il raconte presque tout, y compris leur jeunesse à Cologne, lorsque la presse allemande les a surnommés “les gangsters aux Ferrari” parce qu’ils avaient volé une Ferrari après avoir battu son propriétaire, un homme d’affaires, qu’ils avaient menacé de tuer en “l’aspergeant d’essence”. “Leur passé judiciaire est plus important que leur passé sportif”, note le journal, une affirmation confirmée par les publications sportives spécialisées dans les arts martiaux.

Bien que les Azaitars aient réussi, selon la presse, à “instrumentaliser la considération royale” en leur faveur, tous les médias se sont jusqu’à présent prudemment abstenus de mentionner les liens étroits des frères avec Mohammed VI. Le 9 juillet, cependant, Hesspress a fait un pas de plus. Un nouvel article bilingue anonyme laisse entendre que les voitures et montres de luxe sont peut-être des “cadeaux”, mais le journal ne va pas jusqu’à préciser que c’est le roi qui les a offerts. Sans le dire explicitement, l’auteur invite le souverain à ne plus accepter “cet étalage obscène de signes de richesse qui contrastent avec une situation socio-économique extrêmement fragile” du Maroc causée par la pandémie.

“LEUR EXTRAVAGANCE POURRAIT EN ÉCLABOUSSER PLUS D’UN”.
Les Azaitars, poursuit le quotidien, “sont des bombes à retardement plantées un peu partout qui finiront par nous exploser à la figure, tant leurs excès et leur enrichissement suspect sont scandaleux”. Leur objectif est de “régner sur le Maroc et de prendre tout ce qui peut être pris”. “Leurs extravagances pourraient en éclabousser plus d’un”, souligne Hesspress dans ce qui apparaît comme un avertissement à Mohammed VI sur les risques qu’il court en les fréquentant.

L’article se termine par une comparaison subtile entre Abu Azaitar et Raspoutine, le pèlerin mystique qui a exercé une grande influence sur la cour impériale russe au début du siècle dernier. L’auteur invite le boxeur germano-marocain à lire l’histoire de Raspoutine, qui a été assassiné en 1916. Est-il une menace ?

À l’époque du roi Hassan II, ceux qui représentaient une menace pour la monarchie marocaine couraient le risque d’être victimes d’un accident mortel. C’est le cas en 1983 du puissant général Ahmed Dlimi, dont la voiture est mystérieusement percutée par un camion dans la palmeraie de Marrakech.

Avec Mohammed VI, les méthodes ont changé, et le Makhzen – l’entourage le plus proche du souverain – se tourne en priorité vers la presse pour se débarrasser de ceux dont le comportement nuit à la bonne image de l’institution monarchique. Toutefois, si le dirigeant reste insensible à la campagne médiatique qui l’entoure et n’écarte pas les personnes impliquées, cette manœuvre pourrait s’avérer peu utile.

Les auteurs des diatribes contre les Azaitars et les médias qui les ont publiées n’ont pas été inquiétés. Mais dans un pays aussi hiérarchisé et autoritaire que le Maroc, où plusieurs journalistes indépendants croupissent en prison, cette campagne médiatique ne peut provenir que d’un cercle très restreint du pouvoir, composé de conseillers sécuritaires et de conseillers royaux qui considèrent que le comportement des frères représente un énorme préjudice pour la monarchie et menace même la stabilité du royaume.

Ce n’est pas la première fois au Maroc que la presse est utilisée pour démolir l’image d’un proche du roi. À la fin de l’hiver 2018, Le Crapouillot Marocain, un site quasi-clandestin, a publié deux articles anonymes discréditant la princesse Lalla Salma, l’épouse du roi, la décrivant comme une femme “dédaigneuse et rabaissante” au caractère “colérique et agressif”. Comme si cela ne suffisait pas, ils ont également affirmé que la princesse n’obéissait pas toujours au souverain.

Un mois plus tard, le 18 mars 2018, le tabloïd espagnol Hola annonçait le divorce du couple royal. Assisterons-nous désormais au “divorce” de Mohammed VI et des Azaitar ? À en juger par la réaction du roi, qui maintient cette amitié contre vents et marées, il est peu probable que cela se produise.

Ignacio Cembrero

Orient XXI, 19/07/2021 (traduction non officielle)

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