ICG: Remettre la diplomatie sur les rails au Sahara

Remettre la diplomatie sur les rails au Sahara occidental – Le premier défi auquel De Mistura sera probablement confronté sera la négociation d’une cessation des hostilités. 

Après deux ans d’impasse diplomatique, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a nommé un nouvel envoyé pour le Sahara occidental, un territoire contesté entre le Maroc et le Front Polisario pro-indépendance, qui représente la population sahraouie du territoire. La récente désignation du diplomate italo-suédois chevronné Staffan de Mistura marque une avancée cruciale et très attendue dans une impasse qui, si elle n’est pas traitée, risque de propager l’instabilité ailleurs dans la région.

La température est montée ces derniers temps dans ce conflit souvent négligé. En novembre 2020, des combats ont éclaté entre le Maroc et le Front Polisario. Un mois plus tard, le président Donald Trump a jeté de l’huile sur le feu et mis en péril le rôle traditionnel des États-Unis en tant que courtier neutre entre les parties en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le territoire en échange de la normalisation par le Maroc de ses relations avec Israël. Depuis lors, Rabat et le Polisario ont durci leurs positions respectives. M. De Mistura devrait profiter de l’élan suscité par sa nomination pour proposer des idées nouvelles et une série de mesures de confiance afin de ramener les deux parties à la table des négociations.

Lorsque l’Espagne a mis fin à son contrôle colonial sur le Sahara occidental en 1975, le Maroc et la Mauritanie ont divisé le territoire face à la forte résistance du Polisario, qui s’était battu pour l’indépendance du territoire. (Des milliers de Sahraouis ont fui la guerre qui a suivi et se sont réfugiés dans des camps situés de l’autre côté de la frontière, en Algérie. Les Nations Unies ont négocié un cessez-le-feu en 1991, qui a laissé la plupart du territoire aux mains du Maroc. L’ONU a également créé et surveillé une zone tampon pour séparer les deux parties et a mis en place une mission, appelée MINURSO, pour mettre en œuvre un plan de paix centré sur la tenue d’un référendum sur l’indépendance. Cependant, les désaccords entre les deux parties ont empêché la tenue du scrutin, et le conflit s’est figé pendant près de 30 ans.

Alors qu’une nouvelle génération de Sahraouis grandissait, les tensions ont commencé à monter, atteignant leur paroxysme lors des violences de novembre dernier, qui ont débuté lorsque le Maroc a envoyé des troupes pour lever le blocus du Polisario sur la route de Guerguerat, principale artère de circulation traversant la zone tampon. En réponse, le Polisario s’est retiré du cessez-le-feu en vigueur depuis 30 ans et a repris ses attaques, tandis que Rabat a établi une présence militaire à l’intérieur de la zone tampon pour protéger la route. L’année dernière, le conflit a été de faible intensité, les deux parties échangeant régulièrement des tirs le long de la berme de sable marocaine qui longe la zone tampon et divise le Sahara occidental entre le territoire tenu par Rabat – qui représente 80 % de la superficie totale – et ce que le Polisario appelle son “territoire libéré”.

Ayant perdu toute confiance dans la communauté internationale […], [les jeunes Sahraouis] pensent que le combat est le seul moyen d’atteindre leurs objectifs.

Si les combats ont été limités dans leur portée et leur impact, certains signes indiquent qu’ils pourraient s’intensifier. Le retour à la guerre du Front Polisario a dynamisé et mobilisé les jeunes Sahraouis dans les camps de réfugiés algériens, qui semblent soutenir cette décision. Ayant perdu confiance dans la communauté internationale et ses outils diplomatiques inefficaces, ils pensent que le combat est le seul moyen d’atteindre leurs objectifs et sont prêts pour une longue guerre. Le risque d’une forte escalade militaire reste relativement faible, mais il pourrait augmenter si le Polisario adoptait des tactiques plus audacieuses et capturait des troupes marocaines, ce que certains militants indépendantistes ont préconisé. A son tour, les rapports selon lesquels le Maroc a utilisé un drone dans l’assassinat en avril d’un officier de police supérieur du Polisario – qui, s’il est exact, serait sans précédent dans ce conflit – pourraient signifier que les deux parties sont plus susceptibles de recourir à de telles tactiques provocatrices à l’avenir.

La reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental a enhardi Rabat. À la mi-mai, le royaume aurait encouragé des milliers de personnes à franchir la frontière vers l’exclave espagnole de Ceuta, où la police locale s’est retrouvée submergée par un afflux sans précédent de migrants, principalement marocains. Cette mesure aurait été prise en représailles de l’accueil par Madrid du chef du Polisario Brahim Ghali, qui avait besoin d’un traitement médical urgent pour un cas grave de COVID-19.

Alors que le Maroc a rapidement repris le contrôle de ses frontières avec l’Espagne, l’incident a mis en évidence l’impact potentiel du conflit du Sahara occidental sur la sécurité de l’Europe – un message qui a été clairement entendu à Bruxelles, où le Parlement européen a adopté en juin une résolution condamnant Rabat pour son rôle présumé dans l’incident de Ceuta. Par ailleurs, le Maroc a suspendu ses contacts diplomatiques avec l’Allemagne et a rappelé son ambassadeur de Berlin au début de l’année pour protester contre les tentatives de l’Allemagne d’évoquer la flambée des combats au Conseil de sécurité de l’ONU, où Rabat craint d’être critiqué. Les relations bilatérales restent suspendues.

Dans ce contexte de tensions accrues, la nomination de M. De Mistura, qui a déjà été envoyé de l’ONU en Syrie, en Afghanistan et en Irak, offre une rare lueur d’espoir. Même si Rabat a retardé sa nomination pendant plusieurs semaines, De Mistura jouit de la stature et de l’expérience qui seront nécessaires pour une médiation efficace entre le Maroc et le Polisario.

Le premier défi auquel [De Mistura] sera probablement confronté sera la négociation d’une cessation des hostilités. 

Le premier défi auquel il sera probablement confronté sera la négociation d’une cessation des hostilités. Les responsables du Polisario et les militants indépendantistes considèrent le cessez-le-feu de 1991 comme une erreur stratégique qu’ils ne doivent pas répéter, car ils estiment qu’il leur a coûté tout le poids qu’ils auraient pu avoir sur le Maroc lors des négociations ultérieures. Ainsi, plutôt que de revenir à la trêve de 1991, l’envoyé des Nations Unies ferait mieux de proposer des mesures de confiance pour désamorcer le conflit. Dans le cadre d’un éventuel accord intérimaire, le Polisario pourrait accepter de cesser unilatéralement les attaques le long du mur de sable en échange de la fin de la répression par le Maroc des militants sahraouis pro-indépendance. M. De Mistura pourrait alors profiter de cette accalmie des combats pour faire pression en faveur d’une trêve plus large, qui pourrait à son tour ouvrir la porte à de nouvelles négociations sur le statut final du territoire.

Pour que cette approche réussisse, De Mistura aura besoin du soutien des États-Unis. En tant que titulaire du dossier du conflit du Sahara occidental au Conseil de sécurité de l’ONU, Washington devrait envisager de raccourcir le mandat de la MINURSO de 12 à 6 mois, ce qui obligerait à des discussions plus fréquentes et publiques sur le conflit. (Actuellement, le conseil tient deux réunions sur le conflit par an, mais une seule d’entre elles est un événement à portes ouvertes). Il pourrait également modifier la dernière résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur la question, qui fait référence à la nécessité d’une “solution politique réaliste, praticable et durable” – une formulation que le Front Polisario considère comme une approbation de la position du royaume. Pour faire pression sur Rabat et séduire le Polisario, les États-Unis devraient ajouter une formulation indiquant le droit de la population sahraouie à l’autodétermination.

Une désescalade militaire, associée à des signaux clairs d’une attention diplomatique continue de la part de Washington et d’autres, pourrait jeter les bases d’une reprise des négociations sur le statut final du territoire contesté. Si le conflit est laissé à l’abandon, il ne peut qu’accroître les tensions entre le Maroc et l’Algérie, ce qui pourrait déstabiliser la région.

Riccardo Fabiani
Directeur de projet, Afrique du Nord

International Crisis Group, 04/11/2021

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