Le lien directe de Mahmoudy Mohamedou avec la DGED

Mohamed Mahmoud Mohamedou est directeur adjoint du Graduate Institute, professeur d’histoire et de politique internationales et directeur de l’Executive Education. Il est professeur invité à Sciences Po Paris et à l’Université de Saint-Gall. Il est l’auteur, notamment d’une trilogie sur l’après-11 septembre ; Contre-Croisade – Le 11 Septembre et le Retournement du Monde (2004), Comprendre Al Qaeda – Guerre changeante et politique mondiale (2011) et Une théorie d’ISIS – Violence politique et transformation de l’ordre mondial (2018).

Le professeur Mohamedou est titulaire d’un doctorat en sciences politiques de la City University of New York. Il a été chercheur en résidence au Centre d’études du Moyen-Orient de l’université Harvard à Cambridge, dans le Massachusetts, avant de devenir chercheur associé à l’Institut Ralph Bunche sur les Nations unies à New York. Il a été directeur de recherche au Conseil international pour l’étude des droits de l’homme, avant de retourner à Harvard en tant que directeur associé du programme de recherche sur la politique humanitaire et les conflits. Il a ensuite été ministre des affaires étrangères de la Mauritanie avant de revenir à Genève au Centre de politique de sécurité (GCSP) où il a été directeur adjoint et doyen académique.

Ses recherches portent sur la violence politique et le terrorisme transnational, la transformation de la guerre, la construction de l’État, les transitions vers la démocratie et le racisme. Largement publié, le professeur Mohamedou est régulièrement cité dans les médias du monde entier pour son expertise et parle couramment l’anglais, le français, l’espagnol et l’arabe. Il est le lauréat du 2020-2021 International Studies Association (ISA) Global South Distinguished Award et du prix de reconnaissance du Collège de France en novembre 2017.

Source : Graduate Institute

En fouillant dans les courriers confidentiels de la DGED, nous avons découvert, à notre grande surprise, qu’il communique directement avec Mourad El Ghoul, le chef de cabinet de Yassine Mansouri, directeur général de la DGED.

A cette occasion, il envoyait une “note” sur AQMI où il s’en prend violemment aux autorités algériennes. Voici le contenu intégral de ce note:

Confidentiel

AL QAIDA

AU MAGHREB ISLAMIQUE

4 février 2011

1. Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) semble être entrée dans une logique de maximisation de sa position, d’expansion de ses actions et de grande médiatisation de son nom.

2. L’accélération de ce développement depuis l’été dernier peut, à prime abord, donner l’impression que cette situation est pensée stratégiquement – au niveau d’Al Qaida centrale et de l’AQMI elle-même – et qu’elle suit une logique finement étudiée.

3. Pour autant, un examen analytique plus rigoureux révèle qu’il n’en est rien, et que l’AQMI est en faite dans une logique de visibilisation accrue de son action pour masquer une impasse stratégique dont il faut savoir prendre toute la mesure, et en tirer les leçons en terme de contingences possibles.

4. Trois dimensions sont clefs dans cette lecture : (i) l’ineffaçable lignage algérien de l’AQMI, (ii) sa vraie-fausse relation avec Al Qaida et (iii) la nature ambiguë de sa présence au Sahel.

5. La filiation algérienne de l’AQMI est une donnée centrale à la compréhension de toutes les activités de ce groupe. Longtemps occulté, cet élément est de plus en plus reconnu. L’AQMI n’est en réalité qu’une version cosmétiquement réformée du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC). De fait, le GSPC, qui porte en lui toute la violence de la guerre civile algérienne des années 1990, a été créé en 1998 et a opéré en tant que tel jusqu’en septembre 2006 lorsque le numéro deux d’Al Qaida, Aymen Al Dhawahiri, a annoncé son intégration au groupe Al Qaida. Il faut donc garder à l’esprit que le GSPC a existé en tant que tel durant huit ans avant de faire peau neuve et opérer sous le label AQMI (officiellement depuis janvier 2007) ces 4 dernières années.

6. Cette généalogie algérienne se double également du fait, conséquent, que tous les leaders ou opérateurs majeurs successifs du groupe sont des algériens : Hassan Hattab, Abderrazak ‘El Para’, Nabil Sahraoui, Abdelmalek Droukdel, Mokhtar Belmokhtar et Abdelhamid Abou Zaid. Ces leaders d’un groupe actif essentiellement au Sahel sont basés en Algérie, soit dans l’Algérois, soit en Kabylie, soit dans le grand sud algérien.

7. Des accusations persistantes de manipulation des services de renseignements algériens des groupes islamiques remontent au Groupe Islamique Armé (GIA). Si, au départ, elles concernaient des opérations d’infiltration et de retournement, en ce qui concerne le GSPC et l’AQMI les faits démontrent qu’il s’agit assez clairement d’un cas de création d’un faux groupe islamique au lendemain du 11 septembre afin de (i) créer un foyer de tension au Sahel qui permettrait des financements et une alliance militaro-stratégique avec des Américains omnibulés par l’anti-terrorisme après 2001, (ii) contrôler la zone sahélienne et mettre de la pression notamment sur le Mali et la Mauritanie (attaquée dès juillet 2005) et (iii) mettre de la pression indirecte (et parfois directement) sur le Maroc.

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8. Ces accusations ont été notamment mises à jour dans l’ouvrage de Jeremy Keenan, The Dark Sahara. La suite de cet ouvrage qui paraitra le 16 aout prochain révélera de nouvelles informations en ce sens.

9. Le deuxième élément qui contredit le récit médiatisé par l’AQMI elle-même et par la grande majorité des experts, français notamment, est celle de l’AQMI en tant qu’avant-poste d’Al Qaida. À la fois les éléments historiques et sociologiques contredisent ce narratif qui n’est qu’un écran de fumée. Le groupe d’Osama Ben Laden s’est longtemps désintéressé du Maghreb, et c’est le GSPC dans une logique d’opportunisme avérée qui a cherché à obtenir l’utilisation du nom. Si elle a réussi à s’en emparer en 2006, c’est dans des conditions complexes à un moment ou Al Dhawahiri cherchait à mettre en place une assise globale de son groupe (avec d’autres tentatives comme une Al Qaida en Egypte qui a aussitôt disparue). Mais l’habit ne fait pas le moine et l’AQMI est inévitablement restée le GSPC. En ce sens, elle a continué à faire essentiellement ce qu’elle faisait, à savoir des rapts d’étrangers au Sahel.

10. De même, Al Qaida n’a pas pour habitude de prendre des otages dans une logique de rançonnement. Cette approche met à jour la criminalité (au-delà du terrorisme) de l’AQMI qui a établit un véritable réseau de corruption à travers le Mali, le Niger et le sud Algérien. Le centre de gravité de l’AQMI – le nord du Mali et le sud de l’Algérie (paradoxalement les deux pays les moins actifs dans la lutte contre ce groupe, et qui réclament essentiellement des « conférences internationale » inefficientes) révèle la nature suspecte d’un groupe dont le leadership est dans l’Algérois ou la Kabylie et dont les « troupes » sont au Sahel.

11. En multipliant les tentatives de « benladisation » de son action, l’AQMI révèle en réalité la faiblesse de ses liens avec Al Qaida. Divers éléments (brièveté, style, phraséologie, références préexistantes, phrases utilisées auparavant dans d’autres contextes, envoi à Al Jazira) permettent ainsi d’affirmer que les deux messages du 27 octobre et du 21 janvier derniers attribués à Ben Laden sont des faux. Ils servent principalement à « prouver » publiquement le lien entre l’AQMI et Al Qaida et à mettre de la pression sur la partie française afin de faire monter les enchères pour la libération des cinq otages encore aux mains du groupe.

12. Aussi, troisième élément, la surprésence sahélienne de l’AQMI (après des attaques maghrébines en 2007) trahit un dessein géostratégique par lequel ceux qui tirent les ficelles de l’AQMI ont initialement cherché à contrôler la région en sous-main.

13. Pour autant, cette stratégie fait aujourd’hui face à un problème sous forme d’impasse pour ceux qui l’on dessiné.

14. D’une part, le groupe en soi est devenu hybride et imprévisible pour ses créateurs. À la fois composé d’ex-militaires algériens, anciens islamistes ex-« hittistes » des années 1990, petits criminels et grands brigands à la tête de réseaux de trafics au Sahel, l’AQMI est devenu un monstre pour ceux qui l’ont créée. Cet élément s’est manifesté très tôt, en 2003, avec la rébellion d’El Para et sa fuite avec la moitié des touristes allemands au Tchad. De plus, les dissensions internes au système algérien font qu’il est devenu difficile d’établir un plan complexe et assurer son application si aisément qu’il y a dix ans.

15. Deuxième élément, international, les États-Unis embourbés en Irak et en Afghanistan, et dotés d’une administration des plus incompétentes de leur histoire, se sont graduellement « retirer » du Sahel, prenant de plus en plus l’ampleur du fait qu’ils ont été bernés par les Algériens.

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16. En même temps, et s’ils maintiennent encore de forts réseaux dans ce pays notamment au niveau des « experts » à Paris, les Algériens ont vu la France avoir de plus en plus de doutes quand à la capacité et la volonté de l’Algérie de les assister dans la région.

17. Enfin, l’entrée en scène inattendue en 2008 d’un pouvoir mauritanien fort et déterminé sur cette question a déstabilisé la stratégie algérienne. Après avoir tenté de bloquer sa reconnaissance internationale (en vain) et tenter de l’intimider (12 soldats décapités en septembre 2008), l’Algérie passe désormais par l’AQMI afin de poursuivre ce même objectif. L’élément doit être exprimé clairement : même si certains des membres de l’AQMI qui attaquent régulièrement Nouakchott sont de jeunes Mauritaniens influencés, ce sont bien les Algériens qui visent la Mauritanie.

18. Tout ceci révèle néanmoins une improvisation de l’AQMI. Et dans une telle phase de fuite en avant (qui peut durer longtemps), le groupe peut à court et moyen terme s’avérer tout aussi voire plus dangereux, à l’image d’un fauve blessé et imprévisible.

19. Alors que le groupe s’essouflait avec une répétition cyclique de ses rapts (britanniques, espagnols, français, etc..) en 2009-2010, le raid franco-mauritanien de juillet dernier (un mauvais calcul pour une bonne raison) lui a donné une opportunité historique de repartir de plus belle et se donner une « cause sacrée ». En même temps, la déclaration, passée inaperçue dans l’insouciance estivale, du premier ministre français que « la France est en guerre contre Al Qaida » a projeté cette ambition de l’AQMI au niveau internationale.

20. Il ne restait plus à l’AQMI qu’a « menacer » la France à la rentrée suivante, remettant à jour un circuit opéré par les services algériens en 1995, et a faire un coup d’éclat avec les kidnappings d’Areva. Pour parfaire cette nouvelle tactique – puisque ce n’est pas une stratégie – il importe de frapper la Mauritanie. Aussi, les tentatives se sont multipliées jusqu’à la plus importante ce 1er février.

21. À cet égard, si le pouvoir mauritanien est le plus fort que ce pays ait connu depuis son indépendance et sa détermination contre l’AQMI bien réelle, les risques d’une opération réussie de l’AQMI tôt ou tard sont malheureusement à craindre ; le pays est trop vaste, l’armée mauritanienne demeure sous-équipée et le terrorisme peut pénétrer partout.

22. En résumé :

 la menace que représente l’AQMI est réelle mais elle a peu à voir avec le récit public que le groupe donne de lui-même et qui est trop facilement (complicitement) répercuté dans les médias. En particulier, l’élément religieux est négligeable et celui criminel est prégnant.

 La clef de l’AQMI demeure à Alger, mais elle est de moins en moins tenue avec fermeté, ce qui posera un problème de prévisibilité à court terme.

 Il faut savoir se prévenir du groupe en multipliant plus que jamais les actions préventives et le travail de renseignement régional afin de traquer et désamorcer les opérations potentielles qui se succéderont immanquablement cette année. En cassant le rythme que l’AQMI tente actuellement d’imposer, l’on pourra potentiellement la faire battre en retraite et à terme la voire s’estomper.

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