Espagne-Maroc: L’accord d’immigration tombe à l’eau à Melilla

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Vendredi 24 juin, 27 réfugiés sont morts en tentant de franchir la frontière maroco-espagnole à Melilla, dans le nord du Maroc. Deux policiers sont également morts. La tragédie s’est produite lorsque plusieurs centaines de réfugiés ont tenté de pénétrer dans l’enclave espagnole de Melilla, près de la ville de Nador. Cette enclave, ainsi qu’une autre enclave à Ceuta, est l’un des derniers héritages territoriaux de la colonisation. Ces enclaves sont les seules frontières terrestres avec l’Union européenne sur le continent africain.

Un communiqué de presse officiel de la préfecture de Nador résume le drame comme suit : “La tentative d’entrée illégale a commencé à 6 h 40 avec un groupe de 2 000 migrants s’approchant de Melilla. Plus de 500 d’entre eux, originaires d’Afrique subsaharienne, ont forcé l’entrée du poste frontière à l’aide de cisailles métalliques. 133 ont réussi à entrer. Au cours de la bousculade, 18 migrants ont été tués en tombant de la porte en fer. Ce qui est remarquable dans cette attaque, c’est que les migrants ont utilisé des méthodes très violentes”. Depuis vendredi, cinq autres des centaines de blessés ont succombé à leurs blessures. Par l’intermédiaire du Premier ministre Pedro Sanchez, le gouvernement espagnol contredit la version marocaine en assumant et en reconnaissant que les morts ne sont pas le résultat de l’assaut, mais des actions des forces de sécurité espagnoles et marocaines : “La gendarmerie marocaine avait travaillé en coordination avec les forces de sécurité (espagnoles) pour repousser cet assaut. Si quelqu’un est responsable de ce qui s’est passé à la frontière, ce sont les mafias qui se livrent au trafic d’êtres humains près d’une ville qui est un territoire espagnol. Par conséquent, il s’agissait d’une attaque contre l’intégrité territoriale de notre pays.”

La plupart des journaux ont décrit les faits sans les replacer dans leur contexte économique et historique. Le résultat d’une telle réduction est que les gens commencent à voir le drame de Melilla comme une tragédie pour laquelle personne n’est à blâmer ou comme un malheur africain fatal contre lequel les États sont impuissants. La réalité est bien sûr très différente, et pour bien la comprendre, il est nécessaire de tenir compte d’éléments contextuels essentiels.

Ceuta et Melilla : des paradis fiscaux

La première, bien sûr, est l’existence même des villes autonomes espagnoles de Ceuta et Melilla. Depuis son indépendance en 1956, le Maroc a réclamé à juste titre la restitution de ces deux villes, que la Constitution espagnole de 1978 considère comme faisant partie intégrante du territoire espagnol. Les deux villes bénéficient également du statut officiel de zones franches, c’est-à-dire exemptes de droits de douane, depuis plus d’un siècle. Lorsque l’Espagne a rejoint l’Union européenne en 1986, ils sont devenus des ports francs européens, éligibles aux fonds structurels européens mais non soumis à la fiscalité, notamment à la TVA. Le résultat de ce statut exceptionnel ne s’est pas fait attendre. Ceuta et Melilla sont devenues des oasis de prospérité dans un désert de misère. Les habitants des régions de Tétouan et de Nador peuvent entrer dans ces villes sans visa, vendre leurs produits frais et repartir avec de gros ballots de marchandises européennes hors taxes qu’ils revendent ensuite chez eux. L’écart entre le niveau de vie de ces deux villes et celui des régions marocaines voisines a naturellement suscité des appels à la migration, d’abord du Maroc, puis de l’Afrique subsaharienne. Chaque année, près de 50 000 personnes tentent d’entrer dans l’une de ces deux villes, soit pour s’y installer, soit pour se rendre en Europe. Dans l’attente de leur chance, les candidats à l’immigration se rassemblent dans des camps temporaires dans les forêts marocaines voisines.

Clôture de six mètres de haut

Le deuxième élément contextuel à prendre en compte est la réaction de l’Espagne et de l’Union européenne face à cette situation économique intenable. Tout ce qu’ils ont fait, c’est fermer les frontières et renforcer la répression contre les candidats à l’immigration. La frontière de Ceuta, longue de huit kilomètres, et celle de Melilla, longue de douze kilomètres, ont été dotées d’une double clôture avec des miradors, des projecteurs, des radars, des distributeurs automatiques de gaz lacrymogènes et des barrières dissuasives. En 1995, l’Union européenne a investi massivement pour porter la clôture initiale de trois mètres à six mètres et l’équiper d’un système de surveillance par radars et caméras infrarouges. L’image de ces barrières est très proche de celle d’un camp de concentration nazi “inversé” : ici, la mort n’est pas causée par une tentative de fuite, mais par une tentative d’entrée. Une telle mesure purement sécuritaire ne peut que conduire à des tragédies répétées comme celle d’octobre 2005. Dans un scénario similaire à celui de cette année, une douzaine de victimes ont été tuées par balles.

Externaliser le sale boulot

Le troisième élément de contextualisation est la politique migratoire de l’Union européenne qui consiste à externaliser le contrôle des frontières vers le continent africain. En subventionnant les États africains et en les faisant chanter pour obtenir des prêts et des aides, l’Union européenne confie le sale boulot d’oppression des Africains à d’autres Africains. Chaque accord entre l’Union européenne et un pays africain comporte désormais une clause relative à l’enfermement et à l’expulsion des migrants. La sociologue Anaik Pian résume ainsi le durcissement de la politique sécuritaire du Maroc à l’égard des candidats à l’immigration : “Sous la pression de l’Union européenne pour renforcer les contrôles à ses frontières, le Maroc a adopté en 2003 une nouvelle loi relative à ‘l’arrivée et au séjour des étrangers au Maroc et à l’émigration et l’immigration irrégulières’. Cette nouvelle législation, étroitement contrôlée, vise à empêcher la transmigration vers les pays européens. Depuis lors, la répression des autorités marocaines s’est intensifiée. Les raids se multiplient, les déportations se multiplient, la violence augmente et les forces de l’ordre bloquent régulièrement les camps en contrôlant leurs entrées et sorties”. Le Maroc est tout sauf un cas isolé, même s’il occupe une place particulière dans la stratégie de l’Union européenne. La ministre espagnole des affaires étrangères, Arancha Gonzales Laya, a déclaré à propos de ce déplacement de frontière en janvier 2021 : “Nous avons des accords de coopération pour gérer les flux migratoires avec des pays comme le Maroc, la Mauritanie, l’Algérie, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, qui prévoient également la possibilité de renvoyer les migrants qui se trouvent en Espagne de manière illégale”. Le Maroc est le pays avec lequel nous avons les liens les plus étroits après l’Europe”.

Reconnaissance du Sahara occidental comme Marocain

Un dernier élément du contexte est l’instrumentalisation par le Maroc de la question du contrôle des frontières : il veut amener l’Espagne et l’Union européenne à reconnaître le Sahara occidental comme marocain. Le roi du Maroc Mohamed VI avait déjà tenté de normaliser ses relations avec Israël en échange de la reconnaissance officielle par les États-Unis du caractère marocain du Sahara occidental. Le 10 décembre 2020, Donald Trump a déclaré dans un communiqué officiel : “Une nouvelle avancée historique aujourd’hui est le fait que nos deux grands amis Israël et le Royaume du Maroc ont accepté de normaliser pleinement leurs relations diplomatiques. C’est un grand pas en avant pour la paix au Moyen-Orient. Pour le Sahara Occidental, la proposition sérieuse et réaliste d’autonomie du Maroc est la seule base pour une solution juste et durable qui garantira la paix et la prospérité”. La même logique s’applique aux relations entre le Maroc et l’Espagne. Officiellement, jusqu’à récemment, l’Espagne soutenait la position de l’ONU, qui préconise un référendum d’autodétermination pour le peuple sahraoui. Le Maroc menace régulièrement de ne plus contrôler les flux migratoires vers Ceuta et Melilla. Par exemple, lorsqu’en avril 2021 le gouvernement espagnol a décidé d’accueillir Brahim Ghali, le représentant du Front Polisario, le mouvement indépendantiste du peuple sahraoui, pour des raisons médicales, les forces de police marocaines ont laissé passer 10 000 candidats à l’immigration par la plage ou la mer jusqu’à Ceuta pendant plusieurs jours. Le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, a qualifié “l’initiative marocaine de chantage et de violation des frontières de l’Espagne et de l’Union européenne”. Il est inacceptable d’ouvrir les frontières pour que 10 000 migrants puissent entrer dans une ville espagnole en moins de 48 heures à cause de désaccords de politique étrangère”. Un an plus tard, en mars, le gouvernement espagnol cède aux pressions marocaines en reconnaissant le caractère marocain du Sahara. Pedro Sanchez a ensuite déclaré : “Le plan d’autonomie de 2007 sous souveraineté marocaine est la base la plus sérieuse, la plus réaliste et la plus crédible pour résoudre ce différend”. En échange, il a reçu la garantie que les forces de police marocaines participeraient davantage à la répression des migrants. La tragédie de vendredi dernier à Melilla est l’aboutissement logique de ces sales négociations entre États, dans un contexte d’appauvrissement croissant des pays africains et d’externalisation du sale boulot répressif qu’est le contrôle des frontières.

En omettant de mentionner ces faits, les médias grand public contribuent à rendre la situation incompréhensible. Pour les lecteurs et les auditeurs européens, il s’agit donc d’une tragédie inévitable causée par un flux migratoire massif dont l’Europe doit se protéger. Cependant, ces quelques dizaines de milliers de candidats à l’immigration ne sont rien comparés aux millions de réfugiés ukrainiens qui ont été accueillis en Europe en quelques semaines.

DeWereldMorgen.be, 05 JUI 2022

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