UE: L’Algérie, une partie de la réponse pour les besoins gaziers

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Interview de Francis Perrin – La Patrie news
La demande mondiale de pétrole atteindra 100,3 millions de barils par jour d’ici la fin de 2022, selon les prévisions de l’AIE. D’autre part, le total des stocks mondiaux de pétrole (commerciaux et stratégiques) a diminué au cours du premier semestre 2022, atteignant 8,812 milliards de barils. Peut-on assister à un reflux du prix du baril d’ici fin 2022 ?

Dans ses dernières projections, en août 2022, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) estime que la demande pétrolière mondiale sera légèrement inférieure à 100 millions de barils par jour (Mb/j) cette année (99,7 Mb/j), soit une forte progression de 2,1 Mb/j par rapport à 2021. En 2023, la demande mondiale atteindrait 101,8 Mb/j, ce qui serait supérieur au record historique qui remonte à 2019 avant la pandémie de Covid-19. Le prix du pétrole a baissé de façon significative au cours des dernières semaines alors que la guerre en Ukraine continue à faire rage. Le 14 août, vers 14 heures, le prix du pétrole Brent (mer du Nord) pour le mois d’octobre était de $98 par baril, contre $114/b le 8 juin, soit une diminution de 14% environ. La raison principale qui explique cette évolution récente est la crainte d’une récession mondiale, ce à quoi s’ajoute dans les derniers jours l’espoir (à nouveau) d’un accord entre Washington et Téhéran sur le programme nucléaire de l’Iran. Si ces craintes de récession perduraient et étaient renforcées par de nouveaux indices économiques pas très bons ainsi que par le durcissement des politiques monétaires des grandes banques centrales, les prix du pétrole pourraient continuer à baisser. Mais il ne faut pas oublier que la guerre en Ukraine est loin d’être terminée et des hausses des cours sont donc toujours possibles. Il faudra par ailleurs voir ce que décidera la coalition de pays exportateurs appelée OPEP+ (23 pays), qui se réunit au début septembre.

La disponibilité de l’or noir restera, selon certaines analyses, serrée et le remplacement des énergies fossiles par les renouvelables sera plutôt lent. Pourquoi les EnR peinent-elles à s’affirmer dans le mix énergétique mondial ?

La montée en puissance des énergies renouvelables (hors hydroélectricité) prend forcément du temps car elles ne représentaient en 2021 qu’un peu moins de 7% de la consommation mondiale d’énergie primaire. Rappelons que la part des énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz naturel) était de 82% l’an dernier, selon la BP Statistical Review of World Energy. Il y a pourtant bien une forte progression des sources renouvelables : leur consommation n’a fait qu’augmenter dans les dix dernières années, même au cours de la terrible année 2020, mais les grandes évolutions énergétiques demandent toujours du temps. Rien n’est simple dans ce domaine, rien n’est très rapide, rien n’est gratuit. Mais la dynamique haussière pour les renouvelables, notamment l’éolien et le solaire, va se poursuivre sur un bon rythme.

On assiste à une ruée mondiale sur le charbon. Un cauchemar énergétique ?

Selon l’AIE, la consommation mondiale de charbon pourrait atteindre 8 milliards de tonnes en 2022, retrouvant ainsi le précédent record qui remonte à 2013. En 2023, ce record de 8 milliards de tonnes pourrait être dépassé. Et il ne faut jamais oublier que le charbon est l’énergie la plus consommée dans le monde après le pétrole et avant le gaz naturel. La part de marché de cette source d’énergie est de 27%, ce qui est très important.

Du fait de la guerre en Ukraine, les pays européens, qui entendent se passer à terme du gaz russe et qui subissent les réductions des livraisons de Gazprom, se tournent davantage vers le charbon, soit en rouvrant des centrales électriques au charbon, soit en prolongeant la durée de vie de celles-ci, soit en augmentant l’utilisation de centrales en exploitation. Par ailleurs, la consommation de l’Inde est également en forte progression. C’est clairement négatif pour l’environnement et le climat mais il ne s’agit pas pour autant d’une tendance de long terme, en tout cas pas pour les Européens qui ne perdent pas de vue leur objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. L’Union européenne ne représente d’ailleurs que 4-5% de la consommation mondiale de charbon, contre 80% pour la région Asie/Pacifique. A elles seules, la Chine et l’Inde pèsent pour les deux tiers de la consommation mondiale de charbon.

Pour l’industrie pétrolière, le dernier trimestre a été particulièrement faste. Quinze des plus grandes entreprises du secteur ont réalisé, durant le premier trimestre 2022, des gains sont montés à 94 milliards de dollars. L’ONU propose une taxe sur les superprofits. Vous y souscrivez ?

Depuis 2021, les prix du pétrole, du gaz naturel, du charbon et de l’électricité sont en hausse. Ils ont atteint des niveaux très élevés et la consommation d’énergie est orientée à la hausse. Toutes les entreprises qui vendent de l’énergie, dont les compagnies pétrolières – qui produisent et vendent du pétrole et du gaz naturel -, sont favorisées dans un tel contexte. Saudi Aramco, la compagnie nationale de l’Arabie Saoudite, vient ainsi d’annoncer un bénéfice net record de $48,4 milliards pour le second trimestre 2022. Pour le premier semestre 2022, son bénéfice net s’établit à $87,9 milliards… Sur cette même période, le géant américain ExxonMobil a gagné »seulement » $23,3 milliards.

Le secrétaire général de l’ONU a qualifié d »’immoraux » les profits de l’industrie pétrolière. Je ne suis pas sûr que ce sujet relève vraiment de la morale mais il est certain que ces profits sont exceptionnels et l’idée d’une taxation spéciale n’est donc pas absurde. Les compagnies pétrolières pourraient cependant répondre qu’en 2020 elles avaient enregistré des pertes exceptionnelles (-$22,4 milliards pour ExxonMobil sur l’ensemble de l’année 2020) et que l’ONU n’avait alors pas demandé qu’elles bénéficient d’une aide exceptionnelle. Il faut réfléchir à ce sujet en termes plus économiques que moraux et veiller à ne pas décourager l’investissement par ces grands acteurs énergétiques mondiaux.

Pour le marché gazier, la Russie menace de réduire encore ses livraisons en Europe, les prix s’envolent. Ce contexte, le manque de production nucléaire et les vagues de chaleur entraînent les prix de l’électricité dans une spirale infernale. Une équation très complexe…

Il est certain que, pour les Européens, la question de la hausse des prix du gaz naturel et de l’électricité est très importante en ce moment. Cela a un impact négatif sur leurs économies, leurs industries et leurs populations. De plus, il y a un risque sérieux de pénurie de gaz, ce qui pourrait avoir des conséquences négatives sur la production d’électricité. D’où la décision européenne de réduire de 15% la consommation de gaz sur la période allant d’août 2022 à la fin mars 2023 par rapport aux années précédentes. Les Européens redoutent également, outre les conséquences économiques, les impacts politiques et sociaux de ces problèmes énergétiques, par exemple du type mouvement des »Gilets jaunes » en France.

L’Algérie, dont les partenaires ont approuvé les augmentations des prix annoncés par Sonatrach, pourrait-elle devenir une nouvelle source de cette énergie pour l’Europe ?

L’Algérie est actuellement le troisième fournisseur en gaz naturel de l’Union européenne (UE) après la Russie et la Norvège. La volonté de l’UE d’arrêter complètement d’importer du gaz russe en 2027 au plus tard et le fait que les autorités russes aient déjà fortement réduit leurs exportations vers les pays européens créent des besoins supplémentaires de gaz et poussent l’UE à chercher d’autres fournisseurs que la Russie.

L’Algérie a une place à prendre dans ce nouveau contexte énergétique et elle a commencé à le faire, comme le montre l’accord entre la Sonatrach et le groupe italien Eni conclu en avril 2022. Aux termes de cet accord, Eni pourra importer des volumes additionnels de gaz algérien dès 2022 à travers le gazoduc TransMed (appelé également gazoduc Enrico Mattei). Ces volumes supplémentaires seront de 9 milliards de mètres cubes par an en 2023-2024. Les deux groupes, qui coopèrent depuis des dizaines d’années, ont récemment renforcé leur partenariat en vue d’accélérer le développement de nouveaux projets pétroliers et gaziers dans le bassin de Berkine.

L’Algérie ne sera pas la réponse aux besoins gaziers des Européens mais elle peut être une partie de la réponse. Elle a des atouts dans son jeu mais la concurrence sera rude.

Propos recueillis par La Patrie news.

IRIS, 18/08/2022

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