La crise entre le Maroc et la Tunisie n’augure rien de bon

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Ali Lmrabet

Le Maroc a déjà un ennemi irréconciliable dans la région, l’Algérie honnie. S’il faut ajouter la Tunisie, Rabat va se retrouver totalement isolé au Maghreb

Un malheur, dit-on, n’arrive jamais seul. Et le régime marocain en a eu son lot la semaine dernière. Plusieurs, d’un seul coup, et d’une espèce qui ébranle certains fondements vite établis.

Lors de son discours radio-télévisé du 20 août, le roi Mohammed VI s’était voulu explicite et même menaçant. « Je voudrais adresser un message clair à tout le monde : le dossier du Sahara [occidental] est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit. »

En résumé, le souverain alaouite expliquait qu’il ne pouvait y avoir de demi-mesure dans le conflit du Sahara occidental et que les États étrangers devaient prendre leur parti : pour ou contre le Maroc.

Or, quelques jours plus tard, alors qu’il était interviewé par la télévision publique espagnole, TVE, le Haut représentant pour la politique étrangère de l’Union européenne (UE), l’Espagnol Josep Borrell, déclarait que « la position du gouvernement espagnol était et reste celle de l’UE, c’est-à-dire défendre la tenue d’une consultation pour que le peuple sahraoui puisse décider de la manière dont il souhaite son avenir ».

Incompréhension et grosse colère à Rabat, dont le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a annulé dans la foulée une rencontre prévue avec le diplomate européen au mois de septembre.

Le Haut représentant pour la politique étrangère de l’Union européenne étant espagnol, du même parti que celui de Pedro Sánchez (PSOE), et de plus l’un de ses proches, parlait-il au nom du gouvernement espagnol ?, se demandèrent les Marocains.

Selon la presse espagnole, Bourita a appelé directement Josep Borrel pour exiger de lui qu’il rectifie sa déclaration. Le diplomate européen s’est exécuté non sans quelques contorsions linguistiques indéchiffrables. Puis il a fait de même avec le ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, obligé d’aller à la radio pour réaffirmer le soutien officiel espagnol à la proposition d’autonomie marocaine considérée comme la « plus sérieuse, réaliste et crédible » pour résoudre le conflit le conflit.

Punition
Mais ce à quoi le Maroc ne s’attendait pas, c’est d’avoir à croiser le fer avec un pays du Maghreb autre que l’Algérie. Et c’est pourtant ce qui a eu lieu la même semaine.

En déroulant littéralement le tapis rouge au président de la République arabe démocratique sahraouie (RASD) et du Front Polisario, Brahim Ghali, venu participer à Tunis à la huitième édition de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD), qui s’est tenue à Tunis les 27 et 28 août, la Tunisie a provoqué la colère du Maroc sur le même sujet que celui de l’Espagne.

Le président Kais Saied ne s’est pas contenté de recevoir personnellement M. Ghali à l’aéroport, comme il le fait d’ailleurs avec le reste des délégations invitées, il l’a reçu comme un chef d’État.

Au grand dam de Rabat, qui n’a pas tardé à réagir en faisant publier par son ministre des affaires étrangères un dur communiqué contre cette Tunisie qui aurait « multiplié récemment les positions et actes négatifs à l’égard du Royaume du Maroc et de ses intérêts supérieurs ».

La presse alaouite s’est chargée de rappeler que la Tunisie s’était abstenue, le 29 octobre 2021, lors du vote du Conseil de sécurité des Nations unies sur la résolution onusienne sur le Sahara occidental.

En guise de punition, le Maroc a décidé d’annuler sa participation à la TICAD et de rappeler pour consultation son ambassadeur à Tunis.

Selon certains observateurs, c’est le traitement de chef d’État réservé à Brahim Ghali plus que son invitation qui a fâché les Marocains.

Que le Mozambique traite M. Ghali comme un chef d’État, comme ce fut le cas en 2017 lors de la même conférence TICAD, qui a provoqué tout de même une foire d’empoigne entre diplomates marocains et policiers mozambicains, peut être surmonté, mais la Tunisie est un État maghrébin dit « frère » avec lequel le Maroc a des relations étroites et historiques.

Pour résoudre ses conflits diplomatiques, le Maroc parie souvent sur la traditionnelle position de la vierge effarouchée : on se fâche, on menace, voire on coupe quelques ponts, et on attend que l’autre partie fasse le premier pas pour résoudre la crise. Cette tactique lui réussit bien en Europe, habituée à ses mouvements brusques en raison de sa position de gendarme musclé, et sans pitié comme on l’a vu à la frontière de Melilla.

Avec la Tunisie, autrefois gouvernée par « l’ami » et obligé Moncef Marzouki, dont le père est enterré au Maroc, Rabat est tombé sur un os. En fait, sur un régime qui lui ressemble, dans les domaines de l’autoritarisme et des susceptibilités.

Dans sa réponse, le ministère des Affaires étrangères tunisien a rejeté catégoriquement le contenu du communiqué marocain, qu’il a accusé de « porter préjudice à la République tunisienne », rappelé l’historique des rencontres de la TICAD où la présence de Brahim Ghali n’a pas posé des problèmes insurmontables, et réaffirmé avec insistance la position de « neutralité » adoptée par la Tunisie quant à la question du Sahara occidental. Le communiqué se termine par le rappel pour consultation de l’ambassadeur tunisien à Rabat. Œil pour œil.

Une certaine forme de désarroi

La coutumière campagne de presse marocaine qui s’est déclenchée depuis contre la Tunisie exprime certainement un dépit, mais également une certaine forme de désarroi. Comme si le Maroc prenait conscience qu’il risquait de se retrouver isolé internationalement.

Avec l’Espagne, en dépit de quelques gestes de bonne volonté de part et d’autre, Rabat n’a toujours pas finalisé sa réconciliation. Madrid soupçonne le Maroc de laisser traîner certaines décisions pour obtenir plus de concessions.

Les relations avec l’Algérie sont totalement coupées et au moindre faux pas, la région risque de se retrouver embourbée dans un conflit armé que personne ne souhaite.

Avec la France, dont le président a paradé pendant trois jours en Algérie sous les applaudissements de ses hôtes, les accointances passées ne sont plus ce qu’elles étaient.

Le refus de visa à des élites marocaines, dont des anciens ministres, prouve que l’Élysée n’a pas encore pardonné au royaume chérifien d’avoir espionné son président et la moitié de son gouvernement via le logiciel espion israélien Pegasus.

Enfin, en remettant en cause l’existence de la Mauritanie, l’érudit musulman marocain Ahmed Raïssouni, qui, contrairement à ce que débite la presse algérienne, n’est pas un proche du Makhzen (Palais royal), a provoqué une inopportune secousse diplomatique avec Nouakchott. Une fâcheuse sortie qui a fini par coûter à ce alem (savant) respecté la présidence de l’Union internationale des savants musulmans.


Tout le monde le sait à Rabat. La crise maroco-tunisienne n’augure rien de bon. Le Maroc a déjà un ennemi irréconciliable dans la région, l’Algérie honnie. S’il faut ajouter la Tunisie, taxée par la presse marocaine de nouvelle alliée d’Alger, Rabat va se retrouver totalement isolé au Maghreb.

Et le Maghreb, ce n’est pas l’Europe ni l’Occident. C’est l’essence même de l’être marocain.

Middle East Eye, 29/08/2022

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