Maroc : La smala de la Mamounia

Dans les quartiers mythiques de Marrakech, à quelques pas de la vieille

mosquée de la Koutoubia (xn e siècle) et de la célèbre place Jamâa El-Fna—,
haut lieu du tourisme marocain, se dresse l’un des palaces les plus connus au
monde, la Mamounia.

Cet hôtel très haut de gamme a été édifié par les autorités du protectorat
français en 1923. Il incarne le faste et la beauté. Henri Prost (1874-1959)
compte parmi les grands noms de l’architecture et de la décoration intérieure
qui ont participé à la construction de ce qui est devenu aujourd’hui le
symbole du luxe et du clinquant, et l’une des destinations les plus prisées par
les célébrités mondiales. Les figures de légende du monde artistique qui l’ont
visité sont légion : en 1935, deux ans avant sa mort suite à une longue
maladie, le compositeur français Maurice Ravel y a séjourné et joué du piano.
Le palace a été également l’un des lieux favoris de Winston Churchill qui y
rencontrait son ami le pacha El Glaoui : un bar porte toujours le nom de
l’ancien Premier ministre britannique. Le général de Gaulle y a passé une nuit
: un lit adapté à sa taille aurait même été confectionné. Le monde du
spectacle, de Jacques Brel à Charlie Chaplin en passant par Édith Piaf ou
encore Orson Welles, a de tout temps succombé aux charmes de la
Mamounia. La fine fleur des politiques et des journalistes français a un
souvenir ou deux de ce palace qui fêtera son centenaire en 2023.

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Mais au fil du temps la Mamounia est devenue surtout un symbole. Elle
renvoie aux liens entre la monarchie marocaine et une partie de l’élite
politico-médiatique française. Qu’il s’agisse de Dominique Strauss-Kahn,
l’ancien patron du Londs monétaire international (LMI), du philosophe
Bernard-Henri Lévy ou du couple Balkany, chacun possède sa petite
Mamounia à Marrakech : celui qui n’a pas son riad, soigneusement restauré
dans l’ancienne médina, possède sa résidence au cœur de la Palmeraie, loin
des paparazzis et des regards indiscrets. Surnommée la Ville Ocre en raison
de la couleur rouge de ses constructions et de ses monuments, « Kech »,

comme l’appelle la jet-set casablancaise, est caractérisée par la beauté de ses
sites et de ses paysages naturels, même si, en juillet-août, la température y
frôle parfois 50 degrés à l’ombre. Marrakech est située dans une région aride
parsemée de palmiers centenaires, mais elle est cernée par les montagnes du
Haut Atlas dont les cimes enneigées peuvent être contemplées toute l’année
depuis les terrasses de la médina.

Outre l’infrastructure (grandes surfaces, commerces accessibles, lieux de
divertissement multiples et diversifiés, etc.) dont profitent pleinement les
étrangers et une minorité de privilégiés locaux. Marrakech dispose d’un
aéroport qui la relie aux villes européennes en moins de trois heures. D’une
ville traditionnelle dont le niveau de vie comptait parmi les plus bas du
Maroc, « Kech » s’est métamorphosée en véritable ville européenne surgie du
désert. « C’est l’évolution de la société », souligne, fataliste mais pas peu fier,
l’ancien maire de Marrakech Omar Jazouli, qui se vante d’être l’un des
artisans de cette métamorphose. « Marrakech compte aujourd’hui 1
400 hectares de jardins, certains restaurés, d’autres réalisés grâce,

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notamment, à l’aide de mon ami Jean Germain —, l’ancien maire de Tours. Et
grâce au soutien financier de monsieur Delanoë (ancien maire de Paris) nous
avons pu restaurer le jardin mythique El Harti, quatorze hectares au cœur de
la ville qui ont failli se transformer en dépotoir. Il y a aujourd’hui quinze
golfs à Marrakech dont douze en fonction. Comme vous le savez, les terrains
de golf consomment beaucoup d’eau, mais grâce à la station d’eaux usées que
j’ai mise en place en 2006, on ne touche pas aux barrages. Cette station, qui
nous a coûté 16 millions d’euros, a été entièrement financée par les

propriétaires des terrains de golf, trois millions chacun—. »

Dans sa belle villa du quartier de l’Hivernage, le plus cossu de Marrakech,
Omar Jazouli et sa femme Hanna, une jeune et pétillante sahraouie épousée
en secondes noces, déroulent fièrement les photos grand format des célébrités
françaises qu’ils ont invitées chez eux. De Sarkozy contemplant un méchoui
près de la cheminée à Johnny Halliday souriant aux côtés de son épouse et de
sa fille, en passant par le chanteur Marc Lavoine soufflant sur des bougies
d’anniversaire, le couple Jazouli sait recevoir. Tous « préfèrent la pastilla aux
fruits de mer et raffolent du tagine d’agneau aux pruneaux. Sarkozy, lui, a un

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petit faible pour le méchoui », dit Hanna en souriant. « C’est mon mari qui
a fait de cette ville ce qu’elle est devenue aujourd’hui, mais les gens sont
ingrats. Plus de 20 000 Français vivent aujourd’hui à Marrakech. Ils font
travailler plus de 60 000 personnes. » Sarkozy ? « C’est notre ami, poursuit-
elle. La presse est souvent dure et injuste avec lui. Vous ne pouvez pas
imaginer combien il est gentil. Mon mari a connu M. Sarkozy lorsqu’il était
maire de Neuilly lors d’un congrès mondial des maires. Nicolas admire Sa
Majesté (Mohammed VI). Ils s’appellent au moins une fois tous les quinze
jours. » « Grâce à cet homme, ajoute Hanna en désignant son mari, il y a
aujourd’hui 12 000 propriétés d’étrangers luxueuses, entre riads, maisons
d’hôtes et restaurants. »

Les « inconditionnels » français de la Ville Ocre sont pour la plupart des
hommes politiques, des journalistes ou des patrons que la presse marocaine
qualifie souvent d’« amis du Maroc. » Il y a ceux qui y possèdent des
propriétés (riads, résidences somptueuses entourées d’une grande discrétion,
restaurants, etc.), mais il y a aussi les invités de marque du monarque ou d’un
membre de la famille royale, généralement son frère le prince Rachid ou sa
sœur Meriem. C’est dans le Royal Mansour, propriété du roi Mohammed VI,
que celui-ci reçoit le gotha politique et médiatique de l’Hexagone.

Dans ce temple du luxe et de la démesure où le petit palace privé coiffé
d’une piscine et d’une tente berbère, avec vue sur le minaret de la Koutoubia,
peut se louer à 30 000 euros la nuit, le roi cajole ses invités de la droite
comme de la gauche française pour en faire, le temps d’un séjour ou deux, de
parfaits obligés de la monarchie. Le nom de l’ancien président Nicolas
Sarkozy revient le plus souvent dans la presse : l’homme est un habitué des
résidences royales de Marrakech, notamment lors des fêtes de fin d’année.

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En décembre 2015, c’est dans un jet privé mis à leur disposition par « M6 »
que les Sarkozy se sont rendus, pour les vacances de fin d’année, dans la
résidence royale Jnane Lekbir, à quelques encablures de la Palmeraie, sur la
route de Fès. Des images postées sur Instagram par Louis Sarkozy, le fils de
l’ancien président, attestent de leur présence dans ce minipalais somptueux de
plusieurs hectares, « connu pour son jardin luxuriant et ses salons à la
décoration africaine. Certains clichés montrent aussi qu’ils [les Sarkozy]

étaient présents au Royal Mansour— ».

Quelques jours après ce séjour entièrement pris en charge par le roi,
Sarkozy s’envole à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, où il était invité à
l’une de ces conférences grassement rémunérées dont il a l’habitude. Dans
son intervention, il a défendu la « marocanité » du Sahara occidental et
regretté « que tout le monde arabe n’ait pas la chance d’avoir un souverain
comme le roi du Maroc »…

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Les obligés de Mohammed VI et ses « invités » à Marrakech se retrouvent à
la droite de l’échiquier politique français mais aussi dans les rangs de ce
qu’on appelle la gauche caviar. L’actuel président de l’Institut du monde
arabe (IMA), Jack Lang, ancien ministre de la Culture de Mitterrand, est un
peu l’équivalent, à gauche, de Nicolas Sarkozy. Il ne manque aucune
occasion pour goûter au charme de la Ville Ocre. La dernière date de
février 2016 : Jack Lang, accompagné de son épouse, était l’invité du
monarque à la 6 e biennale de Marrakech et avait séjourné au Royal Mansour.

Depuis sa nomination à la tête de l’IMA en 2013, Jack Lang ne cesse de
louer le caractère « moderne » de la monarchie marocaine, porteuse, selon
lui, d’un islam « ouvert et tolérant ». C’est en présence de François Hollande
et de Mohammed VI qu’il a annoncé, le 17 février 2016 à Paris, le grand
projet du Centre culturel marocain qui ouvrira ses portes en 2018 dans le
boulevard Saint-Michel. Coût du projet, entièrement financé par le royaume :
6,7 millions d’euros. « Il est vraiment important que le Maroc, ce pays de
lumière, de couleurs, d’intelligence et de création soit présent en plein cœur
de Paris », annonce ce jour-là Jack Lang devant les deux chefs d’État.

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