Topics : Etats-Unis, Pétrole, capitalisme, dollar, Algérie, Arabie Saoudite,
par A. Boumezrag*
« Ils sont en train de détruire la planète… La bonne nouvelle, c’est que comme toute créature vivante, la terre possède également un système immunitaire et que tôt ou tard elle se mettra à rejeter les agents porteurs de maladie, telle l’industrie pétrolière. Et avant, espérons-le qu’on finisse comme l’Atlantide et la Lémurie » (Thomas Pinchon)
L’extrême concentration du pouvoir politique dans le bloc socialiste a suscité le déclin du communisme. L’extrême concentration des richesses à l’intérieur de l’Occident va provoquer la chute du capitalisme. L’industrie pétrolière a joué un rôle majeur dans la décomposition des empires coloniaux européens et dans l’émergence de nouveaux empires (les USA et l’URSS) qui vont se rivaliser dans une folle course aux armements. Cette guerre froide va se solder par la victoire des Etats-Unis et l’effondrement de l’empire soviétique. La suprématie des Etats-Unis est assurée par le pétrole et le dollar. Il faut se rappeler qu’en 1973, le président Nixon demanda au roi Faysal d’Arabie Saoudite de n’accepter les paiements des ventes de pétrole qu’en dollars us et de placer les profits excédentaires dans les bons du Trésor américain et en retour, Nixon s’engage à garantir une protection des champs pétroliers saoudiens et cette offre fût étendue à l’ensemble des pays producteurs de pétrole dans le monde. En 1975, tous les membres de l’OPEP ont accepté de ne vendre le pétrole qu’en dollars américains.
C’est contre ce papier que tous les biens et services du monde entier sont évalués et échangés en provenance ou à destination des Etats-Unis. La seule nation qui a l’exclusivité d’imprimer une monnaie internationale en fonction de ses propres besoins. Avec le dollar comme monnaie internationale, Internet comme moyen de communication et l’anglais comme langue internationale, les Etats-Unis dominent le monde. Les Américains représentent 6% de la population mondiale consomment 40% des ressources de la planète. La machine à imprimer des dollars s’affole. Le monde est stupéfait. Depuis sa création, le dollar a perdu 98% de sa valeur. Les Etats-Unis vivent à crédit, un crédit gratuit de surcroît. C’est dans ce contexte qu’est né le pétrodollar venu à la rescousse d’un dollar chancelant. L’étalon pétrole est venu à la rescousse de l’étalon dollar. L’OPEP maintient la stabilité du prix du pétrole, en fixant des quotas de production pour chacun des pays membres.
Le pétrole fut la clé du renouveau européen après la Seconde Guerre mondiale, « les trente glorieuses » et a été un coup d’accélérateur dans la décadence des sociétés arabes et musulmanes. Il a pérennisé les régimes politiques monarchiques et dictatoriaux. Il a assuré la prospérité et la puissance de l’Occident et a desservi les intérêts des peuples. Il sera l’enjeu des guerres fratricides postcoloniales et des manipulations de masse en Afrique et au Moyen-Orient. « Faites-vous miel et les mouches vous mangeront ». Un Américain aurait dit : « Les Etats-Unis d’Amérique n’ont pas d’ennemis éternels ou des amis éternels, ils n’ont que des intérêts éternels ». Ce qui est bon pour les Etats-Unis est bon pour l’humanité toute entière. L’Amérique s’était juré de façonner le monde à son image. Les Etats-Unis consomment 40% des ressources planétaires rares non renouvelables pour réaliser le rêve des Américains qui ne représentent que 06% de la population mondiale.
Ce rêve américain n’est qu’un délire pour le reste du monde. Rêve suscité et entretenu par les médias occidentaux à des fins mercantiles. Là où s’installent des bases militaires américaines, c’est que le pétrole n’est pas très loin. Les guerres nourrissent les ambitions des pays occidentaux. Grâce au pétrole arabe, ils sont sortis victorieux du nazisme, du communisme et du terrorisme. Ils ont compris le rôle considérable joué par le pétrole dans les relations internationales…
Le pétrole provoque des guerres et l’Occident en tire profit tant en amont qu’en aval. Au lieu de créer les conditions de la paix, il réunit les conditions de la guerre. Le renseignement est au cœur de la guerre du pétrole. Il est le dieu de la civilisation moderne et l’argent en est sa manifestation. L’Occident est esclave du pétrole, l’Algérie de son prix, et l’Arabie saoudite des quantités mises sur le marché.
Il est un intérêt stratégique des Etats-Unis de contrôler la production mondiale des hydrocarbures. Ils ont fait de l’augmentation des importations du pétrole africain une question de «sécurité nationale» mobilisant leur diplomatie pour encourager la production dans les pays africains sans considération pour le caractère non démocratique des régimes en place et leur respect des droits humains ». Il suffit de se rappeler la fameuse phrase de Kissinger « le pétrole est une chose trop importante pour le laisser entre les mains des arabes ». Il en a résulté un épuisement des ressources non renouvelables, une restriction des libertés publiques, une corruption généralisée, une démographie galopante, une dépravation des mœurs, une absence d’alternative économique ou d’alternance politique.
Les espoirs que les économistes avaient fondé sur ce modèle de développement ne se sont jamais réalisés d’où un écart entre les programmes politiques et leurs résultats concrets : une politique médiocre et une économie désastreuse. Avec 98% de ses exportations issues du pétrole et du gaz, l’Algérie fait partie des pays les plus dépendants de l’or noir. Un pays « chômé et payé » qui se retrouve sans revenu et sans emploi du jour au lendemain. C’est un coup de masse redoutable aux conséquences imprévisibles. Passer d’une économie rentière à une économie vivrière n’est pas une sinécure.
Il s’agit de prendre conscience de l’échec d’une tentative de développement et de modernisation et d’en tirer les conclusions au plus tôt. C’est pour avoir nié cette évidence que beaucoup de sociétés en cours de modernisation sont devenues vulnérables aux idéologies totalitaires lorsqu’elles cherchaient à se développer, à se moderniser. Car le développement crée l’inégalité, la modernisation l’accentue. Nous sommes théoriquement, politiquement, économiquement et socialement mal préparés aux contradictions et aux incertitudes de la vie sociale moderne.
Avec le temps, les pays marginaux comme l’Algérie contrôleront de moins en moins leurs ressources et leur espace sur la carte géopolitique qui se dessinent dans les états-majors des pays occidentaux. Sur cette carte, les nations faibles n’ont plus de place. La famine sera le critère de sélection biologique dominant. En politique, les gouvernants ne devraient pas être imprévoyants, les hommes politiques ne devraient pas abuser de leur pouvoir. Ils devraient respecter leurs fonctions et être capables d’écouter, d’observer et de comprendre les ressorts de la société qu’ils dirigent. En un mot comme en mille, avoir une vision globale et lointaine eu égard aux enjeux qui se profilent.
La tâche principale d’un gouvernement est d’empêcher qu’une population qui a goûté à la sécurité, au confort et à la facilité de sombrer dans la peur, la famine et le chaos. Car un faible niveau de développement et ou de modernisation n’apporterait qu’amertume et désespoir. La mort certaine du dollar à court ou moyen terme comme monnaie de paiement international annonce peut-être, nous l’espérons, la naissance d’un nouveau monde fait de solidarité et de spiritualité, de bien-être matériel et de confort moral. Une civilisation qui fera passer l’être avant l’avoir, le primat du spirituel sur le matériel. Depuis un siècle, nous brûlons chaque année ce que la terre a mis un million d’années à fabriquer. En fin de parcours, le pétrole n’aura été qu’un mirage dans le désert arabique. Sans pétrole et sans gaz, c’est l’effondrement de la civilisation moderne. C’est la fin du productivisme et du consumérisme. On chasse le naturel, il revient au galop. «Les villes seront détruites et les déserts seront construits», une prophétie de la tradition musulmane.
*Dr
Le Quotidien d’Oran, 22/11/2022