Maroc : Une pression fiscal qui ne dit pas son nom

Topics : Maroc, carburants, subvention, prix, indexation, taxation,

Il est souvent inutile de parler quand tout le monde parle en même temps.

C’est pour cela que j’ai attendu d’avoir une conversation avec un ministre concerné et d’écouter le chef du Gouvernement à la télé avant toute chose.

Il est humain que nos amis membres du Gouvernement développent une phobie devant toute personne qui souhaite discuter avec eux d’un sujet qui soulève une polémique, à force de fréquenter des meutes de chacals dans les couloirs matin et soir et à force de recevoir des avalanches de critiques souvent injustes aussi bien de leurs adversaires que de certaines voix au sein même de leur formation. Si dans le premier cas cela semble normal dans le second cela peut laisser des séquelles personnelles.

En effet, pour cette deuxième catégorie on se retrouve confrontés à 3 types de personnes :

1/ Celui qui veut discuter et donner son avis sur des questions par principe.

2/ Celui qui agit en concurrent politique machiavélique interne et qui cherche à casser les autres à tort ou à raison pour gravir les échelons de sa formation.

3/ Et en dernier, les hypocrites, qui au fond d’eux-mêmes ne sentent aucune appartenance au projet et qui cherchent par des actions de perturbations et de nuisance à détruire le projet de l’intérieur.
 
Il serait injuste de qualifier à chaque fois des frères qui mènent des réflexions ou qui critiquent certaines décisions d’être dans le 3eme type.
 
Ce dont je peux être sûre pour ma part c’est de ne pas faire partie  de ce 3eme type.

Revenons à notre histoire de carburant :

1/ La surprise de la semaine dernière nous ramène à se poser des questions sérieuses sur le processus de prise de décision dans l’actuel gouvernement. Si les parlementaires du parti qui dirige le gouvernement n’ont rien senti venir, je soupçonne fortement que plusieurs ministres voir même ceux directement concernés par la mesure n’ont été mis au parfum de la prise de décision que quelques jours avant … Il est inutile de rappeler que ce mode de gouvernance relève plutôt d’avant la constitution et que rien ou presque n’a changé dans le mode de gouvernance et de prise de décision.

2/ Le deuxième constat est le manque flagrant de consultants économistes chevronnés autour du Chef du Gouvernement. La preuve est l’absence totale de la dimension économique dans le langage utilisé, puisque nous ne retrouvons que des arguments financiers, budgétaires et tactiques ne découlant d’aucune stratégie économique et vision claire sur les impacts économiques directes et indirectes de cette décision.

Le contraste est énorme à comparer avec l’armada de consultants de l’élite mondiale qui ont défilé ces derniers jours devant le souverain en France et avec lesquels il travaille d’arrache-pied sur un rythme effréné.

3/ Il était évident que le gouvernement avait besoin d’argent et qu’il ne peut le prendre que de deux manières : soit par l’augmentation de la pression fiscale, soit par le crédit. Il a choisi la fiscalité, et nous expliquerons pour quoi cela y est assimilé.


4/ Pour bien comprendre ce qui se passe il serait utile de rappeler certaines notions éclaircissantes sur la structure du prix du carburant. En empruntant la même démarche pédagogique de notre chef du gouvernement bien aimé. Il faut noter qu’en moyen et sans être précis sur les chiffres, car cela dépend du cours du brut et marges de raffinage, le carburant est taxé au Maroc à presque 100%.

Si nous prenons par exemple le prix actuel du brut qui revient exactement à 5 DH et si on y ajoute la marge de raffinage qui reste de quelques centimes, nous voyons très bien que le prix naturel sans taxation doit être de 5 Dh et quelques. Vous pouvez constater par vous-même que le discours sur la subvention du prix de carburant que les politiques nous tiennent n’est pas tout à fait vrai!


5/ Avec le gas-oil algérien de contrebande à 4DH moins que le prix à la pompe en Algérie et moins que le prix du brut qui est plutôt de l’ordre de 5 DH. Plusieurs questions restent posées sur la viabilité de cette mesure. Et sur l’encouragement qu’elle apportera aux nombreux circuits de la fraude, de trafic et de la contrebande avec cette différence énorme de 100% entre le prix à Oujda et celui à Fès par exemple…
 
6/ En économie comme en physique, rien ne se perd, rien ne se crée …

En effet l’utilisation du carburant se partage en 3 catégories : le transport*, l’industrie, et la consommation. Comme cela a été expliqué dans le point 4, tant que le brut reste à certains niveaux la caisse de compensation ne sert qu’à rembourser d’une certaine manière une partie de la TIC sur les carburants et non pas à subventionner. Parler de l’augmentation du prix des carburants revient donc purement et simplement à augmenter la pression fiscale sur le consommateur d’une manière directe et sur la production qui se répercutera en général sur le consommateur, abstraction faite pour les productions dont certaines destinées à l’exportation et bénéficiant d’un système de Drawback.

Ceci n’est pas un cours de pédagogie magistral, mais cela veut dire tout simplement que ce que l’Etat va gagner à court terme par cette mesure elle va le constater à moyen terme comme diminution de la recette de la TVA et de l’IS …etc. surtout quand le niveau d’épargne reste très faible.

Cette mesure est à mon humble avis à résultante très faible pour le budget de l’Etat, sauf pour ceux qui voient au bout de leur nez. C’est un simple coup d’épée dans l’eau…payé politiquement très cher !!! Et sans réelle efficacité économique !
 
Augmentation carburant

Avantage et inconvénients pour le budget de l’Etat

AvantagesInconvénients
– Diminuer le montant de la dépense de la caisse de compensation– Impact négatif sur l’IS, à cause de l’affectation des résultats des entreprises. – Impact négatif sur la recette TVA, à cause de la diminution de la consommation des ménages et des entreprises, une ponction de l’augmentation de la pression fiscale subie. – Impact négatif direct sur l’augmentation des dépenses de l’Etat directes en matière du budget carburant et indirectes à travers tous les effets d’inflation maitrisés et non maitrisés qui suivront. – Impact négatif sur l’épargne et par conséquent sur l’investissement. avec tous ses avantages budgétaires. – Impact négatif sur l’attractivité du Maroc pour les investisseurs étranger avec l’augmentation des couts de facteurs, avec les conséquences négatives sur le budget. – …

Avantages et inconvénients en général

AvantagesInconvénients
– Diminuer le montant de la dépense de la caisse de compensation, pour sauvegarder le budget d’investissement de l’Etat et réaliser les actions sociales urgents.
– Une mesure qui s’inscrit d’une manière précurseur dans la ligné des dernières études prévoyant le doublement du prix du pétrole sur la prochaine décennie. Le système de taxation pétrolière marocain sera complètement consommé par la compensation à partir d’un pétrole autour de 140$. Nous pourrons alors à partir de ce seuil parler d’une réelle subvention.
– Ramène le cout du facteur carburant à des niveaux normaux au niveau mondial. Tout en gardant une marge avantageuse par rapport à certains pays concurrents. Forçant l’entreprise marocaine à améliorer sa compétitivité dans des conditions proches des standards internationaux.
– Impacts négatifs induits par la pression fiscale diminuant les recettes de l’Etat, et augmentant ses dépenses par l’inflation. – Impact négatif sur la consommation – Impact négatif sur l’épargne et par conséquent sur l’investissement – Impact négatif sur l’attractivité du Maroc pour les investisseurs étranger avec l’augmentation des coûts de facteurs. – Compétitivité des entreprises privées et publics affectées. – Inflation directe et induite, maitrisée et non maitrisée, avec risque de boule de neige surtout dans les secteurs réglementés, syndiqués, en oligopoles ou à fort ticket d’entrée. – un autre facteur négatif est la visibilité des investisseurs vis-à-vis d’un facteur important de la production qu’est l’énergie ; un retour à des règles claires tel qu’avant 1999 est nécessaire tout en améliorant l’équation par des facteurs de lissage à la hausse comme à la baisse, permettant de lisser les fortes secousses qui avaient causées l’arrêt de l’ancien système.

Conclusion :

  • il faut signaler que la popularité de l’actuel Gvt a donné suffisamment de courage aux décideurs pour toucher à un paramètre après plusieurs années d’hésitation.
  • L’augmentation du carburant était inévitable, toutefois j’avais préconisé une augmentation de 20 centimes que personne n’aurait contesté, au mois de février tant que le gvt était en période de grâce, suivi d’une réflexion sur la mise en place d’un système de répercussion des prix internationaux d’une manière qui ne soit pas darwinienne et qui permettra en même temps le lissage des fortes variations des prix internationaux.

  • Maintenant que l’arbitre a sifflé, il est trop tard pour se permettre de voir dans le rétroviseur. il reste toutefois que même le prix actuel n’est pas pérenne. Il est urgent donc de mettre en place un système pérenne qui permet à la fois de donner à l’Etat un revenu fiscal raisonnable et stable, et de donner aux investisseurs une visibilité et une assurance. La mission de la caisse de compensation se trouvera ainsi modifiée, puisqu’elle ne sera utilisée que pour le lissage des prix à la hausse comme à la baisse, et non pas pour des prétendus missions de soutien des prix.

  • Le courage, la popularité et la crédibilité de l’actuel Gvt ne seront plus utilisés pour augmenter les prix seulement et faire du mal, mais pour faire respecter une formule pérenne claire et équitable pour tous ; ceci à la hausse comme à la baisse, comme c’était le cas de la dernière baisse surprise que nous venons de constater ce 1er juin suite à la publication des chiffres de l’industrie chinoise et à l’appel d’offre lancé par les iraquiens pour explorer de nouveaux gisements et qui a causé une chute du baril de prés de 10%. Mais soyons claire, sans aucun doute nous serons plus face à des hausses qu’à des baisses les prochaines années. Le Peak-Oil n’est jamais loin !


Nouvelle indexation des prix carburants

Afin de ne pas piquer le patient deux fois, il est urgent d’adopter cette semaine sans plus tarder une nouvelle formule d’indexation des prix à la pompe. Car, retarder cela 1 mois plus tard, revient tout simplement à faire souffrir le patient d’avantage en le piquant à deux reprises.

Ci-dessous 2 propositions

Soit :

PRm : prix moyen à la bourse de Rotterdam du gasoil ou essence raffiné du mois m.

PRm-1 : prix moyen à la bourse de Rotterdam du gasoil ou essence raffiné du mois m-1.

Pa : prix actuel à la pompe

Pm : prix à la pompe du mois m

Pm+1 : prix à la pompe du mois m+1

Pm-1 : prix à la pompe du mois m-1

1ere Méthode

Pm+1= Pm x PRm/ PRm-1

Ou Pm+1= Pm+ (PRm-PRm-1)

Ou Pm+1= Pm (1+1/2x(PRm-PRm-1)/ PRm)+1/2(Pm-Pm-1) (avec formule de lissage des secousses)

2eme Méthode

P =Pb+T+Mr+Md+C

Mais dans le contrat de l’Etat avec SAMIR en gros Pb+Mr=PR

D’où P=PR+T+Md-C

P : prix à la pompe

Pb : prix du brut

T : taxe de l’Etat sur les carburants (Tf fixe+Tp partie proportionnelle)

Mr : marge de raffinage

Md : marge de distribution.

C : part de la compensation dans la détermination du prix

D’abord il serait judicieux de demander une baisse de Md de 1 point, car Md au maroc est élevée par rapport à d’autres pays qui connaissent une vraie concurrence entre distributeur.

Soit Cj= la part de la compensation au mois de juin 2012 et supposons que l’état décide de ne plus dépensé plus que le montant qu’elle dépense actuellement  (Cj= pour le gasoil actuellement près de 3,5DH)

Avec cette formule nous aurons donc :

Pm+1= PRm+T+Md-Cj                               

A noter que : T contient une partie fixe et une partie variable proportionnelle.

Md est variable proportionnelle, à signaler que la marge de distributeur deviendra énorme en valeur avec l’augmentation des cours du Brent.

Cj est fixe.

Nous pouvons y ajouter une composante de lissage des prix pour éviter les hyper phénomènes comme ce qui s’est passé en 1999 et qui a poussé l’Etat à suspendre l’indexation des prix.

Par exemple :

Pm+1= PRm (1+1/2x(PRm-PRm-1)/ PRm) +T+Md-Cj+1/2(Pm-Pm-1)

Nous constatons dans ce cas C devient C= Cj-1/2(Pm-Pm-1).

D’où le nouveau rôle et la nouvelle attribution de la caisse de compensation, qui n’est plus de subventionner le carburant à la pompe, mais de lisser son prix à la hausse comme à la baisse. Ce qui sera certainement bénéfique pour la stabilité des conditions économiques et pour la sauvegarde du tissu industriel.

PS : Ces formules données à l’Etat brut nécessitent bien sure une finition et un réarrangement dans le back-office avec les operateurs, pour ne pas voir des anomalies comme la marge distributeur augmenter dans d’énormes proportions ou de perturber la structure de la taxation de l’Etat, des ententes, de nouvelles écritures comptables et d’autres mesures d’accompagnement techniques seront nécessaires

Mais quelque soit la formule adoptée, je rappelle qu’il est urgent d’adopter une nouvelle.

Et dans ce cas, le courage du gouvernement populaire ne sera plus celui de pouvoir faire mal mais celui d’avoir le courage d’appliquer une formule mathématique.

Ahmed Yaacoubi