Sommet sino-arabe à Riyadh et nouvelle reconfiguration des relations internationales

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Dans la nouvelle reconfiguration mondiale la Chine entend être un acteur actif dans la sécurité régionale intimement liée à ses intérêts économiques expliquant les différents accords de partenariats stratégiques entre différents pays arabes dont avec l’Arabie Saoudite qui constitue son premier partenaire commercial et également son plus grand investisseur, expliquant le lieu de la rencontre. Cette présente contribution est une synthèse de deux de mes interventions, l’une le 09 décembre 2022 à Radio Algérie Internationale, l’autre le 10 décembre la télévision internationale Alg24 New’s de 19h30 à 20h, avec deux experts, l’un européen, l’autre chinois, sur les relations entre la Chine et le Monde arabe en Arabie Saoudite, en ce début de décembre 2022, en présence du président chinois Xi Jinping.

1.- Il faut situer cette rencontre entre la Chine et le monde arabe dans le nouveau contexte géostratégique mondial, dans le cadre des perspectives géostratégiques 2023/2030, avec des tensions à plusieurs niveaux interdépendants à la fois militaires politiques et sociaux économiques ne devant pas oublier un facteur déterminant du XXIème siècle le facteur culturel qui influe moyen terme les échanges économiques C’est dans ce cadre qu’au cours de cette conférence des organisations médiatiques chinoise et arabe ont lancé selon leur communiqué « une initiative pour approfondir la coopération médiatique bilatérale et ainsi contribuer ensemble à cimenter l’amitié sino-arabe et à établir une communauté de destin sino-arabe ».

Cette rencontre a lieu au moment des tensions en Ukraine, Russie-Occident, où le monde ne sera plus jamais comme avant, la Russie et l’Ukraine représentant 33% les exportations moniales de denrées alimentaires, la Chine ayant opté pour la neutralité, des tensions en Asie USA/Chine concernant Taiwan, au Moyen Orient avec le conflit israélo-palestinien, l’instabilité au Yémen sans oublier l’Iran où le président chinois s’implique dans le dossier du nucléaire, un des sujets les plus chauds du moment, considéré comme une menace existentielle par les pays du CCG, les remous dans bon nombres de pays africains avec des coups d’Etat, les problèmes non résolus au Mali, en Lybie, les tensions au Sahel avec l’émergence de groupe terroristes et en Amérique Latine avec l’embargo des USA sur Cuba et le Venezuela et récemment les tensions au Pérou avec la destitution de l’ancien président et bien d’autres conflits au niveau du globe.

La rencontre se tient aussi avec la crise énergétique actuelle, dont la Chine est un des plus grands importateurs, avec la décision du G7 plus l’Australie de plafonner le prix du pétrole russe par voie maritime à 60 dollars, et en février 2023 concernant les produits pétroliers, n’aura de chance de succès que si ce plafond se rapproche de celui du marché. Problème beaucoup plus complexe, le projet proposé par l’Union européenne pour 2023 de plafonner également le prix de cession du gaz, pénalisant les pays exportateurs par canalisation, puisque pour le GNL, la destination est plus flexible, ce qui aura des répercussions sur toute la chaine énergétique.

Comme conséquence de toutes ces tensions nous devrions assister pour 2023 selon le FMI et la Banque mondiale, à moins d’une baisse de toutes ces tensions, un recul de la croissance de l’économie mondiale notamment des deux poids lourds, la Chine et les USA avec une stagflation, combinaison d’une croissance faible et d’ une inflation élevée avec des tensions sur le marché de l’emploi d’où des remous sociaux que les Etats essaient de calmer par le recours à l’endettement public, certains pays dépassant les 100% du PIB, mais pénalisant les générations futures qui supporteront cet endettement.

2.-Cette rencontre a abordé le réchauffement climatique, sujet traité récemment en Egypte qui risque d’avoir un impact important sur le monde arabe et l’Afrique et sur la biodiversité au Canada posant un véritable problème pour la sécurité des Nations, une pénurie d’eau et par voie de conséquence une crise alimentaire devant repenser toute notre système de production et de consommation.

Le sommet sino-arabe n’est pas intendante de la stratégie de la route de la soie et de la dynamisation des BRICS dont la Chine entend être le leader. Pour la Chine, l’initiative chinoise de la route de la soie, avec ses opportunités infrastructurelles et technologiques, est en mesure d’aider les pays arabes pour dynamiser leur économie et notamment ceux du Golfe de se libérer de leur dépendance au pétrole. Ainsi, les Émiratis et les Saoudiens pourraient accélérer la coopération avec la Chine afin de développer leurs « ports intelligents » et améliorer leur efficacité opérationnelle. À Abu Dabi, le constructeur chinois de véhicules électriques intelligents NWTN est impliqué dans la construction d’une usine de véhicules électriques. Construites avec des mégaprojets d’infrastructures et de passages commerciaux, les nouvelles routes de la soie comptent la construction de nouveaux ports, des milliers de kilomètres de voies ferrées, des routes, des oléoducs reliant l’Asie, l’Europe, l’Afrique et même des pays de l’Amérique latine, avec des multitudes de connexions maritimes et terrestres et des corridors économiques devant faciliter les échanges commerciaux à partir et vers la Chine. Ce projet prévoit un axe routier et ferroviaire de 10 000 kilomètres de long reliant l’ouest de la Chine à l’Europe, ainsi que des investissements dans des dizaines de ports de par le monde. Il inclut même de nouvelles routes vers l’Arctique.

Quant à l’élargissement des BRICS, l’Arabie saoudite comme les Emirats Arabes Unis, au cours de cette rencontre, ont fait part de leur souhait d’y adhérer ce groupe rassemblant les économies émergentes du monde (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). La Chine entend attirer certains pays arabes, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, ayant récemment annoncé l’idée des « BRICS Plus », un cadre qui résume cette intention d’ouvrir l’organisation à de nouveaux membres. Actuellement les BRICS avec la dominance de la Chine représentent en 2022, environ 25% du PIB mondial et plus de 45% de la population mondiale, sur 8 milliards dont des pays qui possèdent l’arme nucléaire la Russie, la Chine, l’Inde et le Pakistan. Si cette évolution se confirme avec l’entrée de bon nombre d’autres pays, cela devrait modifier fondamentalement les relations internationales, nous orientant vers un monde multipolaire. Mais il faut être réaliste, l’Europe, y compris la grande Bretagne dont le PIB est de 3300 milliards de dollars, plus les USA totalisent en 2021, pour moins d’un milliard d’habitants plus de 40% de la richesse mondiale.

3.-Quant aux relations économiques sino-arabes, il faut les situer dans leur véritable contexte. Les échanges représentent en 2021 environ 330 milliards de dollars, enregistrant une augmentation de 37% par rapport à 2020, la conférence ayant décidé de les porter à 600 milliards de dollars. La Chine, selon les prévisions du FMI, devrait être la première puissance économique mondiale horizon 2030, ayant un PIB en 2022 de 19.900 milliards de dollars pour une population dépassant 1,4 milliard d’habitants et des réserves de change dépassant les 3500 milliards de dollars mais la croissance devrait diminuer en 2023 entre 2,8 et 3,2%. Le poids de tous les pays arabes dans la richesse mondiale représente à peine un neuvième du PIB chinois, le PIB cumulé étant d’environ 2780 milliards de dollars en 2021,) proche du PIB français, 2937 milliards de dollars en 2021 pour une population de 68 millions, largement inférieur à celui de l’Allemagne 4256 milliards de dollars pour une population de 83 millions en 2021. Les six pays les plus riches du monde arabe en PIB courant sont l’Arabie saoudite avec un PIB de 805 milliards de dollars, les Emiraties 340, l’Egypte 362, l’Irak 190, le Qatar 166, et l’Algérie 160 (étant prévu pour l’Algérie 180 en 2022).

Pour la population totale du monde arabe estimée en 2021 à 430 millions d’habitants, nous avons d’importantes disparités : plus de 100 millions d’habitants pour l’Egypte, 45 millions pour l’Algérie, 42 millions Irak, 36 millions Arabie saoudite, 4,5 Koweït et 3 millions pour le Qatar. Sur un autre volet ayant des incidences géostratégiques : l’Arabie saoudite ayant clairement l’intention de se montrer plus autonome dans ses décisions, au cours de cette rencontre ont été évoqué l’éventualité de contrats pétroliers en yuans la Chine ayant acheté en 2021, plus de 25% des exportations de pétrole du royaume et si le prix de ces transactions était fixé en yuan, le pétrole saoudien pourrait aider le renminbi chinois à renforcer son statut de monnaie mondiale. Par ailleurs, une telle démarche pourrait créer un précédent et inciter d’autres pays riches en pétrole à suivre l’exemple pour fixer les transactions pétrolières en pétro- yuan, ce qui serait une diminution de la domination américaine et c’est qui explique les mises en garde des USA, allié stratégique des pays du Golfe.

Mais il faut éviter les utopies, tant dans les relations internationales qu’économiques, il n’y a pas de sentiments mais que des intérêts, l’économie étant avant tout politique. Le pouvoir tant américain que saoudien n’est pas homogène, donc partagé. L’Arabie saoudite dans sa démarche au sein de l’OPEP+ a l’appui des lobbys pétroliers américains dont bon nombre exploite le pétrole saoudien, permettant d’engranger d’importants bénéfices, proche du parti des républicains, expliquant le retrait de l’accord de la COP21 de Paris de l’ex président US, alors que les démocrates, du moins leur majorité entendent investir largement dans les énergies alternatives. Pour sa part une partie du pouvoir saoudien est réticente à accumuler de grandes quantités de renminbis chinois et que, selon bon nombre d’experts, le dollar est depuis longtemps la monnaie par défaut du marché de l’énergie et le riyal saoudien est indexé sur le dollar, ce qui signifie que toute faiblesse de cette monnaie se répercutent sur la valeur du Riyal.

4.-Enfin il ne faut pas oublier les discussions secrètes sur l’armement où les pays arabes et notamment ceux du Golfe sont d’importants importateurs et cette rencontre rentre également dans cette stratégie chinoise de vente d’armes pour contrer les fournisseurs traditionnels en l’occurrence les USA qui est le plus grand pays exportateur. Selon le dernier rapport du Sipri (Institut International de Recherche sur la Paix de Stockholm), les 100 plus grandes entreprises du secteur ont totalisé un chiffre d’affaires global de 531 milliards de dollars soit une progression de 1,3% par rapport à 2019. Avec un élément notable qui est la forte progression de la Chine qui s’impose comme un important vendeur d’armes.

Ensemble, les cinq entreprises chinoises de ce Top 100 ont vendu en 2020 pour 66,8 milliards de dollars d’équipements militaires, soit une augmentation de 1,5% en un an, représentant 13% du total des ventes d’armes de l’année, les Etats-Unis (54%) où, la société Norinco a été classée 7ème des ventes mondiales, ayant codéveloppé le système de satellites de navigation militaire-civile BeiDou et a approfondi son implication dans les technologies émergentes. Nous avons deux autres entreprises chinoises qui sont parmi les dix premières: Avic (Aviation Industry Corporation of China) en 8e place et CETC (China Electronics Technology Group Corporation) en 9e place Et parmi les principaux destinataires des exportations d’armes figure notamment la région du Moyen-Orient, où les importations ont augmenté de 25%, « principalement sous l’impulsion de l’Arabie saoudite (+61 %), de l’Égypte (+136 %) et du Qatar (+361 %), l’Arabie saoudite représentant à elle seule 24% du total des exportations d’armes des États-Unis.

En conclusion, selon nos informations, face à cette offensive chinoise, des stratégies de riposte sont à l’étude au niveau des USA et de l’Europe, qui malgré quelques divergences tactiques ont le même objectif stratégique, au niveau des espaces du Moyen Orient et surtout de l’Afrique espace stratégique avec d’importantes potentialités et richesses qui abritera un quart de la population mondiale entre 2035/200. Les pays arabes avec des idéologies, des systèmes économiques et des alliances militaires différentes, principaux obstacles pour négocier en rapports de force, doivent favoriser leur intégration économique, dont le taux selon un rapport du conseil économique et social arabe serait pour 2019/2020 entre 11/12% pour un montant de 112 milliards de dollars, la majorité des échanges se faisant en dehors de la grande Zone Arabe de Libre Échange (GZALE), montrant, loin des discours de fraternité, qu’il reste encore un long chemin à parcourir pour le développement des pays arabes.

Par Abderrahmane MEBTOUL

Professeur des universités, expert international en management stratégique, docteur d’Etat 1974-

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