La lutte contre la corruption en Algérie, une question de sécurité nationale

Tags : Algérie, corruption, gabegie, malversation, détournement,

Par Abderrahmane Mebtoul – Pr des universités – Docteur d’Etat en sciences économiques 1974, expert-comptable de l’institut supérieur de gestion de Lille France – haut magistrat Premier conseiller et directeur général des études économiques à la cour des comptes 1980/1983

La Journée internationale de lutte contre la corruption (IACD) 2022 vise à souligner le lien crucial entre la lutte contre la corruption et la paix, la sécurité et le développement. Selon le rapport des Nations Unies , le monde d’aujourd’hui est confronté à certains de ses plus grands défis depuis de nombreuses générations – des défis qui menacent la prospérité et la stabilité des populations du monde entier, le fléau de la corruption étant étroitement lié à la plupart d’entre eux. La corruption a des impacts négatifs sur tous les aspects de la société et est profondément liée aux conflits et à l’instabilité qui compromettent le développement social et économique et sapent les institutions démocratiques et l’état de droit. Non seulement la corruption fait suite à un conflit, mais elle peut aussi en être l’une des causes profondes. Elle alimente les conflits et entrave les processus de paix en sapant l’état de droit, en aggravant la pauvreté, en facilitant l’utilisation illicite des ressources et en assurant le financement des conflits armés.

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Qu’en est-il pour l’Algérie, objet de cette présente contribution ? Des efforts importants sont à relever dans la lutte contre la corruption mais devant s’attaquer à l’essence et non aux apparences des actions de conjoncture. Les intentions de lutte contre la corruption, certes, louables afin que ce rêve si cher à tous les Algériens, condition d’un Front national interne solide face tant aux tensions budgétaires, sociales internes, que géostratégiques à nos frontières, s’appliqueront-elles sur le terrain ? Il ne faut pas confondre la corruption, avec acte de gestion, impliquant la dépénalisation de l’acte de gestion que je réclame depuis de longues années, afin d’éviter de freiner les énergies créatrices, la définition du manager étant de prendre des risques.

1.-Le cancer de la corruption démobilise la société par une méfiance généralisée et accentue le divorce Etat-citoyens. Le combat contre la corruption, pour son efficacité doit reposer sur la mise en place de mécanismes de régulation transparents, en fait une bonne gouvernance. Les différents scandales financiers en Algérie, qui touchent certains secteurs publics et privés, relatés chaque jour par la presse nationale, dépassent souvent l’entendement humain du fait de leur ampleur, encore que tout Etat de droit suppose la présomption d’innocence afin d’éviter les suspicions et les règlements de comptes inutiles. Pourtant, ces constats témoignent de la désorganisation des appareils de l’Etat censés contrôler les deniers publics et surtout le manque de cohérence entre les différentes structures de contrôle. Cela dénote l’urgence de mécanismes de contrôle transparents qui évitent que ces pratiques ne se reproduisent renvoyant à plus de liberté, de moralité des institutions et de démocratie non plaquée selon les schémas occidentales mais tenant compte des riches anthropologies culturelles de chaque Nation (voir A. Sen, indien professeur à Harvard prix Nobel d’Économie).

Si l’on excepte la mauvaise gestion de certaines entreprises publiques qui accaparent une partie importante du financement public, un assainissement des entreprises publiques qui ont coûté au trésor public selon un rapport du premier ministère ( source APS) près de 250 milliards de dollars ces trente dernières années, un véritable gouffre financier, il ne faut jamais oublier les détournements de certains opérateurs privés entre 200/2020 relatés par la presse nationale, et la mauvaise gestion de l’administration et les services collectifs, gérés selon des méthodes du début du XXIe siècle ignorant les règles de la rationalisation des choix budgétaires. S’est-on interrogé une seule fois par des calculs précis le prix de revient des différents ministères et des wilayas et APC, de nos ambassades (car que font nos ambassades pour favoriser la mise en œuvre d’affaires profitables aux pays), du coût des différents séminaires, et réceptions et commissions par rapport aux services rendus à la population algérienne ?

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A ce titre, il convient de se poser la question de l’efficacité des transferts sociaux souvent mal gérés et mal ciblés qui ne s’adressent pas toujours aux plus démunis. Il semble bien qu’à travers toutes les lois de finances l’on ne cerne pas clairement les liens entre les perspectives futures de l’économie algérienne et les mécanismes de redistribution devant assurer la cohésion sociale, donnant l’impression d’une redistribution passive de la rente des hydrocarbures sans vision stratégique, bien que certaines dispositions encourageant l’entreprise existent. Dans ce cadre, de la faiblesse de la vision stratégique globale, le système algérien tant salarial que celui de la protection sociale est diffus, et dans la situation actuelle, plus personne ne sait qui paye et qui reçoit, ne connaissant ni le circuit des redistributions entre classes d’âge, entre générations et encore moins bien les redistributions entre niveaux de revenus ou de patrimoine.

C’est la mauvaise gestion et la corruption qui expliquent que le niveau des dépenses est en contradiction avec les impacts économiques et le contrôle le plus efficace passe par une plus grande démocratisation et nécessairement par une lutte contre ce cancer, la bureaucratisation. Le bureau comme l’a montré le grand sociologue Max Weber est nécessaire mais devant être au service de la société, non s’ériger en terrorisme bureaucratique qui enfante la corruption et la sphère informelle qui contrôle plus de 45/50% de la superficie économique (entre 6000 et 10.000 milliards de dinars selon le président de la République) soit entre 33% et 45% de la masse monétaire en circulation, avec une intermédiation financière informelle réduisant la politique financière de l’Etat. On peut émettre l’hypothèse que c’est l’Etat qui est en retard par rapport à la société qui enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner.

La corruption est également favorisée par les produits subventionnés, la distorsion de la cotation du dinar par rapport aux pays voisins, le trafic aux frontières lié à la cotation du dinar sur le marché parallèle. La procédure est simple je vous achète 1 euro vous me facturez 1,20 ou 1,50 euros et on partage et comme la différence avec le marché parallèle est de 50%, il y a encore une rente au niveau du marché intérieur où souvent le prix final s’aligne pour les produits importés sur le marché parallèle excepté les produits subventionnés. Cela pose la problématique de la réforme bancaire, lieu de distribution de la rente, qui doit toucher la nature du système et pas seulement la rapidité de l’intermédiation financière par la numérisation (aspect purement technique), qui paradoxalement pourrait faciliter des détournements plus rapidement si l’on ne s’attaque pas à la racine du mal.

2.- Le facteur important de la lutte contre la corruption, est la visibilité permettant la traçabilité des comptes grâce à un système d’information transparent, qui s’est effrité en Algérie, assistant à des données contradictoires de différents départements ministériels. La crise mondiale actuelle a bien montré l’urgence de l’intervention des Etats du fait que les mécanismes de marché seuls ne garantissent pas la transparence et le développement. Du fait que toute société est caractérisée par les imperfections des marchés – hypothèse de marchés totalement concurrentiels étant la tendance idéale, l’intervention de l’Etat régulateur reposant sur un système d’information crédible s’avère stratégique afin de mettre à la disposition des opérateurs préoccupés par leur gestion quotidienne, de l’information afin de minimiser les risques, donc les coûts de transaction, au moyen d’observatoires au niveau macro-économique, parallèlement à une politique monétaire, fiscale, douanière, claire, permettant des prévisions sur le moyen et le long terme.

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Pour l’Algérie, la non-maîtrise des données tant nationales qu’internationales, la faiblesse de la codification existante, la rente ayant pendant des années comblé les déficits au nom d’une paix sociale fictive, la marginalisation des compétences, tout cela engendré fondamentalement par la nature du système bureaucratique, expliquent l’effondrement du système d’information à tous les niveaux ou parfois des responsables sont informés par la presse ignorant le fonctionnement de leur secteur. Or une erreur de politique économique peut se chiffrer en pertes pour la Nation de plusieurs centaines voire des milliards de dollars. Il existe des liens complexes entre le façonnement des comptes au niveau des entreprises et l’environnement et lorsqu’on invoque la mauvaise gestion, il y a lieu de bien cerner l’ensemble des causes internes et externes du résultat brut d’exploitation. D’autant plus que les opérateurs publics durant cette phase où la bureaucratie est omniprésente subissent des injonctions qui échappent à leurs propres initiatives dont les différentes formes d’organisations depuis l‘indépendance politique traduisent les rapports de force au niveau du pouvoir pour la gestion des capitaux marchands de l’Etat. D’où l’importance d’un système d’information transparent pour apprécier objectivement les performances. Car l’expérience montre souvent des amortissements exagérés par rapport aux normes internationales pour des unités comparables, le gonflement de la masse salariale qui éponge la valeur ajoutée l’absence d’organigrammes précis des postes de travail par rapport au processus initial, gonflement démesuré des frais de siège qui constitue un transfert de valeur en dehors de l’entreprise avec prédominance des postes administratifs, des comptabilités à prix courants de peu de signification ne tenant pas compte du processus inflationniste.

Et comme au niveau macro-économique la production est production de marchandises par des marchandises nous sommes dans le brouillard pour tester les performances individuelles surtout en absence de comptes de surplus physico-financiers à prix constants qui peuvent aider à suppléer à ces déficiences comme je l’avais suggéré à la présidence de l’époque en tant que haut magistrat premier conseiller et directeur général à la Cour des comptes entre 1980/1983. Aussi, il s’agit de bien spécifier les facteurs internes à l’entreprise des facteurs externes. Au niveau interne car beaucoup de gestionnaires rejettent la responsabilité sur les contraintes d’environnement en soulignant l’importance des créances impayées, force de travail inadaptée, blocage bancaire, infrastructures (logement – santé, routes) mais oublient d’organiser leurs entreprises. Combien d’entreprises publiques possèdent-elles la comptabilité analytique, les banques des comptabilités répondant aux normes internationales, afin de pouvoir déterminer leur efficience loin de l’ancienne culture mue par l’unique dépense monétaire. Combien d’entreprises établissent un budget prévisionnel cohérent- du personnel, des achats, des ventes déterminant les écarts hebdomadaires, mensuels entre les objectifs et les réalisations, ces opérations budgétisées étant la base du plan de financement, sans compter la faiblesse des différents travaux comptables de base. Par ailleurs, l’absence d’observatoire de l’évolution des cours boursiers, permet des prix à l’achat exorbitants en devises pour ne pas parler de surfacturations, gonflant la rubrique achat de matières premières du compte d’exploitation où bon nombre de produits comme le blé, le rond à béton, etc. sont cotés journellement à la Bourse.

La compréhension des mécanismes boursiers, de l’évolution du dollar, du yen et de l’euro a des incidences sur le pouvoir d’achat et le niveau des réserves de change. L’efficacité du contrôle doit s’insérer dans le cadre d’une vision stratégique. Les mécanismes de contrôle en économie de marché doivent définir la nature du rôle de l’Etat pour favoriser le contrôle, ainsi qu’ une coordination sans faille des institutions de contrôle, certains inefficaces car relevant de l’exécutif étant juge et partie, devant être autonomes et relevant de la présidence de la république, Or, la dilution des responsabilités à travers la mise en place de différentes commissions témoignent de l’impasse du contrôle institutionnel en dehors d’un cadre cohérent, où les règlements de comptes peuvent prendre le dessus. Qui est propriétaire ? Car pour pouvoir sanctionner une entité, il faut qu’elle ait été responsable. Peut-on sanctionner un directeur général qui a subi une injonction externe? Un directeur général d’entreprise publique est-il propriétaire dans le sens économique large- véritable pouvoir de décision-de son entreprise? Qui est propriétaire de l’ensemble de ces unités économiques et de certains segments des services collectifs se livrant à des opérations marchandes? C’est toute la problématique du passage de l’Etat propriétaire gestionnaire à l’Etat. Régulateur ou stratège que n’ont résolu jusqu’à présent à travers les différentes organisations de 1965 à 2021, grandes sociétés nationales 1965/1979- leurs restructurations de 1980/1987, les fonds de participations vers les années 1990, les holdings 1995/1999, puis entre 2000/2019 les sociétés de participation de l’Etat SGP et récemment au retour à la tutelle ministérielle. Ces évolutions s’expliquent par les interférences entre le politique et l’économique dans le cadre de la gestion des capitaux marchands de l’Etat, dont le système financier enjeu de pouvoir.

En résumé, qu’en est-il du classement sur la corruption de l’Algérie de 2003 à 2021 selon les données internationales officielles ? : 2003 : 88e place sur 133 pays ; 2004 : 97e place sur 146 pays ; 2005 : 2,8 sur 10 et 97e place sur 159 pays ; 2006 : 84e place sur 163 pays ; 2007 : la 99e place sur 179 pays ; 2008 : 92e place sur 180 pays ; 2009 : 111e place sur 180 pays ; 2010 : 105e place sur 178 pays ; 2011 : 112e place 183 pays ; 2012 :105e place sur 176 pays ; 2013 -105 rangs sur 107 pays ; 2014 –100e sur 115 pays ; 2015 –88e sur 168 pays ; 2016 –108e sur 168 pays ; 2017 -112e place sur 168 pays ; 2018- 105e place sur 168 pays ; 2019- 106e sur 180 pays. 2020, 104e place sur 180 pays avec une note de 36 sur 100. – 2021 rapport publié le 25 janvier 2022 où L’Algérie occupe la 117ème place sur 180 pays avec un score de 33 sur 100

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Selon cette institution, internationale, une note inférieure à 3 signifie l’existence d’un « haut niveau de corruption, entre 3 et 4 un niveau de corruption élevé. Les affaires saines à même d’induire un développement durable ne peuvent avoir lieu, la corruption favorisant surtout les activités spéculatives. Dans les pays où règne un Etat de droit, la Cour des comptes est l’organe suprême du contrôle des deniers publics, ce qui est d’ailleurs inscrit dans la nouvelle constitution algérienne. L’urgence entre 2023/2025 est le décollage économique existant un lien entre sécurité et développement Or force est de reconnaître en ce mois de décembre 2022 que deux institutions assurent la stabilité du pays : l’ANP et les services de sécurité pour la sécurité nationale et la protection du territoire et Sonatrach sur le plan économique , qui avec les dérivés procurent environ 98% des recettes en devises avec les dérives comptabilisées dans la rubrique hors hydrocarbures représentent plus de 70%, en plus de certains segments subventionnées comme le prix du gaz( sidérurgie, ciment), laissant aux véritables segments créateur de valeur ajoutée une part marginale ,moins de 20% . Pourtant l’Algérie a d’importantes potentialités de sortie de crise sous réserve de profondes réformes, les pratiques sociales contredisant souvent les discours si louables soient-il, l’expérience montrant que la fuite en avant est l’installation de commissions bureaucratiques de peu d’effets.

Comme l’a mis en relief l’économiste de renommée mondiale, John Maynard Keynes, il vaut mieux que l’homme exerce son despotisme sur son compte en banque personnel que sur ses concitoyens. Comme je le rappelais dans une interview donnée au grand quotidien financier les Echos -Paris le 07 aout 2008, le terrorisme bureaucratique et la corruption sont les obstacles principaux au frein à l’investissement porteur en Algérie, la lutte contre la mauvaise gestion et la corruption renvoyant à la question de la bonne gouvernance et de la rationalisation de l’Etat dans ses choix en tant qu’identité de la représentation collective. ademmebtoul@gmail.com

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