Qatargate : Panzeri défendait aussi l’oligarque Kahazakh

Tags : Qatargate, Parlement européen, Antonio Panzeri, Francesco Giorgi, Eva Kaili, corruption, Moroccogate, Maroc, DGED, Yassine Mansouri, Mohammed Bellahrach,

Le scandale du « Qatargate » n’en n’est qu’à ces débuts. Mais il pourrait largement dépasser le cas du petit émirat du Golfe. L-POST est en effet en mesure de révéler, en exclusivité que, Pier-Antonio Panzeri, l’ancien député européen au centre du groupe corruptif était également un avocat assidu d’un ancien oligarque kazakh, Muktar Ablyazov, qui vient d’être débouté de son statut de demandeur d’asile en France, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) ayant établi qu’il n’était pas un véritable réfugié politique, mais qu’il cherchait à se protéger des poursuites pour un détournement de plusieurs milliards de dollars…

Pour le Parlement européen, c’est un véritable séisme. Vendredi après-midi, après la vague de perquisitions et les arrestations opérées pour mettre au jour une filière corruptive liée au Qatar, les policiers interceptaient un homme pressé à la sortie de l’hôtel Sofitel de la place Jourdan, à un jet de pierre de l’immeuble de l’assemblée européenne. Dans ses valises, les enquêteurs découvraient environ 600.000 euros. Et l’homme n’était pas n’importe qui : il s’agit du père d’une vice-présidente du Parlement européen, la socialiste grecque Eva Kaili, dont le compagnon avait été interpellé quelques heures auparavant. Le juge d’instruction Michel Claise décidait, dans la foulée, de perquisitionner le domicile bruxellois de Mme Kaili. Du fait de la saisie opérée dans les bagages de son père, l’opération pouvait être menée en flagrant délit, l’immunité de la parlementaire ne jouant plus. Dans l’appartement occupé par Mme Kaili, on saisissait 150.000 euros. Le tout en petites coupures. Ces montants venaient s’ajouter aux quelque 600.000 euros saisis le matin même chez l’ancien parlementaire (socialiste italien) Pier-Antonio Panzeri. En tout donc, au moins 1.350.000 euros. « En général, les saisies de cet ordre, nous n’en réalisons que dans des affaires de crime organisé, et, le plus souvent de trafic de stupéfiants », nous glisse un enquêteur spécialisé, « Ce ne sont pas des sommes que d’honnêtes citoyens gardent sous leur matelas… »

« Le Soir » et Knack révélaient ce vendredi midi qu’une opération policière préparée depuis plusieurs mois avait visé, tôt vendredi matin, un réseau corruptif soupçonné d’être lié au Qatar. L’affaire intervenant en phase finale de la Coupe du Monde – qui était censée être une opération de relations publiques de premier plan pour Doha – il ne s’agit plus simplement d’une énième péripétie mais bien, plutôt, d’une véritable bombe qui pourrait durablement endommager la réputation de l’émirat. D’autant qu’il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg…

Dans cette affaire, ce ne sont pas moins de 16 perquisitions qui ont été menées à Bruxelles sous l’autorité du juge d’instruction Michel Claise, spécialisé dans les affaires financières. Une instruction avait été ouverte à son cabinet en juillet dernier des chefs de corruption et de blanchiment. Selon nos confrères du Soir : « Les enquêteurs anticorruption « soupçonnent un pays du Golfe de tenter d’influencer les décisions économiques et politiques du Parlement européen », avance le parquet fédéral […].

Comment ? En « versant des sommes d’argent conséquentes ou en offrant des cadeaux importants à des tiers ayant une position politique et/ou stratégique significatives au sein du Parlement européen. »

Le parquet ne mentionne pas le Qatar. Mais plusieurs sources bien informées ont indiqué au Soir et à Knack qu’il s’agissait bien de l’Etat organisateur de la Coupe du monde. Plusieurs personnes ont été interpellées par la police fédérale pour interrogatoire. Parmi elles, un dirigeant syndical italien, Luca Visentini et un ancien parlementaire européen (socialiste), italien lui aussi, Pier-Antonio Panzeri. Au domicile de ce dernier, la police aurait saisi environ 500 000 euros. Des assistants parlementaires et des conseillers ou fonctionnaires du Parlement européen auraient également été perquisitionnés, ainsi qu’une ONG spécialisée dans la défense des droits de l’homme et présidée par l’ancien député Panzeri, « Fight Impunity ».

C’est bien le Qatar qui est visé…
Nous sommes en mesure de confirmer que c’est bien Doha qui est visé par cette enquête. De longue date, on le sait, l’émirat est soupçonné d’avoir acheté sa désignation comme hôte du Mondial 2022, entre autres en arrosant la FIFA.
Des enquêtes en cours aux Etats-Unis et en Suisse devraient d’ailleurs prochainement apporter un nouvel éclairage sur cette saga. Mais cette nouvelle affaire est bien plus explosive : ce n’est plus une fédération sportive internationale – à la réputation déjà largement entachée – qui est visée, mais bien la seule institution européenne dont les membres soient élus au suffrage universel.
Le Parlement européen, en effet, quelles que soient par ailleurs ses faiblesses, est bien le cœur battant de la démocratie européenne. Si les faits sont avérés, en tentant de le corrompre, le Qatar aurait donc franchi une très nette et très sérieuse ligne rouge.

Si l’enquête du juge Claise se développe et débouche sur une coopération internationale efficace et sans arrière-pensée, elle pourrait provoquer un véritable séisme. Car le Parlement européen est loin d’être la seule cible des corrupteurs œuvrant pour Doha. Des parlements nationaux, des médias, des universités, des institutions internationales sont également des « sujets d’intérêt » pour les porteurs de valises du Qatar.

Un enquêteur privé spécialisé, entre autres, dans les affaires de corruption, (et qui, pour des raisons évidentes, ne peut s’exprimer que sous bénéfice d’anonymat) nous révélait ces dernières heures : « Au début des années 2000, le Qatar, régulièrement mis en cause pour sa pauvre gestion des droits humains, a commencé à investir de plus en plus dans le lobbying pour défendre son image. Mais à l’époque, les méthodes utilisées restaient assez classiques. Doha passait par de grosses entreprises de relations publiques, à Paris, Londres ou New York, pour approcher journalistes et décideurs. Les choses se discutaient autour d’une table dans un grand restaurant et des amitiés se scellaient lors de séminaires ou d’évènements culturels haut-de-gamme, à Doha, où étaient invités divers spécialistes. Rien que de très classique, en somme, même si c’est éthiquement discutable… »

Mais c’est lorsque l’idée de proposer l’Emirat comme organisateur de la Coupe du monde s’est imposée que les pratiques ont commencé à changer. Ecoutons notre enquêteur : « Le lobbying traditionnel produit des effets, mais c’est lent. Et tout d’un coup le facteur temps est devenu essentiel pour Doha. C’est alors que se sont développées, en marge des manœuvres habituelles, des actions clairement corruptives… »

De la « diplomatie de la Rolex » aux enveloppes de cash…
En clair, nous dit-on, le Qatar a dépensé « énormément d’argent » pour s’acheter des sympathies : « dans certains pays, dont la France, des journalistes collaborant à de grands quotidiens ont été approchés et certains ont été « convaincus », des parlementaires ont également commencé à recevoir des cadeaux. Les moins compromettants étaient des voyages tous frais payés.

Ensuite est venue la « diplomatie de la Rolex : les amis potentiels des Qataris se voyaient proposer, par exemple, des montres de luxe ou des bijoux pour leurs épouses ou compagnes. Mais on pouvait encore mettre ces présents sur la traditionnelle hospitalité arabe. Puis, les choses sont devenues beaucoup plus sérieuses et des enveloppes d’argent ont commencé à circuler… »

L’enquête dira (ou pas…) d’où provenaient et à quoi étaient destinés les 500 000 euros découverts aujourd’hui à Bruxelles. Mais notre expert avance une hypothèse : « Il est permis de penser que le détenteur de cette somme faisait office de « trésorier » du réseau. A charge pour lui de le redistribuer au mieux. Un parlementaire européen perçoit un salaire de 7 316, 63 euros après prélèvement des impôts européens et cotisations sociales mais certains Etats membres prélèvent encore un impôt national. Un assistant parlementaire, lui, touchera un peu moins de 3 000 Euros. Imaginez ce que sont certains, une minorité bien entendu, seraient prêts à faire contre une enveloppe de 10 000, 20 000 ou 25 000 euros… »

Cette histoire bruxelloise n’est que la partie visible de l’iceberg. Car la corruption révèle aujourd’hui s’étale également dans plusieurs Etats membres. C’est entre autres depuis Paris, l’une des principales capitales choyées par Doha, que se développe cette « diplomatie corruptive ». Cette fois-ci, ce ne sont plus des géants de la communication qui sont à l’œuvre, mais de petites entreprises créées par d’anciens hauts fonctionnaires ou journalistes aux carnets d’adresses bien épais. A eux de décider qui doit être approché et de discerner qui peut être « convaincu », en clair, acheté, pour défendre les intérêts et l’image de Doha.

Ce mécanisme est d’autant plus efficace que ces officines peuvent parfois compter sur l’appui, pas toujours innocent de grandes entreprises européennes – souvent, mais pas toujours, des géants de la construction – qui ont des intérêts au Qatar (les pays du Golfe sont l’un des derniers Eldorado pour les bétonneurs…)

« En clair», conclut notre expert, « on a commencé par payer des journalistes pour oublier leur déontologie et faire la promotion du pays ou, au minimum pour ignorer ou minimiser certaines informations qui pouvaient lui nuire. Puis, instruit par la réussite de l’opération menée sur la FIFA, les corrupteurs ont vu plus grand et ont commencé à penser à s’attaquer aux hauts fonctionnaires et aux élus…. »

Et il suffit parfois de peu de choses pour marquer des points et satisfaire les payeurs. Ainsi, le 24 novembre dernier, le Parlement européen votait une résolution critique sur les droits de l’homme dans le contexte de la Coupe du monde. Mais dans le même temps, l’assemblée reconnaissait que l’Emirat avait indemnisé certains ouvriers employés sur les chantiers du Mondial et victimes d’abus salariaux par le biais du « Fonds de soutien et d’assurance des travailleurs », tout en exigeant qu’il couvre tous les travailleurs concernés, y compris ceux qui ont subi d’autres violations des droits de l’homme.
Fort peu de choses, donc. Mais que le Parlement admette que le Qatar fait un effort pour défendre les travailleurs exploités (ce qui relève quand même d’un prodigieux cynisme) et afficher une certaine confiance dans les autorités locales pour régler ce type de problème, c’est déjà très satisfaisant pour Doha.

Mieux encore, lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde, le commissaire européen (et vice-président de la commission), Margaritis Schinas, déclarait benoîtement que le Qatar « mérite un succès mondial grâce aux réformes mises en œuvre ». On croit rêver.

C’est là, peut être le principal frein qui sera actionné par certaines autorités nationales pour entraver l’enquête du juge Claise si elle se développe hors des frontières belges. En cette période où, faute de gaz et de pétrole russes, l’Union européenne doit trouver de nouveaux fournisseurs, qui voudra vraiment faire de la peine au Qatar ?

En revanche, si l’enquête suit son cours, elle sera longue et difficile, mais elle pourrait porter un coup fatal à la corruption venue du Golfe, car tous ses réseaux, à un niveau ou à l’autre, sont interconnectés et, surtout, s’abreuvent aux mêmes sources. Retirer une seule carte et c’est tout le château qui risque de s’écrouler.

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