Macron entame sa délicate « tournée » pour ne pas « perdre l’Afrique »

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Influence russe en Afrique : Emmanuel Macron entame sa délicate « tournée » pour ne pas « perdre l’Afrique »

« Cet âge de la Françafrique est bien révolu. » Voilà la phrase à retenir du premier discours d’Emmanuel Macron en Afrique.

Emmanuel Macron participe, aujourd’hui, à Libreville avec plusieurs chefs d’Etats d’Afrique centrale à un sommet consacré à la protection des forêts tropicales. Mais tout le monde s’attendait à ce qu’il parle « politique ».

« J’ai parfois le sentiment que les mentalités n’évoluent pas au même rythme que nous quand je lis, j’entends, je vois qu’on prête encore à la France des intentions qu’elle n’a pas, quelle n’a plus », a-t-il dit devant la communauté française au Gabon.

« On semble encore aussi attendre d’elle des positionnements qu’elle se refuse à prendre et je l’assume totalement. Au Gabon comme ailleurs, la France est un interlocuteur neutre qui parle à tout le monde et dont le rôle n’est pas d’interférer dans des échanges politique intérieure », a-t-il martelé.

18ème déplacement d’Emmanuel Macron en Afrique
Une visite au Gabon. Le point de départ d’une tournée de quatre jours dans la région. La capitale gabonaise est la première étape d’un périple qui conduira ensuite le chef de l’État français en Angola, au Congo et en République démocratique du Congo.

Il effectue son dix-huitième déplacement en Afrique depuis le début de son premier quinquennat en 2017. Il s’y rend surtout deux jours après avoir exposé depuis Paris sa stratégie africaine pour les quatre années à venir.

Une tournée diplomatique cruciale en Afrique centrale alors que l’influence française ne cesse de reculer sur le continent. « Je crois qu’Emmanuel Macron a compris deux choses, » explique Pierre Mathiot, directeur de SciencesPo Lille. « D’une part, il a compris qu’il était extrêmement important pour la France, et donc pour l’Europe, de ne pas » perdre l’Afrique « pour des raisons géopolitiques et économiques, notamment l’accès aux minerais rares qui sont très importants. De l’autre, il a compris que pour ne pas « perdre l’Afrique », il fallait adopter une attitude différente de l’attitude traditionnelle qui a tendance à considérer que l’Afrique est un pré carré sur laquelle la France aurait une forme de  » droit « lié à l’époque coloniale. ». Il poursuit : « On a pu voir qu’Emmanuel Macron a changé la méthode. En début de semaine, il a fait un discours, depuis Paris, bien différent de ce que l’on a pu connaitre de l’époque « post-gaulliste » qui a perduré jusqu’à Nicolas Sarkozy. »

Dans son discours, Emmanuel Macron a prôné « l’humilité » et encouragé un nouveau partenariat « équilibré » et « responsable » avec les pays africains. Pour Pierre Mathiot, « le Président sait qu’il marche sur des œufs. »

Influence décroissante

Car depuis plusieurs années, l’influence de la France, et de l’Europe, est décroissante en Afrique. Lors de sa « tournée africaine », le Président français va rencontrer d’autres chefs d’Etats dont Denis Sassou-Nguesso (Congo-Brazzaville), Faustin Archange Touadéra (Centrafrique), Mahamat Idriss Déby Itno (Tchad) ou encore Teodoro Obiang Nguema Mbasogo (Guinée équatoriale) qui feront aussi le déplacement.

Depuis 2022, l’armée française a été poussée hors du Mali et du Burkina Faso par les juntes au pouvoir dans ces deux pays. Le Burkina vient aussi de dénoncer un « accord d’assistance militaire » signé en 1961 avec la France, au lendemain de l’indépendance du pays.

La Russie et le groupe Wagner

Forte des mercenaires du groupe Wagner et de campagnes de désinformation qui alimentent le sentiment antifrançais, la Russie dame de plus en plus le pion à Paris dans cette sphère d’influence française historique. Une présence qui inquiète la France. « Pour le moment, mais je pense que ce n’est qu’à court terme, le succès russe en Afrique est énorme », explique Patrick Verhaagen, professeur à l’ULB et spécialiste de l’Afrique. « La Russie est parvenue à mettre la France hors de son pré carré. Ils ont dû plier bagage au Mali et au Burkina Faso. A l’inverse, la Russie occupe le terrain au nom de la coopération militaire et en sous-main via la société privée de mercenaires de Wagner. C’est le plus grand succès politique. Qui aurait pu imaginer, il y a 5 ans encore, que l’armée française doive plier bagage d’Afrique face à la diplomatie russe et face au bras armé russe ? Personne. »

Pour le directeur de SciencesPo Lille : « L’influence russe dans sur le continent ne date pas d’hier. Cela a commencé il y a déjà quelques années avec la République Centrafricaine où le groupe Wagner est présent depuis déjà plusieurs années. Donc, je pense que la France est inquiète. » Mais il insiste sur le fait que plusieurs dirigeants ont parfois la mémoire courte : « Les forces françaises ont quitté le Mali. Mais il ne faut quand même pas oublier que c’est l’intervention française qui a permis d’éviter que le pays ne soit conquis par les Islamistes. On l’a parfois un peu oublié. » Il rajoute : « On voit bien, au Mali par exemple, que le départ des Français, remplacé par le groupe russe Wagner, n’a aucun effet sur sa capacité à empêcher les attaques et les Islamistes de progresser. Au Burkina Faso, il y a encore eu 80 soldats qui sont morts. »

Sergueï Lavrov et ses nombreux déplacements en Russie

Ces derniers mois, la Russie tente nombre d’approche de pays africains. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a multiplié les visites et les déplacements sur le continent africain. Début de ce mois, il a même promis son aide « à la région sahélo-saharienne et même aux pays riverains du Golfe de Guinée ». Sergueï Lavrov a vanté la nouvelle alliance entre le Mali et la Russie contre le djihadisme qui ensanglante la région, lors d’une visite à Bamako présentée par les deux parties comme une première « historique » de la part d’un chef de la diplomatie russe.

En juillet 2022, déjà, la visite du ministre russe des affaires étrangères, Sergeï Lavrov, en Égypte, en République du Congo, en Ouganda et en Éthiopie avait pour but de montrer que Moscou avait encore des amis sur la scène mondiale.

Le récit et le discours russes

Drapeaux russes, présence militaire, la Russie a aussi aidé certains pays en livrant des tonnes de céréales ces derniers mois. Cela participe, aussi, à rejeter la présence européenne pour mieux embrasser celle de la Russie. « Rien ne plaide pour l’Europe. Quand on voit le non-succès des opérations militaires françaises et qu’on a entre 14 et 18 ans, c’est logique qu’on puisse être tenté par autre chose. C’est difficile de contrer cette propagande russe », explique Patrick Verhaagen, professeur à l’ULB. Il rajoute : « Alors que l’Europe donne plusieurs milliards d’euros d’aides publiques chaque année, les résultats ne sont pas là. Les conditions d’existence de la population en se sont pas améliorées en 60 ans. Et sur le plan militaire, la situation empire. Il est donc très compliqué pour l’Europe d’obtenir des résultats. La seule réponse doit être diplomatique avec des chefs d’Etat au courant de cette situation. Mais certains pays, parfois poussés par le peuple, sont tentés d’ouvrir les bras à d’éventuels sauveurs. »

Pour Pierre Mathiot, « Je pense qu’Emmanuel Macron va tenir un discours en indiquant que la France, en tant qu’ancienne puissance coloniale, n’est peut-être pas tout à fait irréprochable. Mais il avertira sur les dangers russes en expliquant qu’ils sont en train de capter toutes les ressources minières en Centrafrique. Donc, il a tout intérêt à expliquer que sous le prétexte de se débarrasser des Européens qui ont été colonialistes, sous le prétexte de les aider à s’échapper de la chappe de plomb post-coloniale, les Russes sont en train de reconstituer une stratégie colonialiste. Ça, c’est la stratégie du Président français. Après, elle sera appréciée en fonction de la situation politique et géopolitique des pays qu’il sera amené à visiter. »

L’Europe a quelques « armes » en main

Pourtant, tout n’est pas perdu pour l’Europe. « D’un point de vue géopolitique, c’est un coup de semonce. Personne au sein du groupe européen n’aurait pu s’imaginer un tel scénario. Il faut maintenant rester réaliste. L’Europe a d’autres armes, comme les échanges commerciaux et les aides publiques au développement », argumente Patrick Verhaagen, spécialiste de l’Afrique. « Les échanges commerciaux entre la Russie et l’ensemble du continent africain, c’est un peu moins de 15 milliards d’euros. Ceux entre l’Union européenne et les pays africains sont de 300 milliards d’euros. C’est vingt fois plus. Sans compter l’aide publique au développement de plusieurs milliards d’euros. Ces échanges commerciaux entre la Russie et l’Afrique se font au préjudice de l’Afrique. C’est-à-dire que ces 15 milliards d’euros sont quasi totalement des importations africaines de la Russie notamment de blé, de carburant et de charbon. Par contre, c’est la moitié pour l’Europe. C’est une donnée dont tout le monde est conscient. Et c’est donc un levier important face à la Russie. »

Emmanuel Macron conclura sa tournée en République démocratique du Congo (RDC), ex-colonie belge mais aussi plus grand pays francophone du monde, où le président Félix Tshisekedi, au pouvoir depuis janvier 2019, se prépare à une échéance électorale cette année.

Cette étape peut également s’avérer délicate alors que la France est accusée en RDC de soutenir le Rwanda plutôt que Kinshasa, confronté à une rébellion dans l’est du pays.

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