Maroc, Sahara Occidental, Union Africaine,
L’admission du Maroc à l’Union africaine après des décennies d’absence a été reçue comme une victoire, mais qu’est-ce que cela signifie pour le Sahara occidental ?
Abdelkader Abderrahmane*
Un verre à moitié plein ou à moitié vide ?
L’adhésion du Maroc à l’UA peut être vue sous deux angles différents, mais ce n’est, après tout, rien d’autre qu’un mouvement naturel. Certains disent même que l’absence du Maroc dans la famille panafricaine depuis 1984 est une anomalie.
Il serait présomptueux de croire que les choses iront désormais sans heurts pour Rabat et ses alliés.
Pour rejoindre l’UA, Rabat devait remplir les conditions d’admission, notamment la reconnaissance de l’intangibilité des frontières nationales héritées du colonialisme. Plus important encore, comme l’a souligné le ministre des Affaires étrangères de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), Mohamed Salem Ould Salek, non seulement « le Maroc n’a pas imposé de conditions, mais sa présence “dans la même pièce” permettrait à la RASD de faire pression sur les Marocains pour qu’ils respectent leurs obligations, permettant ainsi un référendum conformément à une décision de 1975 de la Cour internationale de justice.
Il serait présomptueux de croire que les choses iront désormais sans heurts pour Rabat et ses alliés. En effet, il y a des signes clairs indiquant que le Maroc sera étroitement surveillé et tenu de respecter les règles de l’UA.
En fait, le Maroc n’a pas obtenu le soutien des puissances continentales, à savoir le Nigeria, l’Algérie et l’Afrique du Sud (ainsi que d’autres nations comme le Zimbabwe, la Namibie et l’Ouganda). En Afrique du Sud, l’admission du Maroc a même été une vraie déception. L’Assemblée nationale africaine (ANC) a publié un communiqué déclarant qu'”elle regrette la décision de l’UA de réadmettre le Maroc dans l’organisation”.
De même, le président zimbabwéen, Robert Mugabe, a déclaré que « le vote pour réadmettre le Maroc à l’UA montre un manque d’idéologie chez certains dirigeants africains […] qui n’ont pas eu la même expérience révolutionnaire que nous tous, et qui sont trop dépendants de leur passé ». colonisateurs ».
Par ailleurs, le Maroc espérait voir le Sénégalais Abdoulaye Bathily élu président de l’UA. Allié historique et ardent défenseur de l’intégration du Maroc, le Sénégal, à travers Abdoulaye Bathily, aurait poursuivi son lobbying auprès de l’UA et des Nations unies, pour une solution durable en faveur de Rabat sur le conflit du Sahara occidental. Mais c’est plutôt le Tchadien Moussa Faki Mahamat qui a été élu, candidat plus consensuel et favorable à l’autodétermination des Sahraouis.
Gardez vos amis proches et vos ennemis plus proches encore
Le Maroc pourra indéniablement travailler au sein de l’UA pour rallier davantage de soutien à sa cause, mais il sera surveillé de près et scruté par les Sahraouis et les autres membres de l’UA, rappelant toujours à Rabat ses obligations en tant qu’État membre de l’UA.
De plus, en signe clair de son empressement à trouver une solution durable au conflit du Sahara occidental, immédiatement après l’admission du Maroc, l’UA a appelé le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) à « assumer ses responsabilités et à rétablir le “plein fonctionnement” du Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO), qui est essentielle pour la supervision du cessez-le-feu et l’organisation d’un référendum d’autodétermination.
Dans le même communiqué, l’UA a également appelé le CSNU à “trouver des solutions aux problèmes des droits de l’homme et de l’exploration et de l’exploitation illégales des ressources naturelles sur son territoire, suite à la décision prise par l’Union européenne (UE) le 21 décembre 2016”. sur les accords signés en 2012 entre l’UE et le Maroc sur la libéralisation mutuelle des échanges de produits agricoles et de la pêche.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé en décembre 2016 que l’accord entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc “doit être interprété, conformément aux règles pertinentes du droit international applicables aux relations entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, comme signifiant qu’il ne s’applique pas au territoire du Sahara Occidental », soulignant désormais que ni le Maroc ni l’Union européenne (UE) n’ont le droit d’exploiter les ressources du Sahara Occidental.
L’admission du Maroc au sein de l’UA ne doit être considérée comme rien d’exceptionnel, mais plutôt comme une décision naturelle
Cette décision de justice rappelle la résolution 1803 (XVII) de l’ONU qui stipule que « les États et les organisations internationales doivent respecter strictement et consciencieusement la souveraineté des peuples et des nations sur leurs richesses et ressources naturelles conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes contenus dans La résolution”. A cet égard, dans son rapport d’avril 2014, l’ancien secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, a souligné qu’il était opportun d’appeler tous les acteurs concernés à « reconnaître le principe selon lequel les intérêts des habitants de ces territoires [du Sahara occidental] sont primordiale, conformément au chapitre XI de l’ONU, article 73 de la Charte.
Une victoire à la Pyrrhus
L’occupation illégale du Sahara occidental par le Maroc est une violation du droit international. En 1963, le Sahara occidental a été inclus dans une liste de territoires, identifiée par l’ONU, qui a demandé l’autodétermination. La notion d’autodétermination était déjà inscrite dans la Charte des Nations Unies et est soutenue par la résolution 1514 de l’ONU qui stipule que « tous les peuples ont le droit à l’autodétermination ». Cela a été soutenu par la CIJ dans un arrêt du 16 octobre 1975 lorsqu’elle a déclaré que le Sahara occidental n’était pas un territoire sans maître (terra nullius) au moment de sa colonisation par l’Espagne. Le jugement de la CIJ a donc déclaré que le Maroc n’avait aucune revendication valable sur le Sahara fondée sur un titre historique et que, même si c’était le cas, le droit international contemporain accordait la priorité au droit sahraoui à l’autodétermination. Au passage, le prince marocain, Moulay Hicham, a expliqué lors d’une interview donnée au quotidien français Le Monde en avril 2014, que toute négociation sur le Sahara Occidental doit être menée dans le respect du droit international.
Siéger dans les mêmes locaux que la RASD à Addis-Abeba est pourtant une reconnaissance implicite de cette dernière par Rabat.
Si les Marocains et leurs alliés ont célébré haut et fort leur admission à l’UA, le Maroc siégeant dans les mêmes locaux que la RASD à Addis-Abeba n’en est pas moins une reconnaissance implicite de cette dernière par Rabat. Confirmant donc ce que la CIJ, l’ONU et la CJUE ont déjà dit, à savoir que Rabat n’a aucune autorité sur le territoire occupé du Sahara Occidental.
L’admission du Maroc au sein de l’UA ne doit être considérée comme rien d’exceptionnel, mais plutôt comme une décision naturelle pour cette nation nord-africaine qui a quitté l’Organisation de l’Union africaine (OUA) en 1984 pour protester contre l’admission de la RASD dans l’organisation africaine de l’époque. Si Rabat n’abandonnera pas son rêve de “Grand Maroc”, les Etats membres de l’UA avides de justice et de dignité n’hésiteront certainement pas à lui rappeler ses obligations vis-à-vis non seulement du territoire occupé du Sahara Occidental mais aussi de ses pairs africains. En attendant, chacun est libre de voir son verre comme il l’entend : à moitié plein ou à moitié vide !
*Expert à l’Institut des Etudes de Sécurité (ISS)
Open Democracy, 06/02/2017
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