Pourquoi le « Qatargate » est en réalité un véritable EUgate

Tags : Moroccogate, Qatargate, Maroc, DGED, Parlement Européen, Antonio Panzeri, Eva Kaili, Francesco Giorgi, Marocleaks, Mohamed Belahrach, Fight Impunity, No peace without justice, corruption,

A en suivre les derniers déroulés, l’affaire prématurément dénommée « Qatargate », en plein cours d’instruction, semble de plus en plus, se diriger vers un « European Gate » et concerner avant tout des dysfonctionnements au Parlement européen. Tous les médias s’étaient empressés de qualifier l’affaire de « Qatar Gate » alors que l’on parlait déjà d’un autre pays potentiellement concerné par l’affaire : le Maroc.

Pendant des jours, les médias ont visé directement « le Qatar », comme entité politique, et l’ont accusé d’arroser copieusement le Parlement européen, après que plus d’un million et demi d’euros aient été retrouvé aux domiciles des deux principaux suspectés de corruption pour le moment : Eva Kaïli, ancienne présentatrice phare de la télévision grecque et promue vice-présidente socialiste du Parlement européen (parmi 14 autres) ; et Pier Antonio Panzeri, ancien député européen socialiste, homme de réseaux, pilier de l’institution pendant deux décennies et spécialisé sur les question du Moyen-Orient et en particulier du Golfe. Autour d’eux, des ramifications, qui ont vu plusieurs perquisitions menées par le juge belge Michel Claise, docteur es délinquants financiers, aux bureaux ou domicile de Marie Arena, députée européenne belge et socialiste, ainsi que chez Marc Tarabella, actuel député socialiste au Parlement. Il faut y ajouter la mise à l’écrou du conjoint d’Eva Kaïli, Francesco Giorgi, passé aux aveux depuis. Le fait que la majeure partie des suspects soit italiens ou d’origine, et socialiste, n’est peut-être pas un hasard. Une toile de confiance, d’amitié, de sympathie, d’intérêts communs pourrait s’être créée autour d’un homme.

Panzeri aurait joué le rôle d’acteur clé de cette affaire de corruption, dans lequel auraient trempé des personnes liées au Qatar et désormais au Maroc. Mais pas seulement, puisqu’un ancien oligarque kazakh, Mokhtar Ablyazov, actuellement poursuivi pour le détournement de plusieurs milliards de dollars, se serait acheté également les services de Panzeri, selon le journal L-Post.

Il est suspecté, tout comme l’ancien Commissaire européen à la Migration, Dimitri Avramopoulos de corruption qui figurait dans le « board » de l’organisation au nom cynique de « Fight Impunity » de Panzeri. Une enquête a d’ailleurs été lancée récemment par Ursula Van der Leyen, la présidente de la Commission européenne. L’association de Panzeri aurait probablement joué le rôle de caisse enregistreuse des magouilles de nombreux suspects dans cette affaire. Cela signifierait probablement que la toile tissée par Panzeri était un aimant à cash pour le dit-nommé, dont auraient profité tous les autres membres du réseau. Cela veut dire aussi que cette structure serait devenue, au sein du Parlement, d’où les éléments graves suspectés de corruption, une quasi-boite de consultance interne qui a proposé ses services en externe. Il paraît peu probable que le Qatar soit allé, comme le Maroc au hasard, dans ce magma et cet océan des institutions européennes sans que des personnes ne leur aient proposé leur pouvoir et leur capacité d’influence.

L’influence comme le lobbying sont perçus en Europe très négativement comparativement aux pays anglo-saxons, à commencer par les Etats-Unis. Mais même en Europe, il y a du lobbying légal à travers des sociétés de communication et fait par des privés, et du lobbying totalement illégal mené par quelques personnes, en pleine infraction des institutions. En effet, être élu et représentant du peuple en faisant du « lobbying » lucratif est éthiquement interdit par l’Union européenne. Des pays comme le Qatar le Maroc et tant d’autres peuvent faire appel à des structures privées mais pas à des parlementaires européens moyennant finances. C’est un fait très grave de corruption, s’il est avéré, qui par ailleurs ne peut à ce stade jeter l’opprobre sur tout un pays, que ce soit le Qatar ou le Maroc.

On saura à l’avenir qui dans ces pays ont été en contact avec la structure de Panzeri, par l’entremise d’intermédiaires français et notamment marocains. Mais, en l’état, accuser le Qatar de vouloir corrompre le Parlement européen semble prématuré : s’il le voulait, il mettrait des centaines de millions d’euros sur la table, pas un ou deux millions. De plus, que pourrait-il faire comme le Maroc d’ailleurs avec l’oreille plus qu’attentive de trois ou quatre députés seulement ? Il est quand même quasi impossible que si peu de personnes puissent faire basculer une décision. Quand bien même les décisions ou les résolutions votées par le Parlement européen étaient déterminantes et suffisamment contraignantes pour ces Etats. C’est comme si de l’étranger, on résumait les affaires de Nicolas Sarkozy à « la France », et celles du Parlement Wallon à « La Belgique ». Ca n’a bien sûr aucun sens.

C’est pour cela que Panzeri pourrait avoir usé de ses talents et ramifications pour apporter son soutien à des individus particuliers désireux d’améliorer l’image du Qatar en matière de droits de l’homme, puis en matière de droit du travail. Le Qatar devra tirer l’affaire au clair pour se dédouaner de l’amateurisme de certains. Du côté du Maroc, il en va de même. Nul doute que ces pays devraient coopérer dans l’enquête du juge Claise pour démontrer leur innocence. Il n’y a que rarement des systèmes d’institutionnalisation de la corruption à visée extérieure venant du tout sommet des États. Il y a fort à parier que la médiatisation de l’affaire en cours ait cherché à ternir le Qatar en plein succès du Mondial. En revanche, la justice fait son travail mais cela est très mal tombé pour Doha, à nouveau considéré comme le vilain petit canard. On peut aussi se demander pourquoi maintenant à ce moment-là. Mais ne serait-ce pas remettre en cause l’indépendance et la probité de la justice ?

Dans la foulée des révélations, alors que le Parlement interdisait pour le moment l’entrée des officiels qataris au cœur des institutions, comme si pour corrompre il fallait passer par la grande porte, Doha a rappelé ses engagements avec l’Union dont elle dépend. Avec l’accroissement des capacités de production de gaz naturel liquéfié, l’Émirat peut allégrement jouer sur le boulevard laissé par l’arrêt des importations russes. Mais se serait-il mouillé, nationalement parlant, pour quelques millions contre l’importance juteuse de contrats majeurs à plusieurs milliards pour les années à venir avec l’Union ? C’est peu probable. Ce qui l’est davantage, c’est la manière dont quelques barbouzes européens ternissent une institution tout entière alors que les députés de l’UE passent leur temps à donner des leçons en matière de droits de l’homme au monde entier. Car dans cette affaire, la généralisation va dans les deux sens : c’est le Qatar qui aurait corrompu et c’est tout le Parlement européen qui le serait donc. Il y a toujours dans ces histoires des corrupteurs et des corrompus mais n’essentialisons pas.

Cela pose aujourd’hui, plus que jamais la question de l’intégrité de l’Union certes, mais plus particulièrement la politique de lobbying active qui est pratiquée à son égard au cœur même du système. Rappelons que selon des chiffres du Parlement européen lui-même, l’impact de la corruption à l’échelle européenne de tous les Etats-membres, s’élèverait à près de 1000 milliards d’euros, soit 6,3% de son PIB total. Ceci prouve que le problème n’est pas tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du fruit. Plus de 12500 organisations sont désormais enregistrées auprès du Parlement, représentant plus de 50 000 personnes. Parmi celles-ci, « Fight Impunity » de Panzeri. Parmi ces organisations : des ONG, des associations d’entreprises, des entreprises, des syndicats et des think-tanks. Cela a de quoi inquiéter d’autant que si le Qatar et le Maroc auraient profité de tout cela, nul doute que la Chine, la Russie et les Émirats arabes unis (comme ils l’ont fait lors des élections américaines) en ont profité aussi.

Certes, le juge belge Michel Claise a omis d’informer les instances juridiques du Parlement européen, mais peut-être justement car celui-ci ne dispose pas d’organe de contrôle interne, contrairement à la Commission européenne, avec OLAF, l’Office Européen de Lutte Anti-Fraude. Si le lobbying est plus strict côté européen que américain, il reste encore extraordinairement laxiste. Un article de l’Express le qualifiait même de « passoire face aux risques de corruption ». Quant au respect de l’état de droit, le Parlement critiquait même en février dernier la Commission européenne pour ce fameux « laxisme » à l’égard de la Pologne et de la Hongrie qui le violent en permanence.

Il serait temps que l’Union européenne se remette en cause sur cet aspect, avant d’accuser à tort et à travers des États tout entiers, sans fondement à l’heure actuelle, et alors que l’enquête, il est toujours bon de le rappeler, est toujours en cours.

Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques et spécialiste du Moyen-Orient.

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