Les quatre espagnols qui voyageons de Canarias pour participer à côté des Sahraouis à l’accueil des 11 compatriotes qui revenaient de la visite des camps de Tinduf. Nous arrivons au quartier Casa de Piedra à Layoun au alentour de trois heures de l’après-midi. Dès le premier moment, l’opposition de la police marocaine à cette rencontre était évidente et palpable.
La maison était assiégée par plusieurs agents civils qui, tout juste après notre arrivée, ont commencé à empêcher les Sahraoui d’y accéder. À l’intérieur, il y avait presque 200 personnes déjà. Vers le milieu de l’après-midi, un groupe de policiers s’est dirigé vers les espagnols, dans la rue. Ils nous ont demandé les papiers, un moment après, ils nous ont communiqué que, vu que nous sommes entrés en tant que touristes –et pour eux, notre présence là-bas, ne rentrait pas dans le circuit-, nous serons les seuls responsables de nos actes.
Quand nous avons su que la délégation des 11 activistes pour les droits de l’homme était arrivée –la plupart d’entre eux étaient des jeunes étudiants qui, depuis le dimanche, ont perdu le droit d’accès au lycée -, ils ont décidé la fenêtre à partir de laquelle je devrais prendre les photos. Celle qui était située juste au dessus de la porte d’entrée. Ils devaient respecter ma position. Cependant, entre 200 personnes reparties dans plus de dix chambres, aucun message n’arrive à tous.
Ils étaient déjà proches. Cecilia Alvarado, Lorena López et José Febles, les trois Canariens, avec qui j’ai fait le voyage, ont rejoint le groupe qui les aurait accueilli dehors. Javier Sopeña, un originaire d’Extremadura qui s’est compromis, depuis des mois, à vivre avec eux et subir et souffrir ce qu’ils subissent et souffrent. Puis, il était aussi présent pour, comme espagnol, utiliser leurs outils et dénoncer la situation.
En quelque sorte, nous croyions que sa présence servira pour freiner la réaction de la police. Mais quand la fourgonnette qui amenait les activistes s’est garée devant la maison, j’ai vu comment ceux-ci descendaient de la voiture et la foule commençait à chanter et, du coin de l’œil, j’ai observé que la police sortait de tous les coins. Alors, j’ai senti que quelqu’un appuyait sur l’accélérateur. Non, il n’y a pas eu de provocation, ni de tentative antérieure pour faire taire les chants. Ils sont arrivés en courant et ont commencé à donner des coups. J’ai vu comment ils les traînaient par terre et les rouillaient de coups de poings, de coups de pieds et de matraques. En quelques secondes, j’avais des dizaines de personnes criant derrière moi, me poussant contre les grilles de la fenêtre. Pendant la demi heure suivante, la plus intense, logiquement, ils n’ont plus fait attention à ma présence.
je suis sortie comme j’ai pu, accroupie entre leurs jambes, pour chercher une fenêtre d’où je pourrais prendre des photos. J’étais dans un palier d’un mètre carrée d’un escalier étroit par lequel plusieurs personnes descendaient poussés par l’urgence d’aller secourir leurs amis et leurs familles. Je suis entrée dans la chambre la plus proche et quand je me rapprochais de la fenêtre de la cuisine, quelque chose a cassé le verre. Je suis revenue en arrière et des blessés ont commencé à arriver. Des personnes portant des blessés avec la lèvre fendue, le sourcil ouvert, le dos violacés…..gémissants de douleur. Ils les laissaient allongés sur des coussins et revenaient.
Que des coups, du bruit et des cris. Après j’ai su que pendant cette attaque, ils ont cherché aussi les espagnols, avec l’intention d’éloigner les témoins embarrassants. Ils ont poussé Lorena et José contre le mur et les ont traînés jusqu’à une rue proche. Comme ils voulaient revenir, ils protestaient pour leurs compagnons espagnols; et de son côté, Lorena voulait récupérer ses papiers, qu’elles ne portaient pas avec elles, on les a menacé et on leur a encore tapé dessus, avec plusieurs citoyens qui ont essayé de s’interposer. Ils ont fui en courant et ont réussi à atteindre l’hôtel.
Javier, qu’ils respectent de moins en moins, même s’il est espagnol, a été piétiné de coups de pieds dans le sol, cependant, étant en position fœtale, il a réussi à se protéger de tous les coups sauf d’un coup qu’il a reçu juste dans la partie basse du dos et à cause duquel il a encore des difficultés en marchant.
Cecilia a été attrapée violemment du bras, mais elle a pu s’en échapper et entrer à la maison.
Dedans, dans quelques coins plutôt isolés, il y avait des personnes âgées en train de prier en silence. Ils regardaient ce qui se passait avec douleur mais, je dirais, avec la résignation de l’habitude. A un certain moment, une femme qui s’est heurtée avec moi et qui s’est rendu compte qu’elle était en présence d’un témoin, n’a pas raté l’occasion pour se défouler ; elle m’a prise par les bras et m’a crié désespérée: « je veux sortir, mais ils ne me laissent pas! Les policiers marocains sont des lâches, ils lancent des pierres ! » . Avec les pierres, ils ont cassé toutes les fenêtres. Entre tous, on a réussi, petit à petit, à bloquer les fenêtres avec des tables ou avec ce qu’on avait entre les mains pour éviter que ces armes de jet, qui avaient déjà blessé l’un d’eux dans la lèvre, entrent dedans.
On ne sait pas ce qui serait arrivé si la police aurait réussi à entrer à ce moment. La porte était en fer, et entre les dizaines de personnes qui bloquaient les escaliers, je crois qu’ils ont pu les détenir. Cependant, la situation était hors de contrôle, et dedans, il y avait des personnes âgées et des enfants. Les Sahraouis disent que parfois ils entrent, cassent toutes les lampes et attaquent tout ce qui bouge. C’est Peut-être ce qui nous a empêché d’être présents.
Après une demie heure, je suis montée dans la chambre où se trouvaient quelques-uns de ceux qui n’avaient pas intervenus, et j’ai écouté les cris désespérés de Cecilia appelant les espagnols. Jusqu’à deux heures après, nous n’avions pas su ce qui était arrivé à Lorena et José. Après un bout de temps, Javier est monté en se plaignant de douleurs.
Étant les fenêtres murées, sans aucun brin d’air –dehors il fait frais- et avec toutes ces personnes prises à parts égales par la terreur et la colère, la température et l’humidité ont atteints des niveaux insupportables. De cette chambre au troisième étage, nous continuions à entendre des cris provenant du premier étage, bien que de plus en plus espacés. Quand quelques activistes de la délégation sont montés dans l’une des chambres, drapeaux en mains, ils ont commencé avec les chants habituels, clamant un Sahara libre, à tue-tête et sautant tous au même rythme, peu à peu ils se sont exaltés, traitant, j’imagine de récupérer les forces, et de se rappeler soi-même la raison de tant d’horreur. Bien que là, personne ne se permet un moment de faiblesse vis-à-vis du compromis avec la cause. « Pour mon pays, tout ce qu’il faut, je donnerai même ma vie, j’e n’ai pas peur » Ils s’expriment tous ainsi.
J’ai compté sept enfants de moins de trois ans. Il y avait beaucoup d’autres d’entre 4 et 15 ans. Les gens sont assis serrés dans les canapés et par terre. De l’endroit où je me trouve, je vois se rapprocher un groupe qui, tout en criant, portait une petite fille. Ils voulaient entrebâiller une fenêtre pour qu’elle puisse prendre de l’air. Elle suait, avec un visage de terreur, et elle avait des difficultés pour respirer. Elle a mal à la poitrine. Elle souffre une crise d’anxiété. J’en ai vu deux autres dans la même situation.
Quand quelqu’un tente d’abandonner la maison, il revient rouillé de coups. Le mardi, j’ai visité plusieurs personnes qui ont été battues, dans la rue, pour avoir tenter de s’approcher de la maison. Les marques des coups sont impressionnantes. Et s’ils ne se sont pas dirigés à l’hôpital, c’est parce que là-bas “on nous aurait battus de nouveau” m’expliquent-ils. Ils utilisent des remèdes de bonne femme et quelques médicaments espagnols.
Jusqu’à 1h30 il y a eu des moments de grandes tensions et même de débauches. Il y a ceux qui essayent de faire un petit somme ; la nuit, ils le savent, sera longue. Mais à cette heure, quelqu’un arrive avec un papier. Il a un numéro de téléphone annoté et nous dit que nous devions appeler et que c’est un numéro que lui avait donner les autres espagnols. ils discutent entre eux, certains pensent que c’est un piège de la police, mais peu après, une autre personne apporte un nouveau numéro et insiste pour que nous nous penchions par la fenêtre car Lorena et José sont en bas. Effectivement, Cecilia et moi les voyons, accompagnés d’un homme, qui s’est avéré être le Dépositaire à Layoun qui, bien qu’il ne jouit pas de compétences diplomatiques, s’occupe d’aider les espagnols quand l’ambassade le lui demande. Lorena l’a contacté à travers le service d’urgence consulaire. Il est venu nous sortir de là. Lorena insiste que nous devrions compter sur lui, mais elle ne peut pas s’expliquer car elle est entourée par la police qui assiège la maison. Le dépositaire nous dit que si nous n’abandonnons pas les lieux, lui, sera témoin de notre décision de rester de notre propre gré, et à partir de ce moment, il ne pourra pas garantir notre sécurité.
Bien qu’en réalité, personne ne peut parler clairement en ce moment.
Dedans, certains nous demandent de rester, parce que si non, ceci peut se convertir en « un bain de sang », d’autres comprennent que c’est à nous de décider. Pendant deux heures, nous étions douteux, nous changions d’idée à chaque moment. Javier non. Il est décidé à rester avec eux jusqu’à la fin. C’est évident que si nous sommes dedans, la police ne va pas entrer. De l’extérieur, on nous dit que celle-ci les a avertis qu’elle le fera comme même. La présence du fonctionnaire espagnol, qui se présente pour la première fois sur les lieux dans ce type de situations, augmente l’agacement des agents.
Nous ne sommes pas là pour nous convertir en martyrs, mais pour voir, de nos propres yeux, et pouvoir raconter la terrible violation des droits de l’homme que subit le peuple sahraoui. Mes compagnons, en tant que membres de l’Association canarienne de solidarité avec le peuple sahraoui, et moi en tant que journaliste. Il s’agit maintenant de décider entre deux options: oublier le travail et à titre personnel, miser, avec ta présence et ton passeport, sur la sauvegarde de l’intégrité d’un groupe d’être humains et être disposer à en souffrir avec eux les conséquences, ou, une deuxième: faire confiance aux personnes qui, d’en bas, sans pouvoir donner une bonne explication, nous recommandent avec fermeté que nous devons abandonner la maison.
Nous n’avions pas d’outils pour savoir avec exactitude ce qui allait se passer. Oui, effectivement, nous pouvions ou bien éviter un massacre, ou bien empirer les choses. Ou bien ceci n’allait pas avoir lieu, de toute manière, car cela nous coûtait d’imaginer que, si la police a gardé le contrôle jusqu’à ce moment, et qu’ils n’avaient pas attaqué la maison parce que nous y trouvions, elle le fera juste à notre sortie des lieux. Un fonctionnaire espagnol est témoin de la situation, si à l’aube, ils attaquent le lieu, il serait –pas facile d’imaginer, si non évident- que cela avait eu lieu. Ils ont, malheureusement, plusieurs occasions pour le faire en cachette du monde.
Heureusement, ce fut ainsi. Après notre départ, au alentour de quatre heures du matin, ils ont maintenu le siège durant des heures. Jusqu`à ce qu’ils ont décidé de laisser sortir les gens en groupes de 10. Ils ont détenus quatre personnes. Mais il n’y a pas eu de massacre ce jour-là.
Dehors, il y avait quelqu’un qui attendait avec le drapeau du Maroc et avant que je ne me rende compte, étourdie par l’obscurité de l’extérieur, on m’avait photographiée devant celui-ci. Cecilia a su l’esquiver et a évité qu’on capte cette image.
Une fois ensemble, une trentaine d’agents ont entouré le véhicule du fonctionnaire espagnol, où nous étions assis, et nous ont réclamé les appareils photo. Au début, nous avons refusé. Lorena exigeait un ordre judiciaire, car ceci allait, évidemment, contre tous nos droits. Mais eux, ils ne pensaient pas nous laisser nous en aller avec les appareils. Le dépositaire aussi insistait pour que nous les cédions et qu’ils nous seraient restitués le lendemain, évidemment, sans les images qui ne soient pas de leur agrément. Nous avons accepté car le siège était important; nous avons même accédé à ce qu’on fouille nos sacs. En réalité, le matériel était sauf.
Et nous sommes partis acheter des cigarettes aux fumeurs, à reposer les nerfs. Mais eux, ils sont restés là-bas. Nous sommes revenus les voir la nuit d’après, chez un autre ami, ils savaient que la presse espagnole s’est faite l’écho des évènements, et ils nous l’ont remercié. Réellement, c’est la seule chose qu’ils veulent: Qu’on ne regarde pas ailleurs. Les Sahraouis ne jouissent pas d’une citoyenneté pleine. Ils n’ont pas le droit de travailler ni d’aller à l’université. Ils n’ont pas le droit non plus d’accéder au cinéma ou au théâtre. A tout moment, un policier peut les réprimander dans la rue. Bien sûr, toute manifestation, de tout t
ype, en faveur de l’indépendance du Sahara, est payée par des tortures, des disparitions et des années de prison. Ils ont tous un membre de la famille qui a des blessures irréversibles, ou qu’ils ne savent rien de lui depuis des années ou qui a perdu la raison en prison. C’est ce qu’ils connaissent depuis leurs naissances. Une forme d’apartheid, ni plus ni moins. Leurs bourreaux sont leurs juges.
ype, en faveur de l’indépendance du Sahara, est payée par des tortures, des disparitions et des années de prison. Ils ont tous un membre de la famille qui a des blessures irréversibles, ou qu’ils ne savent rien de lui depuis des années ou qui a perdu la raison en prison. C’est ce qu’ils connaissent depuis leurs naissances. Une forme d’apartheid, ni plus ni moins. Leurs bourreaux sont leurs juges.
Comme ils disent eux mêmes, pratiquement toute la communauté internationale reconnaît que le Sahara occidental n’appartient pas au Maroc.
Leur compromis est inébranlable. Ils ont encore l’espoir que la société civile obligera les gouvernements étrangers à chercher une solution. Pour qu’ils cessent de faire semblant d’ignorer ce qui se passe là-bas; moi aussi je le raconte pour ça. C’est exactement ce qui est arrivé cette nuit. Au singulier, dans mon cas. Mais c’est leur vie. Ou leur lutte pour une vie
GuinguinBali, 21/7/2010
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