Nous embrasserons la terre sur laquelle vous avez marché !

Par amar.khelifa
Le hasard étant pour moi une notion trop dangereuse, je suis donc parfaitement averti de la nécessité de l’extraire définitivement de l’histoire des luttes des peuples, ce domaine où même la langue enfile la tenue de combat, prend les armes et tire dans la foule ou à bout portant. Sans jeu de mots, si l’histoire du hasard constitue, à mes yeux, une suite interminable de leurres linguistiques destinés à humaniser la plus immonde et la plus abjecte des formes de domination qu’est l’occupation, le hasard de l’histoire ne peut être qu’une vulgaire calomnie d’intellectuel. Selon cette vision, tout acte, banal soit-il, comporte une grande part de rationnel que la majorité des historiens français renie quand il s’agit d’évoquer la guerre d’Algérie. En essayant de mettre en ordre les idées et leur mise en forme, avant la rédaction de cet édito consacré aux glorieux moudjahidine, ces faiseurs de miracles, j’ai eu entre les mains un numéro de la revue française, l’Express du 14 mars 2002, un numéro portant le titre « Algérie, 172 ans de drames et de passions ». A travers les propos exprimés par Annie Rey-Goldzeiguer, présentée comme étant « une historienne parmi les meilleurs spécialistes de la période », tout Algérien nourri de la sève de Novembre peut distinguer facilement les pièges et les traquenards tissés par des mots à double tranchant. Ce que cette historienne appelle sournoisement « l’aventure franco-algérienne » représente en vérité le soulèvement de tout un peuple déterminé à en finir avec une colonisation, la plus destructrice qu’a connue l’humanité, dirigé par des moudjahidine qui avaient su élever le sens du sacrifice à des niveaux jamais égalés. Ces hommes promus par la logique de la résistance et inspirés des valeurs sûres de l’être humain ont écrit les pages glorieuses de l’histoire contemporaine de l’Algérie, à une époque où il était vraiment périlleux de s’embarquer dans le mouvement libérateur. Nous devons tout à ces martyrs et à ces icônes vivantes de la lutte de libération nationale dont certains avaient carrément tourné le dos à une vie aisée et sans problèmes majeurs pour se consacrer définitivement aux idéaux de la liberté. Ils avaient tout abandonné, femme, enfants et aisance matérielle, pour se donner à fond à une cause juste devant laquelle toutes les tentations s’étaient effacées. Ils ont dit non à une existence dans l’ombre d’une puissance coloniale arrogante. Ils ont fini par adresser un « bras d’honneur » à la « paix des braves » et aux autres offres que leur faisait une France ébranlée par le courage et l’audace des hommes de Novembre, ces géants sortis des douars des Aurès, du Dahra, de l’Ouarsenis, du Djurdjura, des Babors et des monts de Tlemcen qui avaient choisi en toute conscience de « mourir vertical ». Ils ont arraché l’indépendance à la troisième puissance militaire de l’époque, en administrant à ses généraux, à ses services spéciaux et à ses paras, une leçon de bravoure, d’engagement et de génie à faire étudier dans toutes les écoles de formation militaire. Les générations de l’indépendance sont aujourd’hui tout à fait conscientes de l’immense dette qu’elles ont envers ces héros authentiques aux pieds bien enracinés dans cette terre pour laquelle ils ont consenti tous les sacrifices, et dont la tête a atteint les étoiles. Notre reconnaissance à ces hommes doit être à la hauteur de leur énorme sacrifice et nous en sommes conscients. Après avoir libéré le pays de la barbarie coloniale, la majorité d’entre eux a refusé magistralement de s’abandonner à un repos bien mérité. Ils se sont engagés corps et âmes dans la bataille de l’édification d’un pays laissé en décombres par les concepteurs de la terre brûlée et leurs pyromanes de service. C’est une question de tempérament ; ces hommes sont nés pour écrire l’Histoire et prendre en mains le destin de leur pays. Trente ans après l’indépendance, ce sont encore eux qui se mobilisent pour éteindre le feu d’une « fitna » allumée par des revanchards et leurs alliés. Et c’est bel et bien grâce à leur intervention salvatrice que l’Algérie est restée debout face à un odieux complot planifié par des stratèges de la déstabilisation et exécuté par des hordes de sanguinaires sans foi ni loi. Nous leur devons plus que notre vie. Nous leur devons notre dignité et nos espoirs. Nous nous prosternerons avec une immense joie afin d’embrasser le sol sur lequel ils ont marché en les implorant de ne pas nous en vouloir, si nous n’avons pas encore atteint la grandeur de nos pères et grands-pères.
El Djazair, août 2010 
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