À l’heure où commence, à New York, un 4e round de négociations entre le Maroc et le Front Polisario sur l’avenir du Sahara occidental, l’incompréhension règne entre les deux. parties. L’hostilité aussi.
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Rachid Kerrou
Le 35e anniversaire de la Marche verte – l’annexion unilatérale de l’ancien Sahara espagnol par le Maroc en novembre 1975 – était sans doute le moment propice, pour le peuple sahraoui, pour essayer de faire émerger ses revendications autonomistes. La communauté internationale se montrant bien plus sensible, dans cette région, à la menace «Al-Qaida au Maghreb» qu’aux velléités indépendantistes d’un peuple qui ne sait plus vraiment à quel marabout se vouer.
«Dans l’état actuel des choses, les Sahraouis n’espèrent plus grand-chose. L’attitude des autorités marocaines se veut sans concessions et les violents événements du 8 novembre dernier en sont l’illustration», témoigne Gilles Bechet, journaliste belge indépendant et qui se trouvait dans le camp de réfugiés d’Aucert, près de Tindouf, en territoire algérien, au moment de l’intervention marocaine à El-Ayoun – l’une des principales villes sahraouies sous occupation marocaine – qui s’est soldée par plusieurs morts et des dizaines de blessés.
C’est en effet ce coup de force sanglant – dénoncé entre autres par l’ONG Human Rights Watch –, dans le camp d’Agdim Izik, qui a permis de lever le voile sur le niveau de tension extrême régnant au sein d’une population sahraouie persuadée d’avoir «épuisé ses recours légaux puisque l’ONU, l’Unité africaine comme la Ligue arabe reconnaissent son droit à l’autodétermination et que malgré cela, rien ne bouge», observe Gilles Bechet. Ce dernier ne cache d’ailleurs pas sa crainte de voir redémarrer un conflit armé mis en veille par un cessez-le-feu plutôt bien respecté depuis 1991.
Mais au-delà des communiqués des deux parties qui se rejettent mutuellement la responsabilité des violences, c’est à une véritable impasse politico-identitaire que sont confrontés Marocains et Sahraouis.
Le temps passe, en effet, mais les données demeurent les mêmes depuis 1975.
Le Maroc – soutenu par la France et les États-Unis, malgré des discours officiels qui se veulent plus «équilibrés» – n’entend pas remettre en cause un acquis dont les bienfaits ne se mesurent pas seulement en kilomètres carrés (270.000 tout de même) ni en tonnes de phosphates, dont le sous-sol sahraoui regorge: «La marocanité du Sahara occidental, c’est le ciment entre la couronne, l’armée et le peuple marocain», commente Abdelrahim B., universitaire nancéien proche du parti socialiste marocain (USFP). «Le consensus autour de l’intégrité territoriale marocaine, qui comprend naturellement le Sahara occidental, fait l’unanimité au Maroc. Ça ne relève pas de la politique étrangère ou de l’économie, mais de l’identité nationale», poursuit l’étudiant en mathématiques qui, «bien que de gauche et pas franchement fan du régime de Mohamed VI», n’est guère favorable à une indépendance totale du Sahara occidental.
Rares sont en effet les voix marocaines qui osent s’élever contre une ligne politique dont les critiques sont immanquablement assimilées à de la «haute trahison».
En font d’ailleurs actuellement les frais près de 140 opposants sahraouis, de nationalité marocaine, emprisonnés dans les geôles du royaume et dont les proches, en Algérie ou dans les territoires occupés, ont le plus grand mal à obtenir des nouvelles. «D’ailleurs, lorsqu’ils appellent les membres de leur famille restés au Sahara occidental, ils esquivent systématiquement les questions sensibles de peur d’être écoutés et inquiétés par la police ou l’armée marocaines», relate Gilles Bechet, qui a pu sonder une frustration qui va crescendo: «Les Sahraouis sont très malheureux de dépendre de l’aide internationale. Parfois, ils songent à migrer pour se former ou tout simplement gagner un peu d’argent, mais un départ pourrait être assimilé à un abandon de leur cause et cela leur est insupportable.
Il convient aussi de démentir les allégations marocaines selon lesquelles les camps situés en Algérie seraient des prisons. Ils sont entièrement gérés et contrôlé par l’administration sahraouie.»
C’est donc, pour la plupart, dans ses villages désertiques – «Les Sahraouis n’aiment pas le terme “camps de réfugiés”» – que la population sahraouie s’organise et survit depuis maintenant trente-cinq ans. «À Aucert, on tente de scolariser tous les enfants et certains d’entre eux poursuivent leurs études à l’étranger, mais les conditions sanitaires sont très difficiles et le nombre d’individus frappés d’anémie notamment [NDLR: anomalies sanguines souvent dues à un manque de fer] est considérable», ajoute Gilles Bechet.
Et ce ne sont sans doute pas les propos du président tunisien Ben Ali, livrés par Wikileaks la semaine dernière et relayés par Le Monde, qui mettront du baume au cœur des Sahraouis, puisque le raïs de Tunis, qui ne souhaitait vraisemblablement pas que ses déclarations deviennent publiques, y dénonce sans nuances le soutien algérien au Front Polisario, affirmant que «l’Algérie doit comprendre que le Sahara occidental ne sera jamais indépendant»… conformément au plan de paix de son ami Mohamed VI, qui exclut évidemment cette option.
Des propos que les dirigeants algériens sauront apprécier mais qui trahissent une fois de plus l’opinion largement répandue que les intérêts sahraouis sont dictés par Alger.
Un véritable dilemme pour les responsables sahraouis, contraints de ménager leur principal allié tout en prouvant, à l’ensemble de la communauté internationale, que leur aspiration à l’indépendance relève du seul droit inaliénable des peuples à disposer d’eux-mêmes, conformément à la Charte des Nations unies.
«C’est là tout le problème, regrette Gilles Bechet, les Sahraouis ont la désespérante impression que leur cause n’intéresse personne.»
Le Jeudi.lu, 17/12/2010
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