Maroc – La monarchie bénéficie de deux soupapes de sécurité : le Sahara et l’immigration

Youssef Courbage : « Les sociétés arabes sont sorties de leur repli »

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ENTRETIEN – Youssef Courbage, démographe, coauteur avec Emmanuel Todd d’un essai sur l’évolution des sociétés arabes (Le rendez-vous des civilisations. Seuil), analyse les ressorts profonds des révoltes actuelles.

Avez-vous été surpris par ces mouvements de révolte dans le monde arabe?

Youssef Courbage : J’ai été surpris par le fait que cela se passe maintenant et que ce soit la Tunisie qui mette le feu aux poudres. Néanmoins, cela devait arriver. D’après les analyses que j’ai développées avec Emmanuel Todd, le processus qui s’est déroulé en Europe à partir du XVIIe siècle puis qui s’est généralisé au monde entier – la Chine de 1949, la Russie de 1905 et de 1917 – ne pouvait épargner un monde arabe qui connaît, depuis 30- 40 ans, exactement les mêmes transfor­mations démographiques, culturelles et anthropologiques que l’Europe à partir du régime de Cromwell, en Angleterre, puis la révolution française de 1789. Il n’y a pas de raison que le mon­de arabe soit une exception. Penser le contraire, c’est être essentialiste, c’est-à-dire estimer qu’il y a une nature arabe ou musulmane rétive aux progrès de l’humanité. Ce n’est pas mon cas.

Quelles sont ces transformations ?

Une progression de l’éducation, pour les garçons puis pour les filles. Vous avez aujourd’hui une majorité de jeunes alphabétisés, sachant lire et écrire. Découle, notamment, de cette éducation, un contrôle de la na­talité par l’utilisation des moyens de contraception, et donc une baisse du taux de fécondité, tombé à une moyenne de deux enfants par femme, dans les pays arabes les plus avancés, au Maghreb. On a pu constater aussi une baisse de l’endogamie avec, en Tunisie par exemple, une chute des mariages entre cousins germains.

À partir de quand peut-on dater le début de ces transformations ?

À l’exception des Libanais chrétiens qui ont bénéficié de la présence des missions chrétiennes et de leurs universités dès le XIXe siècle, le monde arabe a globalement commencé à basculer, c’est-à-dire à avoir une élévation du taux d’instruction et une baisse de la féc­ondité, à partir des années 1960 pour les pays les plus avancés.

Quel a été l’élément déclencheur de ces transformations ?

C’est une volonté politique. Pour certains pays comme la Tunisie sous le régime de Bourguiba, il y avait une volonté de modernisation, d’accès à l’enseignement aussi bien pour les garçons que pour les filles. Au Maroc c’était le cas des premiers gouvernements de l’indépendance qui avaient fait de l’éducation leur priorité, avant qu’on y mette un bémol parce qu’elle pouvait remettre en question les hiérarchies politiques. Jusqu’à l’avènement de Mohammed VI, les hautes instances du pouvoir ont parfois bloqué l’avancée de l’éducation. Ce qui explique aujourd’hui le retard important du Maroc en matière de scolarisation, surtout des filles et dans les milieux ruraux. Ensuite, cela dépend aussi des moyens dont dispose chaque pays. Les Etats du golfe persique, dont l’Arabie saoudite, grâce à leurs gros revenus pétroliers, peuvent se permettre un enseignement non seulement généralisé mais de qualité.

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