Par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 29 juillet 2010
Alger a fini par réagir, diplomatiquement, au raid franco-mauritanien au nord du Mali. Une réaction qui a tardé afin, semble-t-il, de ne pas trop enfoncer le gouvernement français lancé dans une opération aléatoire et très risquée.
L’effort accompli par Paris en direction de l’opinion française pour la convaincre que l’otage français était mort depuis plusieurs semaines, démontre un embarras évident. Alger a sans doute voulu éviter de rajouter à l’embarras des décideurs parisiens. Car, en dépit d’un unanimisme national, assez surprenant dans une démocratie, l’opération française, qui n’est pas un succès militaire, est bel et bien un fiasco politique. En dramatisant le risque représenté par l’Aqmi – qui existe mais dont la présence ne fait pas du Sahel un Tora Bora délocalisé -, on ne contribue pas à clarifier la perception des réalités régionales.
Dans ce raid au but imprécis et aux impacts incertains, faut-il voir un effet de l’évolution de la politique française vers une pure gestion de communication ? La France a des intérêts économiques dans la région, cela n’est pas contestable. Mais en d’autres temps, la préservation de ces intérêts aurait fait davantage réfléchir avant d’envisager des coups d’éclat militaro-médiatiques.
Les Etats de la région «coordonnent» mal, c’est un fait, mais un «coordinateur» extérieur n’est pas de nature à améliorer la situation, bien au contraire. Le Mali, traité de facto comme un Etat suspect de coopérer en sous-main avec l’Aqmi, n’a pas les moyens de trop marquer son amertume. C’est Bernard Kouchner qui s’est chargé de transmettre le «souhait» du président malien de voir à l’avenir plus de «coordination» avec les pays de la région.
Le désappointement malien s’est donc exprimé officieusement vis-à-vis de ce qu’il faut bien appeler une marque de défiance. Le droit de suite invoqué par les Mauritaniens ne recoupe pas la réalité d’une frappe préemptive squattée par les militaires français. Nul n’ignore que Paris exerce depuis longtemps une influence prépondérante sur les Etats de la région. Mais pendant longtemps, cette influence s’exerçait dans le respect des formes, afin d’éviter d’apparaître de manière préjudiciable. C’est le contraire qui se produit aujourd’hui, alors que, paradoxalement, le discours officiel évoque la rupture avec la «Françafrique». Ces intrusions externes, surtout quand elles se veulent aussi musclées que celles des Américains, produisent le résultat inverse de celui escompté.
Il existe un problème sécuritaire dans le Sahel et il ne date pas des dernières années avec l’arrivée des djihadistes, loin d’être les plus importants acteurs dans cette zone. La déstabilisation au Sahel n’est pas seulement le résultat du transfert vers cette région de quelques dizaines de djihadistes ; elle trouve ses origines dans le désespoir de populations abandonnées et d’une jeunesse sans avenir. Les exclus forment une armée de réserve aisément mobilisable pour toutes sortes d’aventures «politiques», quand ce n’est pas pour des agissements purement criminels.
Les réactions à l’exclusion ont, jusque-là, alimenté les trafiquants, les contrebandiers et les rebellions targuies ; elles peuvent sans difficulté être exploitées par les djihadistes. Si la coordination des Etats est un préalable, la sécurité de l’immense territoire sahélien requiert impérativement la coopération des populations locales.
«Il revient aux pays de la région de s’occuper de la sécurité», a déclaré Mourad Medelci, en entrouvrant cependant la porte à l’intervention de pays étrangers «seulement quand cela est nécessaire». La formulation est ambiguë. Car il revient effectivement aux seuls pays concernés de gérer la sécurité de la région et celle-ci ne se limite pas à des opérations militaro-policières. Il est impérieux de s’attaquer à la misère et à l’abandon, racines du mal qui ronge la zone sahélienne depuis les indépendances. Faute de quoi, l’Aqmi, les trafiquants et les brigands auront encore un bel avenir.
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