Bouteflika : Je ne tendrai pas l’autre joue pour être frappé

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Bouteflika : « Je ne suis pas Jésus Christ et je ne tendrai pas l’autre joue pour être frappé »

On savait que l’Algérie et le Maroc divergent fondamentalement sur la question du Sahara occidental, mais on comprend aujourd’hui, à la lumière des câbles diplomatiques  américains révélés par Wilileaks, que la normalisation des relations entre les deux pays ne pourra jamais aboutir tant que le conflit qui oppose depuis 1975 le Maroc au Sahara occidental n’est pas réglé.  Cela transparait clairement et nettement dans les propos tenus par le chef de l’Etat algérien à des diplomates américains lors d’une audience accordée en 2005 à Alger. Compte rendu d’un câble classé confidentiel en date du 19 août 2005.

L’audience d’une durée de deux heures s’est déroulée le 18 août 2005 au siège de la présidence. Sont présents l’ambassadeur US, Richard Erdman, le commandant suprême des forces alliés, le général James Jones, le sénateur Richard Lugar, ainsi que des membres de la délégation américaine. Coté algérien, autour de Bouteflika, il y a Larbi Belkheir, directeur du cabinet de la présidence, Gaid Salah, chef  d’état major de l’amée, Bensalah, président du Sénat et Abdelkader Messahel, ministre délégué aux affaires Africaines.

Lugar exprime sa satisfaction pour les efforts de Bouteflika à créer un nouvel élan pour résoudre le conflit du Sahara occidental conflit. Bouteflika rappelle son engagement auprès de Bush en 2001 pour soutenir le plan de James Baker, mais que ce dernier a laissé un vide après son départ. Bouteflika assure que le Sahara occidental ne sera pas un «casus belli » pour l’Algérie, mais déclare  que le Polisario a le droit de reprendre les armes de reprendre les combats « sur son propre territoire ». Le président algérien rappelle que l’Algérie accepterait les résultats du referendum, mais ne serait pas partie prenante des négociations à la place des Sahraouis.

Bouteflika souligne que le Maroc et le Polisario ont signé, sous l’égide de James Baker,  un accord pour le règlement du conflit à l’époque  ( 1997 ) où lui n’était pas dans les affaires. A l’époque, dit-il, il avait estimé que cet accord était vicié parce que l’on n’avait pas fixé une date limite pour sa mise en œuvre. Il affirme que s’il était à la place des Sahraouis, il l’aurait signé. Toutefois, il insiste sur le droit des Sahraouis de reprendre les armes, six mois, ou une année, si les termes de cet accord n’étaient mis en œuvre.

Le président algérien révèle à ses hôtes qu’à son arrivée au pouvoir en avril 1999, sa position sur le Sahara occidental divergeait avec celle de l’institution militaire et des services de renseignements. Bouteflika affirme que sa position consiste à dire que le Sahara ne sera jamais un casus belli pour l’Algérie. Cela laisse suppose que l’armée algérienne était prête à engager un coup de force. ? Le memo de l’ambassade dit ceci : « Le Polisario ne peut pas engager l’Algérie dans une guerre (contre le Maroc, NDLR), insiste-t-il. Mais s’il décide de se battre sur leur ‘propre territoire’, ceci ne pourrait qu’être leur décision. Si tel était le cas, il ne peut pas faire la guerre au Sahara occidental et ensuite servir de l’Algérie comme base arrière. »

Bouteflika affirme à ses interlocuteurs qu’il avait exhorté le Maroc à se conformer à la légalité internationale, c’est-à-dire au Nations Unies, pour le règlement de l’affaire du Sahara.  Quand l’Irak a envahi le Koweït, la communauté internationale s’est mobilisée, mais le Sahara occidental a été considéré comme un ‘simple question tribale’, explique le président.  Il critique ensuite l’Espagne et estime que les socialistes espagnols n’ont pas été honnêtes à l’égard des Sahraouis. Bouteflika révèle a ses interlocuteurs américains que les autorités espagnoles ont approché les Algériens pour entamer des négociations avec la France, le Maroc et l’Espagne pour résoudre le conflit, mais l’ Algérie, explique-t-il, ne réclame pas un quelconque droit sur le Sahara et ne peut pas négocier à la place des Sahraouis.

Le Maroc, dit Bouteflika, voulait améliorer les relations avec son voisin, mais l’Algérie n’y répondrait pas à ses demandes jusqu’à ce que le Maroc ait accepté de revenir au cadre onusien.  En clair, les relations entre l’Algérie et le Maroc ne pourraient se normaliser que le jour où le conflit serait définitivement réglé.

Selon Bouteflika, les relations bilatérales avec Le Maroc ont commencé à prendre de l’ampleur au début de l’année 2005. Le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia était prêt à se rendre à Rabat à la tête d’une grande délégation. De nombreux accords bilatéraux avec le Maroc, datant des années 1960, devaient être examinés au cours de cette visite, la première du genre depuis la fermeture des frontières en 1994.  Les Marocains avaient donc informé Bouteflika que le roi MohammedVI  allait recevoir en audience Ouyahia et sa délégation.

Mais voilà, les Marocains changent d’avis et affirment que ‘les circonstances n’étaient pas favorable pour la visite’ qui avait été préparée pendant des mois.  En effet, en juin 2005, le gouvernement marocain avait brusquement annoncé l’annulation de cette visite jugée « inopportune ».  Commentaire du président : il n’accepte pas « des relations diplomatiques conduites d’une manière aussi irresponsable ».

Le Maroc et l’Algérie seraient toujours voisins, dit Bouteflika, aucun des deux pays n’irait ailleurs, et ils doivent faire avec.  Toutefois, il est inacceptable de traiter des problèmes graves ‘de manière infantile.’ Bouteflika affirme que, dans ses discussions avec les présidents Bush et Chirac, entre autres, on lui a recommandé de prendre en considération le fait que le roi soit jeune et que lui est un diplomate chevronné. Mais, Bouteflika dit aux Américains : ‘Je ne suis pas Jésus-Christ’ et je ne tendrai pas l’autre joue pour être frappé. Le président fais allusion à la recommandation faite par Jésus à ses disciples : « celui qui te frappe sur la joue gauche, tourne lui aussi la droite » (L’évangile selon Mathieu 3 :38).

Le président rappelle ensuite d’il est né au Maroc et qu’il connait très bien ce pays. Il affirme que le royaume souhaite et a intérêt à la réouverture des frontières d’autant plus que le Nord-est du Maroc dépend du commerce avec l’Oranie, en Algérie. Bouteflika affirme que même avec une frontière fermée, le commerce de la contrebande rapporte trois milliards d’euros par an au Maroc. Les deux pays ont des intérêts communs dans le cadre d’une relation améliorée, mais si les Marocains, dit Bouteflika, veulent des discussions sur la normalisation des relations entre les deux pays, ils doivent être sérieux dans la manière avec laquelle il traite l’Algérie.

Bouteflika souligne que la question du Sahara occidentale n’est pas un nouveau dossier entre les mains de l’ONU. Il rappelle que James Baker avait accomplit un bon travail et que les Nations Unis possèdent une liste complète des électeurs. L’Algérie, dit-il, acceptera les résultats d’un référendum mais cela ne veut pas dire qu’elle ‘fermerait les yeux sur les astuces marocaines’.

La question du Sahara occidental a été inscrite à l’ordre du jour depuis les années 1970, affirme Bouteflika, au même temps queBrunei, Suriname et Belize qui sont tous devenus indépendants. L’Algérie a appuyé le droit international mais ne serait pas un partenaire de négociations sur le Sahara occidental avec la France, l’Espagne, le Maroc ou les Etats-Unis, mais défendrait le droit à l’autodétermination. 

DNA, 6/12/20101 

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