Note de Mohamed Cherkaoui sur la régionalisation et le développement économique

Note sur la régionalisation et le développement économique

Je remercie tout d’abord notre collègue M. Zriouli d’avoir bien voulu mettre à notre disposition le résumé de la recherche faite par un bureau d’étude suisse, Bak Basel Economics, intitulée “De la subsidiarité à la réussite ” qui appelle de ma part quelques remarques et surtout des suggestions. Le texte me semble intéressant mais pose de sérieux problèmes. Loin de moi l’idée de vouloir défendre une thèse plutôt que son contraire ; je voudrais seulement profiter de cette occasion pour clarifier quelques points.

Admettons l’opérationnalisation proposée par les auteurs de ce texte des deux concepts de régionalisation et de développement économique. Supposons en outre que l’utilisation de cette technique de régression soit la plus adéquate. Il reste que pour partager leur enthousiasme heureux et affirmer, comme ils le font, que la régionalisation impacte le développement économique, il eût fallu prendre quelques précautions méthodologiques essentielles.

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1/ Il aurait fallu contrôler la validité du modèle de régression construit par la prise en considération simultanée d’autres variables intermédiaires entre régionalisation et développement économique. Il suffit en effet qu’existe une variable de contrôle qui leur soit conjointement liée pour que la corrélation disparaisse. C’est le problème connu sous l’expression de corrélation fallacieuse.

Considérons l’exemple suivant pour clarifier les idées. Je peux montrer qu’il existe une corrélation entre le sexe des conducteurs de véhicules et le nombre d’accidents de la route, en d’autres termes que, proportionnellement, les hommes sont à l’origine d’un plus grand nombre d’accidents que les femmes. Il n’est d’ailleurs guère difficile de trouver de nombreuses interprétations de ce résultat apparemment évident. Or, il suffit que l’on prenne en considération dans l’analyse la distance annuelle parcourue par les deux types de conducteurs pour que la corrélation disparaisse.

2/ Il est possible que les auteurs de cette étude suisse, commandée par des instances européennes qui prônent une doctrine de régionalisation, n’aient pas pu disposer de données chronologiques sur les deux ensembles de variables qui les intéressent et qu’ils aient été amenés à conduire une étude transversale. Or il eût été préférable de mener une étude longitudinale pour lever de nombreux doutes sur la relation de dépendance entre les variables qui, rappelons-le, sont indicées par le temps.

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Pour cette raison, je ne suis guère étonné que le texte de Bak Basel Economics contienne des résultats parfois contradictoires comme ceux des figures 3 et 4 (6 et 7 dans la deuxième partie du rapport complet en anglais que l’on peut consulter et télécharger à partir du site de Bak Basel Economics). Au reste, les auteurs du rapport s’en rendent eux-mêmes compte et proposent de prendre en compte l’histoire spécifique de chaque pays pour en rendre raison.

3/ Telles qu’elles sont parfois conduites, c’est le cas de la présente étude, les évaluations de politiques publiques restent souvent au niveau macroscopique et ne se donnent pas la peine de s’interroger sur le niveau micrologique. On analyse les relations entre des macrophénomènes tels la régionalisation et le développement et l’on pense pouvoir affirmer, au terme de l’étude, que la politique publique a réussi ou échoué, partiellement ou totalement.

Or, on oublie que toute décision concerne des acteurs – agents de l’administration, élus, citoyens – dont les réponses à de tels programmes ne peuvent être sérieusement écartées. Il est logique de les intégrer dans tout protocole d’évaluation de ces politiques à moins de penser qu’ils ne sont que des zombis ou des chiens de Pavlov dépourvus d’intérêts matériels et symboliques propres, de liberté et de rationalité. Je ne voudrai pas vous assommer avec les problèmes méthodologiques des transitions entre le macro et le micro et un retour au macro qui sont d’une importance capitale. Mais je tenais à les rappeler, fût-ce succinctement.

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Cela me conduit à penser qu’il serait nécessaire de discuter d’abord, de suggérer ensuite dans le rapport final l’institutionnalisation d’une instance d’évaluation avant même l’implantation de la régionalisation qui sera proposée par Sa Majesté. Elle devrait accompagner les progrès de la politique publique, les mesurer et éventuellement faire des propositions pour rectifier les erreurs inévitables. Il serait souhaitable d’éviter les problèmes que d’autres agences d’évaluation nationales rencontrent et qu’elles ne sont parfois pas en mesure de résoudre.

Mais elle pourrait surtout, me semble-t-il, aider à construire des protocoles expérimentaux. Je suis de l’avis de ceux qui estiment qu’une généralisation hâtive d’une politique publique est souvent coûteuse pour la collectivité et qu’il serait donc préférable de l’expérimenter d’abord.

Prenons l’exemple du problème de la répartition auquel nos collègues du groupe “régionalisation et développement” ont à juste raison accordé une grande importance. (Par parenthèse le problème du développement et celui de la répartition sont différents comme leurs théories économiques le sont du reste). Admettons que l’on identifie un bon critère de péréquation financière. Il en existe. Doit-on l’appliquer immédiatement et le généraliser à toutes les régions ou bien devrait-on tout d’abord le tester et identifier les conséquences des transferts attendues d’une part, inattendues et non voulues d’autre part ? J’incline pour ma part à penser que cette deuxième solution est la moins mauvaise.

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Je rappelle que le gouvernement marocain actuel conduit une expérimentation sur ce que ce que l’on appelle les “conditional cash transfert programmes” dans la province de Tadla-Azilal qui me paraît excellente. Il s’agit d’octroyer une bourse familiale d’un montant modeste pour inciter les familles à envoyer leurs enfants à l’école. Malgré les résultats positifs de cette politique au Brésil notamment, les responsables marocains ont eu l’heureuse idée de passer par une expérimentation locale avant de pouvoir la généraliser. Pourquoi en devrait-il être ainsi, me demanderiez-vous? Tout simplement parce que dans nos sciences comme dans le réel toute loi n’est jamais inconditionnellement vraie. Je vous signale du reste que l’expérience brésilienne n’a pas été un succès partout où elle a été appliquée dans ce pays mais qu’elle l’a été davantage à la campagne que dans les villes.

Je vous prie, chers collègues, de bien vouloir me pardonner la longueur démesurée de ce message et de vous réitérer mes meilleurs voeux pour ce mois de Ramadan, à vous et à tous ceux que vous chérissez.
Bien cordialement.

Mohamed Cherkaoui.

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