Par Martine de Froberville
Paris, 06 nov 2011 (SPS) Mme Martine de Froberville, écrivain française s’interroge sur les mobiles d’une certaine presse internationale à vouloir incriminer le Polisario et l’Algérie dans le rapt des trois humanitaires européens enlevés le 22 octobre dans les camps de réfugiés sahraouis en les “diabolisant”, appelant cette même presse et autres détracteur du combat légitime du peuple sahraoui à chercher plutôt dans “les circonstances et les motivations d’un tel drame”.
Auteur de “Sahara Occidental, la confiance perdue – L’impartialité de l’ONU à l’épreuve” (Paris, 1996) et de “Sahara Occidental, le droit à l’indépendance” (Alger – Édition ANEP, 2009), Mme De Froberville, nous a envoyé cet article que nous publions dans son intégralité.
Aqmi, pas Aqmi ? Complicité de militaires algériens, d’éléments de la sécurité sahraouie ? Telles sont les questions que se pose la presse internationale, depuis l’enlèvement de membres d’ONG européennes, deux Espagnols et une Italienne, aux abords des camps de réfugiés sahraouis dans la Sahara algérien, dans la nuit du 22 au 23 octobre dernier.
Autant, s’interroger sur les circonstances et les motivations d’un tel drame semble légitime, autant, les insinuations non fondées sont particulièrement malvenues.
Préalablement à l’opération, y a-t-il eu infiltration des terroristes au sein de l’armée algérienne et des Sahraouis, comme l’envisagent certains ?
Si l’on évoque une, voire des complicités extérieures pourquoi ne pas mentionner celle de membres de la MINURSO ? Dont leur voiture ne s’arrêtent à aucun chek- point. La mission de l’ONU sur place est parfaitement informée des lieux, des visiteurs qui se présentent et de l’organisation de leur accueil. Dans le passé, l’attitude de plusieurs de ses cadres s’est révélée si gravement répréhensible qu’on ne peut négliger cette éventualité.
Mais, la topographie des lieux où s’est portée l’attaque peut expliquer, à elle seule, la réalisation d’un tel acte, sans besoin de chercher des complicités extérieures ou intérieures. Rabouni, par où les visiteurs étrangers transitent systématiquement avant de rejoindre les camps de réfugiés eux-mêmes, est un point d’accès très excentré, en plein désert, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de la ville algérienne de Tindouf et à 70 km d’une frontière mauritanienne poreuse. Cette situation rend ce centre d’accueil assez facilement accessible.
Que cette attaque ait pu avoir lieu grâce à des éléments parlant hassania (selons AFP Bamako) ne démontre pas pour autant l’implication de la sécurité sahraouie ni du Front Polisario.
Le hassania est également la langue qui est parlé au Nord du Mali et en Mauritanie sur le territoire desquels existent des cellules affiliées à Aqmi ou des réseaux de trafiquants. Par ailleurs, depuis près de quarante ans d’occupation marocaine de l’ancienne colonie espagnole du Sahara occidental, bien des Marocains ont eu la possibilité de maîtriser cette langue. Driss Basri, l’ancien ministre de l’intérieur de Hassan II, avait d’ailleurs organisé des « cours accélérés» pour les Marocains qu’il entendait présenter comme prétendus Sahraouis sur les listes électorales du referendum prévu par l’ONU, dans le but d’en fausser les résultats. L’on peut, enfin, tout aussi bien envisager que des Sahraouis ayant fait allégeance à Rabat aient participé au commando qui a opéré le rapt, histoire d’affaiblir le Front Polisario.
Une fois encore, Rabat s’est emparé d’une affaire dramatique aux fins de propagande à son profit.
Forte des récentes insinuations de son ministre des affaires étrangères, Taïeb Fissi el Fihri, la presse marocaine inféodée au makhzen brocarde le Front Polisario et l’Algérie en leur imputant une responsabilité dans l’enlèvement. Ce n’est pas la première fois que la capitale alaouite utilise un drame humanitaire comme moyen de pression.
Depuis plusieurs années déjà, les autorités marocaines laissent entendre —notamment via leurs affidés médiatiques—, que le Polisario entretiendrait des liens avec les filières terroristes du Sahel sans jamais avoir des preuves. Ces affirmations ont pourtant été démenties, notamment par l’ambassade américaine à Alger, dont les télégrammes ont été divulgués par Wikileaks.
Incriminer les Sahraouis de liens avec le terrorisme permet au Maroc de minimiser les nombreux témoignages sur les sévices quotidiens infligés à leur peuple dans le territoire sous sa botte, qualifiés de « terrorisme d’État».
Les autorités marocaines, n’étant pas à une incohérence près, mettent en exergue, à l’opposé de leurs premières assertions, l’incapacité du Front Polisario à sécuriser la zone sous son contrôle, afin de mieux justifier leur mainmise sur l’ancienne colonie espagnole au nom de la ”sécurité de la région”. La complicité du Front Polisario serait donc d’avoir pris part à une opération qu’il aurait dû être en mesure de réduire à néant. Une logique imparable !
Bien sûr, le rapt de membres d’ONG étrangères dans cette zone pourrait provoquer le retrait de ces organisations et de leurs soutiens, en pénalisant les réfugiés et en affaiblissant le crédit de ceux qui les représentent. Ce qui arrangerait bien Rabat !
Décrédibiliser, voire diaboliser le Polisario —qui est officiellement reconnu depuis 1972 comme le seul représentant légitime du peuple sahraoui— a également pour objet de convaincre l’ONU d’engager des contacts avec la poignée de Sahraouis, les fameux transfuges, acquis aux thèses autonomistes de Rabat, dans l’intention de marginaliser le Front. Et, comme l’Algérie est le meilleur et le plus fidèle soutien du mouvement indépendantiste, son implication est bien entendu montrée du doigt.
La nation algérienne a subi, pendant 10 ans, les massacres terroristes du GIA et du GSPC dont les derniers éléments se retrouvent aujourd’hui dans la nébuleuse d’Al Quaeda au Maghreb islamique (Aqmi) évoluant dans la zone du Sahel. Aussi, l’incriminer sans preuve c’est insulter ses centaines de milliers de victimes.
Pendant ses 16 années de guerre avec le Maroc depuis l’invasion du Sahara Occidental en 1975, le Front Polisario n’a jamais eu recours au terrorisme ni contre des infrastructures, ni contre des civils marocains. Rabat, en revanche, ne s’est pas embarrassée de semblables scrupules.
La participation de Marocains, sur leur sol et à l’extérieur, à des attentats terroristes est, elle, bien établie. Lors des attentats de Casablanca du 16 mai 2003 ayant fait 41 morts, les auteurs étaient tous marocains ; lors de l’attentat de Madrid du 11 mars 2004, où près de 200 personnes ont péri et 1 400 ont été blessées, les terroristes étaient en grande majorité marocains, comme dans les cellules découvertes en Italie…
Aussi, la guerre larvée menée par Rabat et par les sbires à sa solde à l’encontre du Front Polisario et de l’Algérie, sans aucune preuve de leur complicité dans les faits évoqués, s’avère ridicule et indigne.
Le but probable de ce rapt, pour l’unité terroriste qui en est l’auteur, affiliée ou non à Aqmi, est la quête de rançons pour s’équiper en armes de contrebande, provenant notamment de Libye dont les arsenaux ont été pillés.
Mais dans cette affaire l’indécence de certaines insinuations ne peut pas faire oublier l’essentiel : le sort des otages et l’angoisse de leurs familles ; l’abjection d’une attaque à l’entrée de camps de réfugiés, cantonnés depuis près de quarante ans dans des conditions pitoyables et dans une quasi indifférence de la communauté internationale ; la lâcheté du rapt d’humanitaires qui apportent sans compter leur soutien à ces réfugiés. (SPS)
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