Le Maroc et les atteintes aux usages du bon voisinage

Par Dr Boudjemaâ Haichour(*)
Le Maroc est en train d’installer des instabilités en termes de menaces qui augurent une configuration maghrébine marquée par des ingérences troublantes, non seulement envers son voisinage proche, mais aussi dans la région du Sahel et en Afrique. La gravité de la situation est telle que les pays voisins s’inquiètent, tant l’ampleur des risques et menaces se décline, non seulement à la lisière des frontières algériennes, mais aussi sa connivence avec l’entité sioniste, s’offrant un siège d’observateur sous forme de lobbying marocain au sein même de l’Union africaine.

Réfléchir à d’autres paradigmes
Alors que la géopolitique est en pleine effervescence, notre diplomatie se doit de réexaminer les rapports entre États pour être à la page des événements lorsque les politiques étrangères de ce XXIe siècle acquièrent d’autres paramètres et les paradigmes s’enchaînent au cœur de cette «tectonique des plaques diplomatiques».
Nous sommes en plein dans un autre récit de géopolitique qui nécessite une présence active de notre diplomatie où le terrorisme transnational affecte la gouvernance de tous les États. Le crime organisé, le trafic de drogue et ses réseaux relèvent d’un autre répertoire. Les questions de sécurité se posent avec acuité. Notre diplomatie doit revoir son agenda politique, économique, numérique, scientifique, sportif pour ne pas être en perte de vitesse.

Une nouvelle diplomatie en communion avec le xxie siècle
Chacun de nous s’interroge sur l’état de non-vigilance de nos diplomates pour n’avoir pas anticipé sur les agissements d’un voisin ou d’un adversaire nostalgique du vieux monde. Il faut se référer à la diplomatie militante durant la guerre de Libération nationale où la voix de l’Algérie en lutte était écoutée est respectée. La politique du bon voisinage est l’affaire de toutes les parties, sans quoi il y a risque de crise qui peut affecter tout le Maghreb mais aussi l’espace de la Méditerranée. Il faut donc recomposer la géopolitique régionale et continentale. C’est le rôle du diplomate. Il faut être armé de vigilance dans sa proximité tant humaine, culturelle que sécuritaire.
Notre pays a une position stratégique au cœur du Maghreb, mais aussi en tant qu’interface entre l’Afrique et l’Europe. C’est un lieu de passage des populations et de circulation venant du Sahel. L’Algérie a aussi été un lieu d’exil et de savoir durant des siècles. Et parce que sa configuration a évolué avec le temps, notre diplomatie se doit de réviser sa vision. C’est une terre d’arrivée pour des populations venant par la mer depuis les Phéniciens jusqu’à la colonisation française.
La gestion des flux n’est pas l’apanage d’un seul État, mais l’objet d’une coopération entre plusieurs pays (transit et destination). Ainsi, la gestion de nos frontières doit occuper une place importante d’autant que notre pays est le plus grand du pourtour méditerranéen et d’Afrique. Notre territoire s’étend sur 6 343 km de frontières terrestres et 1 200 km de frontières maritimes. D’où la nécessité d’une surveillance accrue avec des équipements modernes et une connaissance sans cesse renouvelée des populations des pays voisins.
La sécurité à nos frontières s’avère compliquée qui demande la coopération de diplomates chevronnés et d’agents d’autres institutions.
Cette entreprise devient délicate surtout que l’insécurité produite par le crime organisé, le terrorisme et le trafic de tous genres induit des phénomènes difficiles à cerner.

Une rupture diplomatique raisonnée et réfléchie
Enfin, la raison a prévalu face à l’adversité d’un voisin qui n’a cessé de proférer les menaces tous azimuts contre une Algérie force tranquille, d’équilibre et de stabilité de la région. La décision des autorités algériennes de rompre les relations diplomatiques avec le Maroc est une réponse à l’entêtement du Makhzen. Ce dernier continue, en collusion avec des forces extérieures, de déstabiliser toute une région, partenaire de la rive nord de la Méditerranée.
Mais les faits sont têtus. Qui ne se souvient pas des faits d’histoire dont le plus récent est celui de 1963, appelé «Guerre des sables», alors que l’Algérie sortait d’une longue nuit coloniale et de sept ans et demi de guerre des plus féroces et meurtrières où les plaies sont encore béantes. La mémoire algérienne n’est pas courte, mais le Makhzen n’a pas appris la leçon.

L’Algérie fidèle à l’intangibilité des frontières
L’Algérie est restée fidèle à l’intangibilité des frontières et le tracé tel que le droit international le stipule et l’impose à tous les pays qui étaient sous domination coloniale et des puissances coloniales. Il y eut engagement en signant les accords de 1972 et 1988 relatifs au tracé des frontières, que le MAE rappelle dans sa conférence de presse, précisant que le 16 mai 1988, l’Algérie avait décidé de normaliser ses relations avec le Maroc. Ces dernières s’inscrivaient en droite ligne des efforts déployés par l’Arabie Saoudite, à savoir :
1- La volonté de renforcer les relations de bon voisinage en mettant en œuvre les conventions et les accords bilatéraux conclus entre les deux pays.
2- Œuvrer pour la construction de l’Union du Maghreb arabe (UMA).
3- Renforcer les rangs arabes en faveur de la cause palestinienne et la libération de toutes les terres arabes colonisées.
4- Soutenir la tenue du Référendum d’auto-détermination du peuple sahraoui conformément aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’Union africaine pour la décolonisation de cette dernière colonie.

L’Algérie se refuse de s’ingérer chez le voisin marocain
L’Algérie se refuse de s’ingérer dans les affaires intérieures du Maroc. Mais le Maroc continue de propager une campagne médiatique des plus attentatoires contre l’Algérie, la plus récente étant celle du représentant du Maroc à l’ONU qui déclare soutenir l’autodétermination du peuple kabyle, sans oublier les menaces proférées par le ministre israélien depuis le sol marocain en présence du MAE du royaume, constituant une «des provocations qui ont atteint leur paroxysme».
Le maroc a eu recours au logiciel de cyber-espionnage Pegasus pour espionner les responsables algériens. Ces incidents successifs ont créé cette crise diplomatique provoquée d’abord par Omar Hilale, représentant marocain, ambassadeur permanent du Maroc à l’ONU.
Il s’est permis, lors de la réunion du Mouvement des non-alignés, de faire passer, les 13 et 14 juillet 2021, à New York, une note où il affirme que «le vaillant peuple kabyle mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination».
Le fameux plan du Makhzen sur une prétendue autonomie a connu une vive controverse entre les parties en conflit. Il était reproché au Maroc de faire table rase de toutes les résolutions des Nations-Unies et de nier le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. La position de la RASD à laquelle s’identifie le Polisario, c’est l’indépendance à travers l’organisation d’un référendum libre, équitable et transparent.

La question sahraouie et le droit à l’autodétermination
C’est la seule voie pour la réalisation d’une paix durable et d’une stabilité conséquente pour toute la région du Maghreb.
L’Algérie, de par sa proximité géographique avec cette zone de tension, et par les risques que cela pourrait engendrer pour sa propre sécurité, ne peut rester insensible à ce conflit. Il revient au Conseil de sécurité la responsabilité historique de le régler conformément à la légalité internationale.
Il fallait parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, après le départ des Espagnols, qui ont laissé une colonie où il était question d’une décolonisation à parachever à travers l’exercice du droit inaliénable du peuple sahraoui à l’autodétermination.
L’importance géostratégique de l’Algérie et du Maroc en tant qu’États-pivots de la région est telle que «lorsque leurs relations s’enrhument, c’est tout le Maghreb qui est atteint de pneumonie». Mais l’agitation marocaine frise, dira le Quotidien d’Oran, «l’acte d’hostilité diplomatique. Depuis la marche verte, le Palais royal a toujours orchestré ce type de campagnes en organisant des sit-in devant les ambassades d’Algérie, qui tendent à discréditer le voisin algérien et paraître au regard de l’opinion internationale comme un pays victime».
Pour notre pays, cette façon peu diplomatique du représentant marocain constitue une déclaration inadmissible et une ligne rouge. Le Makhzen a dépassé les limites du bon voisinage.
Le Sahara Occidental est une question de décolonisation. Il n’y a pas lieu de faire des amalgames en le comparant à la Kabylie, qui est partie intégrante de l’Algérie depuis des millénaires. Cette position de soutien au mouvement MAK par les officiels marocains, classé par les autorités algériennes depuis le 18 mai 2021 comme organisation terroriste, a conduit l’Algérie à rompre diplomatiquement avec le Maroc. Le MAE, au nom du Président Tebboune, a clarifié, devant un parterre de journalistes, la genèse de cette position.
Il faut rappeler que les réseaux sociaux, toutes sensibilités, ont apporté leur soutien en dénonçant cette sédition de la part du voisin marocain. En plus de la question du Sahara Occidental qui est entre les mains des membres du Conseil de sécurité, le peuple sahraoui attend depuis plus de quatre décennies son droit à l’autodétermination.
Viennent s’y greffer les tensions de la déclaration du ministre israélien qui, pour gagner une normalisation avec le Maroc, s’aligne, à partir du royaume chérifien, pour reconnaître la marocanité du Sahara Occidental et d’œuvrer à la déstabilisation de l’Algérie.
Le Polisario, qui lutte pour l’indépendance du peuple sahraoui, continue de réclamer la tenue d’un référendum affirmé par l’ONU au moment de la signature d’un cessez-le-feu entre les deux belligérants.
L’Algérie accuse le Maroc d’être impliqué dans les incendies meurtriers qui ont ravagé la Kabylie. Le MAK est accusé de recevoir le soutien et l’aide, notamment, du Maroc et de l’entité sioniste. Plus de 90 morts et 89 000 ha de forêts brûlés. L’élan de solidarité du peuple algérien dont la diaspora vivant en Europe a été d’une contribution substantielle.
La mort du jeune Djamel Bensmaïl, originaire de Miliana, qui fut lynché, brûlé et décapité, a profondément choqué et ému toute la population. L’Algérie s’est dressée comme un seul homme pour dénoncer cet acte barbare et criminel tout en appelant à l’unité nationale, une et indivisible. Larbaâ-Nath-Irathen et Miliana, en communion, ont démontré que le peuple algérien toutes régions confondues est un et indivisible. Le serment de nos chouhada depuis les résistances anti-coloniales jusqu’au 1er Novembre 1954 demeurent le lien indéfectible de sa cohésion et de son unité.

Protéger les frontières dans notre stratégie sécuritaire
Loin de tout affrontement, l’Algérie, qui considère le peuple marocain lié par les rapports de bon voisinage, ne peut rester silencieuse devant des pratiques qui n’honorent pas nos liens de sang, de religion et d’histoire des deux peuples. L’Algérie doit se forger une new doctrine dans sa stratégie, y compris en matière économique (le gazoduc qui traverse le territoire chérifien). Ce sont autant de raisons qui nous poussent à prôner une politique nouvelle qui tienne compte des intérêts suprêmes de la nation algérienne.
Nous devrions plus que par le passé protéger nos frontières par tous les moyens. Néanmoins, notre politique qui a été longtemps pragmatique à l’égard du Maroc exige d’autres paradigmes que notre diplomatie mettra en œuvre. Il y va de notre sécurité régionale et de son environnement.
La réactivation de l’UMA ne peut se faire que si le Maroc s’engage à faire de sa politique un choix de respecter les peuples dans leur droit à s’autodéterminer.
Tel est l’obstacle qui freine la réactivation d’un Maghreb de prospérité partagé, loin des conspirations, atteintes et ingérences dans les affaires intérieures.
Alors que le Maroc construit une clôture dotée de capteurs électroniques à la frontière algérienne et un mur au Sahara Occidental, quelle pourrait être cette confiance d’ouvrir les frontières fermées unilatéralement depuis 1994 par Hassan II lors des événements de Marrakech ? Ce sont autant de questionnements qu’il faut poser à un voisin qui s’acharne aujourd’hui pour l’ouverture des frontières.
B. H.

(*) Chercheur universitaire. Ancien ministre

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