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Ali Lmrabet
La chute sera plus dure. Les hautes autorités marocaines auraient dû tenir compte de ce dicton. Depuis 1996, le Parlement européen n’avait jamais osé élever la voix contre le royaume chérifien sur les questions de droits de l’homme. En 2021, il a bien tiré des oreilles du régime marocain, mais c’était très doux et sur une affaire d’immigration clandestine. Rabat avait littéralement jeté 10 000 sujets du roi du Maroc contre l’enclave espagnole de Ceuta en mai de cette annéellà. Un tiers étaient des écoliers mineurs qui ont été amenés à croire qu’il y avait un match gratuit à Barcelone, avec Lionel Messi comme joueur vedette. Une manœuvre cruelle de l’Etat marocain, car des mineurs y sont morts. Certains se sont noyés et d’autres ont été victimes d’accidents de toutes sortes dans les jours suivants. Aucun chef politique.
Mais l’impunité marocaine a changé lorsque le Parlement européen a découvert, à la suite d’une enquête du procureur fédéral belge, que des députés européens anciens et actuels, certains occupant des postes importants, avaient été soudoyés pour favoriser les intérêts marocains. Dès lors, l’Eurochambre a décidé de prendre l’affaire en charge.
Et effectivement, la chute a été dure. Une résolution connue sous le nom d’Affaire Omar Radi, du nom du journaliste marocain condamné à six ans de prison après avoir été victime d’un complot grossier orchestré par la police politique, a été négociée entre plusieurs groupes parlementaires et approuvée à une très large majorité au Parlement européen jeudi 19 janvier dernier. C’était comme une douche froide pour le Maroc. Les mots utilisés lors des débats ont été durs, voire très durs, comme si l’Europe découvrait soudain qu’une véritable dictature, comme celles qu’elle a l’habitude de condamner en Amérique latine et ailleurs sur la planète, campait à l’aise, profitant de la confiance et de la bienveillance du vieux continent.
A la veille du vote, mercredi 18 janvier, plusieurs députés européens n’ont pas hésité à employer des mots impossibles en d’autres temps pour décrire le Maroc : régime dictatorial, Etat autoritaire, intimidation policière, chantage, pots-de-vin, espionnage, répression, torture, contrôle absolu sur le médias, accusations douteuses contre des journalistes, manque de libertés, écoute illégale avec le programme d’espionnage Pegasus, journalistes emprisonnés, prisonniers politiques et prisonniers d’opinion, etc. Du jamais vu dans un Parlement qui a toujours refusé d’attribuer l’emblématique prix Sakharov pour la liberté de conscience à un Marocain pour ne pas vexer le Maroc.
Une eurodéputée slovène du groupe Renew (Libéraux) a même affirmé que cette résolution « ne sera pas la dernière » et un collègue néerlandais s’est indigné à haute voix que des députés marocains membres d’une commission mixte errent dans les locaux du Parlement européen au moment des délibérations. Le lendemain, le 19 janvier, la résolution sur l’affaire Omar Radi a été adoptée à une écrasante majorité. Seul le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen d’extrême droite française, quelques votes épars et, fait intéressant, les eurodéputés du PSOE ont voté contre.
L’auteur de ces lignes a appris que, quelques jours avant le vote, le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, avait provoqué la colère de son homologue espagnol, José Manuel Albares, en l’exhortant à voter contre. Une demande à laquelle le ministre espagnol a accédé.
Cependant, l’écrasante majorité des votes en faveur de l’affaire Omar Radi laissait présager un avenir assez compliqué pour les relations entre l’Union européenne et le Maroc. Surtout cette année, alors qu’on attend d’un moment à l’autre un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne qui annulera probablement définitivement les accords de pêche et de partenariat signés entre Bruxelles et le Maroc en raison de l’inclusion du territoire contesté du Sahara Occidental. Une condamnation qui donnera ainsi le droit au plaignant, le Front Polisario, et le reconnaîtra comme le représentant légitime des Sahraouis. Ce qui va probablement donner lieu à une avalanche de procès contre des entreprises européennes installées dans l’ancienne province espagnole.
Le pot-de-vin marocain aux eurodéputés avait plusieurs objectifs : acheter leur volonté de favoriser les intérêts du Maroc dans l’Union européenne et éviter qu’ils ne s’intéressent trop aux graves violations des droits de l’homme sous le règne de Mohammed VI. Et l’explosion du Qatargate a tout dynamité.
Mais pourquoi cette sévérité ? Deux raisons expliquent cette sanction, que Reporters sans frontières qualifie d'”historique” en raison de l’intouchabilité du Maroc à Bruxelles. La première repose sur les fortes suspicions qui pèsent sur le Maroc après la découverte du scandale du Qatargate, qui s’est avéré être avant tout un Moroccogate, puisque selon le Parquet fédéral belge, les Qataris auraient été embarqués dans une “organisation criminelle” déjà existante.
La deuxième raison découle de l’exaspération de certains pays européens face à la répression implacable que le Maroc fait subir depuis plusieurs années aux journalistes indépendants, aux militants des droits de l’homme, aux hommes politiques et même aux simples commentateurs des réseaux sociaux, condamnés à de lourdes peines de prison pour avoir critiqué le roi Mohammed VI, ses institutions répressives ou son régime en général.
C’est ce qu’ont expliqué le principal accusé du complot, l’ancien eurodéputé italien Pier Antonio Panzeri et son ancien assistant Francesco Giorgi. Tous deux ont accepté de coopérer pleinement avec la justice, et « chanter », dévoilant noms, dates et faits précis.
Panzeri a par exemple obtenu le statut de répenti, le deuxième dans l’histoire récente de la Belgique, à la condition qu’il s’engage à « faire des déclarations substantielles, révélatrices, sincères et complètes sur la participation de tiers et, le cas échéant, sur sa propre participation (…), le modus operandi, les accords financiers avec des États tiers, les montages financiers mis en place, les bénéficiaires des structures mises en place et les avantages offerts, l’implication de personnes connues ou non encore connues dans le dossier, y compris les identités des personnes qu’il reconnaît avoir corrompues ».
Quant au Maroc, plusieurs noms sont déjà sortis, comme celui de l’eurodéputé Andrea Cozzolino, du Parti démocrate italien, qui se serait trouvé physiquement dans les locaux de la DGED (Direction générale des études et de la documentation, contre-espionnage marocain) à Rabat. Celui du directeur général de la DGED, Mohammad Yassine Mansouri, mis en cause et cité par nom et prénom dans les référés de la justice belge. Celui de l’ambassadeur du Maroc en Pologne Abderrahim Atmoun, présenté par le parquet fédéral comme le grand corrupteur, ainsi que celui d’une vieille connaissance de plusieurs services de renseignement européens, l’agent marocain M118, qui se fait appeler en réalité Abdallah Bellahrach, et il est un gros poisson de la DGED. Bellahrach est impliqué dans plusieurs affaires d’espionnage sensationnelles en Espagne, en France et en Belgique. En Catalogne, par exemple.
Visiblement, le Maroc nie tout et dénonce être victime de la part de certains groupes de l’Eurochambre de “calculs et d’une volonté de nuire” à l’association UE-Maroc au moment où le pays “avançait de manière décisive” vers une pleine démocratie qui respecte la dignité de chacun. Mais c’était avant que le Département d’État américain, le plus grand allié du Maroc, ne publie en mars un rapport long et accablant de 42 pages énumérant les graves violations des droits de l’homme dans le royaume alaouite en 2022.
Par coïncidence, certaines accusations rejoignent celles portées par les eurodéputés le 18 janvier, veille du vote du 19 janvier sur l’affaire Omar Radi : intimidations policières, répression, torture, accusations douteuses contre des journalistes, manque de libertés, etc.
#Maroc #Omar_Radi #Pegasus#Parlement_Européen
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