Rupture des relations franco-allemandes: Mauvais augure pour l’UE

Tags : France, Allemagne, Emmanuel Macron, Union Européenne, Olaf Scholz,

Les progrès en matière d’élargissement, de budget et de gouvernance seront quasiment impossibles sans une harmonie entre Paris et Berlin.

Mujtaba Rahman Il y a 13 HEURES

Le “moteur” franco-allemand qui a été au cœur de l’Union européenne pendant six décennies est en panne. Le nouveau gouvernement de Berlin en est le principal responsable. Le chancelier Olaf Scholz se préoccupe surtout de l’unité de sa coalition et de l’économie allemande. S’il lève la tête pour contempler le monde extérieur à l’Allemagne, c’est généralement pour regarder de l’autre côté de l’Atlantique, et non vers Paris ou Bruxelles.

Pour s’en convaincre, il suffit de lire le discours sur l’Europe prononcé par M. Scholz à Prague en août dernier. Le chancelier n’a fait qu’une brève référence à la France. Le discours sur l’Europe prononcé par le président français Emmanuel Macron à la Sorbonne en 2017 a mentionné l’Allemagne à six reprises.

Le plus gros problème de M. Scholz est que le plus petit parti de sa coalition, les Démocrates libres, lutte pour sa survie, ayant été expulsé de trois parlements d’État depuis les élections fédérales de septembre 2021. Ils risquent également d’être battus lors des élections en Bavière et en Hesse cet automne. Ils sont revenus à leurs premiers principes – des positions intransigeantes sur l’Europe, la politique fiscale et le changement climatique – pour tenter de récupérer des soutiens.

Sans les libéraux, le gouvernement de M. Scholz tomberait. Il serait également incapable de former une nouvelle majorité, compte tenu de l’éventail actuel des forces en présence au Bundestag. Cela explique le caractère défensif de l’agenda européen de M. Scholz et la raison pour laquelle il a retiré le soutien de son gouvernement à l’interdiction des moteurs à combustion dans l’UE à partir de 2035, alors que cette interdiction était considérée comme acquise à Bruxelles.

Macron n’est pas exempt de reproches. Il a tendance à déraper, comme l’ont montré ses récents commentaires très critiqués sur Taïwan. Il peut également faire preuve d’hypocrisie. Il s’est plaint des subventions allemandes aux prix de l’énergie alors que la France a dépensé 100 milliards d’euros pour ses propres subventions.

Le duo franco-allemand a connu des ruptures temporaires par le passé. Le chancelier Gerhard Schröder et le président Jacques Chirac se sont à peine parlé pendant plusieurs mois après une dispute sur la politique agricole de l’UE en 1999. La chancelière Angela Merkel et les présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande ont mal commencé ce qui est devenu par la suite des mariages fructueux, selon les termes de Mme Merkel, en 2007-2012 et 2012-2017.

Mais le refroidissement actuel des relations reflète quelque chose de plus fondamental. La nouvelle structure de pouvoir de l’Allemagne semble peu intéressée ou peu disposée à penser en termes européens. Sans eux, M. Macron a peu d’espoir de concrétiser sa vision d’une Europe “souveraine”, diplomatiquement indépendante des États-Unis sans être dépendante de la Chine.

La rupture compromet déjà l’agenda de l’UE dans des domaines tels que le climat. Elle jette le doute sur la réforme du cadre budgétaire de l’UE, le pacte de stabilité et de croissance, en rendant moins prévisible pour les investisseurs la viabilité des finances publiques dans les économies européennes fortement déficitaires et endettées. Cela rend également moins probable une réponse crédible à la loi américaine sur la réduction de l’inflation, alors que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, gratte le budget de l’UE pour financer une réponse européenne collective.

Mais elle soulève des questions plus fondamentales sur les priorités stratégiques de l’UE, en particulier lorsqu’une nouvelle commission entrera en fonction après les élections du Parlement européen de l’année prochaine. Les questions les plus épineuses concerneront l’élargissement de l’UE à l’Ukraine, à la Moldavie et aux Balkans occidentaux, ainsi que les implications budgétaires et de gouvernance qui en découleront. Une modification en profondeur du traité semble inévitable. Mais il sera difficile, voire impossible, de progresser sur ces questions – et de déterminer qui, à Bruxelles, serait le mieux placé pour les faire avancer – sans un alignement entre Paris et Berlin.

La plupart des grandes réalisations de l’UE au cours des six dernières décennies ont été élaborées conjointement par l’Allemagne et la France ou ont été façonnées par des compromis franco-allemands. Le traité de Rome de 1957 a eu de nombreux pères fondateurs, mais il n’aurait pas vu le jour sans un accord entre Konrad Adenauer et Charles de Gaulle.

L’Acte unique européen de 1992 est en partie l’œuvre de ce couple improbable, Jacques Delors et Margaret Thatcher, mais il aurait échoué sans Helmut Kohl et François Mitterrand, dont l’amitié a été symbolisée par leur promenade main dans la main à Verdun en 1984. L’euro a été en grande partie créé par Kohl et Mitterrand pour faire contrepoids à l’unification allemande.

La France et l’Allemagne ne peuvent pas – et ne doivent pas – dominer l’UE-27 comme elles l’ont fait pour les six premiers États membres et, au grand dam de la Grande-Bretagne, pour les neuf, les dix et les douze États membres. Les décisions en Europe doivent désormais être prises de manière plus collective.

Mais Berlin et Paris feraient bien de reconnaître une vérité fondamentale. Leurs relations ne se limitent pas à la France et à l’Allemagne. Elles servent un objectif supérieur. C’est un terrain d’essai – une forge, un laboratoire – pour ce qui est possible au niveau de l’UE. Rien d’important ne peut se produire en Europe si ses deux plus grandes économies ne sont pas sur la même longueur d’onde.

L’auteur est directeur général pour l’Europe chez Eurasia Group.

Financial Times, 16 avr 2023

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