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Le festival de Cannes a toujours été aimanté par des polémiques. Avant même sa projection en ouverture de la 76è édition, le film de Maïwen « Jeanne du Barry » (hors compétition) avait fait déjà couler beaucoup d’encre. Qu’en est-il exactement ?
Jeanne Du Barry, la suppléante
Jeanne du Barry est ce qu’on pourrait qualifier aujourd’hui d’escort girl, une roturière – de surcroit bâtarde, née d’une mère cuisinière et d’un père moine – mais de bonne instruction, que son homme de compagnie propose, sans ciller, au plus intéressant parti. Or qui d’autre de plus nanti qu’un monarque, pour ce faire ? Et c’est là que l’intrigant Richelieu (un descendant du fameux Cardinal) entre en scène pour jouer le rôle d’intercesseur espérant pour lui aussi un « retour sur placement ». Mais pour capter le regard de Louis XV, encore faut-il avoir un statut respectable, c’est-à-dire, être mariée afin d’être acceptée par la Cour, en favorite du roi. C’est Versailles !
Ni une, ni deux, elle épousera le comte Guillaume du Barry et sera ainsi présentée à la noblesse de la cour de France. Tout roulera comme dans un carrosse mais très vite. Jeanne du Barry enfreindra le protocole en regardant le souverain droit dans les yeux, le séduisant et devenant sa compagne attitrée, malgré un veuvage récent du roi.
Cette femme libre, indépendante, audacieuse ne pouvait que séduire la réalisatrice de « Mon Roi » (déjà !) présenté à Cannes en 2015.
C’est d’ailleurs au Festival, en 2006, que Maïwenn avait su l’existence de cette dame Du Barry. « J’ai découvert Jeanne du Barry dans « Marie-Antoinette » de Sofia Coppola. L’idée a mûri dans ma tête pendant des années. J’avais même parlé du projet à une autre actrice. J’ai ensuite longtemps pensé que le film ne se ferait pas avec moi tant cela traînait et puis je me suis rendu compte que si j’avais tant envie de le réaliser, c’est que j’avais aussi envie d’incarner Jeanne. »
Comme Jeanne, Maïwen (père vietnamien vite disparu et mère algérienne peu maternante), s’est affranchie d’une famille dysfonctionnelle en épousant à 16 ans, le réalisateur du « Grand Bleu » Luc Besson, 32 ans, père de sa fille. Comme Jeanne, la cinéaste chaouie d’extraction fut souvent vilipendée. Qui donc mieux que Maïwen pouvait interpréter cette femme intelligente et cultivée, transfuge de classe, racée et aussi entêtée qu’une aurasienne. Rayonnante, resplendissante, on sent son plaisir à être cette comtesse iconoclaste. Un vrai pied de nez à tous ses détracteurs.
Johnny Depp, un pirate à Versailles
Il fallait donc un comédien à sa taille pour incarner ce roi mal connu, éclipsé par son père le Roi Soleil, Louis XIV. Après le refus d’un comédien français, c’est sur Johnny Depp qu’elle jeta son dévolu.
« J’ai eu envie de lui dans ce rôle d’abord parce que je suis depuis longtemps une grande admiratrice de son travail, tout simplement. (…) Il me paraissait le comédien idéal pour ce genre de composition qui passe plus par les regards et les silences que par les mots. Il y a du Buster Keaton chez Johnny. Je sentais en lui le côté romantique et romanesque du rôle, que son côté écorché vif correspondait pile au Louis XV de mon film » explique-t-elle.
Même si elle a engagé l’acteur avant ses démêlés judiciaires ultra médiatisés, « Le pirate des Caraïbes » a dû répondre de violences conjugales envers son ex-femme, la comédienne Amber Heard. Même blanchi par les tribunaux américains, cela fait mauvais genre en cette période post “me-too“. Banni des plateaux américains, Johnny Depp a-t-il cherché à se refaire une santé pour un retour en grâce aux USA ?
D’autant que sont parvenues des échos sur une mésentente avec l’acteur pendant le tournage : « C’était intense, parfois tumultueux, mais je suis rodée. Comme avec toutes les stars de ce calibre, qui plus est habitées comme lui, il y a de formidables avantages et des inconvénients. Tu prends le package, ça fait partie du pacte”, a-t-elle précisé lors d’une interview au magazine Harper’s Bazaar.
Il faut bien le reconnaître, Johnny Depp, n’a pas du tout été un mauvais choix. Sous la direction de la réalisatrice de « Polisse », Il campe son rôle avec une certaine justesse, donnant de surcroit, une humanité bien réelle, à ce roi surnommé « Le bien aimé ». Un monarque bravache, qui, malgré une étiquette pesante à la Cour de Versailles, imposa sa favorite, Jeanne du Barry, après la mort de sa femme
Une belle surprise
C’est donc une très agréable surprise, au regard d’une campagne critique à charge, de découvrir cette histoire d’amour passionnée entre un Roi et une déclassée, mais qui ont un point commun, celui d’aimer déjouer les codes établis. Le film, très enlevé, a été tourné entièrement au château de Versailles, qui offre un écrin magnifique. Un lieu somptueux, centre de toutes les intrigues menées par la famille royale et des courtisans avides de faveurs royales.
Parme tous ceux qui gravitent autour du roi, son médecin, son conseiller machiavélique, (Pierre Richard excellent) et son premier valet, La Borde (magistral Benjamin Lavernhe de la Comédie française) qui lui apprend avec bienveillance et humour les us et coutumes d’un monde qui pourtant n’aura de cesse de la rejeter. Il sera son seul ami.
Pas de temps mort deux heures durant, une photographie élégante et une mise en scène au cordeau. Bref un bon film. Une sorte de déclinaison chromatique de « Barry Lyndon » de Kubrick. Bravo donc Maïwen d’avoir osé cette aventure.
Un financement saoudien
Autre singularité et c’est une première, « Jeanne du Barry », film français, est soutenu par le Red Sea International Film Festival (Festival international du film de la Mer Rouge).
Le Saoudien Mohammed Al Turki, boss de ce guichet arabe, s’était déclaré « ravi de soutenir le long-métrage de Maïwenn », y voyant « un engagement » en faveur des « nouveaux talents » et une façon de « collaborer avec des scénaristes, réalisateurs et producteurs de classe mondiale », espérant par la même « renforcer les liens entre le cinéma saoudien et français ». Ce projet sera, indiquait-t-il « le premier des nombreux films internationaux que nous pouvons soutenir et qui défendent les femmes cinéastes ». (…) Cette première coproduction avec la France permet de défendre les talents féminins visionnaires à la fois devant et derrière la caméra du monde ».
Depuis 2019, la Red Sea Film Foundation a déjà apporté son soutien financier – 14 millions de dollars (12,9 millions d’euros) – au développement, à la production et à la postproduction de 170 longs-métrages de pays africains ou du monde arabe. Et désormais à l’Europe.
Six autres films font partie de la sélection cannoise : « Les Filles d’Olfa » documentaire-fiction de la Tunisienne Kaouther Ben Hania (Compétition), « Les Meutes » du Marocain Kamal Lazraq, « La Mère de tous les mensonges » de sa compatriote Asmae El Mourdir, et Goodbye Julia, premier film du réalisateur soudanais Mohamed Kordofani (Un Certain Regard) et enfin « Inshallah un fils » premier film du Jordanien Amjad El Rasheed ( Semaine de la Critique).
Enfin clin d’œil à son Algérie des origines, « Jeanne du Barry » est aussi co-produit par Maïwen via sa société “Films de Batna“…
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